Sortir de l’enfer de la drogue, retrouver l’estime de soi, une activité professionnelle et des relations saines. C’est possible. Johny, Nicolas et Laura en sont des exemples vivants, des rescapés de la drogue. Témoignages...
Johny : « C’est un combat à vie »
Johny est tombé dans l’enfer de la dépendance à 16 ans. « J’étais naïf. J’ai pris de l’opium comme booster sexuel : je sortais avec une femme plus âgée que moi. » Puis, il passera à la cocaïne et autres substances plus fortes. « Pour me sortir de cet environnement, mon père m’a envoyé en Angleterre », dit-il.
Johny n’entreprendra ni cure ni études : il s’enfuit de la maison de ses proches, erre dans les rue de Londres, dort dans les cimetières. Il vivra huit ans sans papier jusqu’à ce que la police l’attrape pour vol de voiture. Expulsé, il rentre à Maurice, abandonnant sa compagne, toxico et prostituée, mère de ses deux enfants. « J’ai mené une vie de débauche en Angleterre. Un médecin m’a diagnostiqué une hépatite C : « Vous ne vivrez pas au-delà de 40 ans ». Je me suis dit : « pou ale mort même la, diverti… »
Rechute
À 42 ans, Johny réalise qu’il peut encore vivre. Après trois cures et trois rechutes à Maurice, il remet le cap sur l’Angleterre où il adhère au traitement à la méthadone par comprimés. De retour à Maurice, il fait une rechute : il refuse le programme de substitution sous forme de sirop. Quelque temps après, la mère de Johny est diagnostiquée d’un cancer. Il n’y a personne pour prendre soin d’elle. Johny décide de se reprendre en main pour s’occuper de sa maman. « J’ai accepté le traitement à la méthadone. Ma mère ne m’a jamais laissé tomber. Elle m’a toujours visité en prison, j’y ai été à quatre reprises. Je me suis dit que si elle part, plus personne ne me soutiendra. Je me retrouverai seul. De là, j’ai puisé la force de m’en sortir, pour m’occuper d’elle ».
Après 38 ans de dépendance, Johny, âgé de 55 ans, est clean depuis six ans. Toujours sous traitement, il est soutenu dans ce combat par le mouvement Aide, Infos, Liberté, Espoir et Solidarité (A.I.L.E.S). Il en est un pair éducateur et aide désormais les autres à s’en sortir.
« Je suis fier de ce que j’ai accompli. Aujourd’hui, je me sens important, j’ai un rôle à jouer auprès des victimes de la drogue. J’aime ma vie et la drogue ne me tente plus. Je retrouve mes amis en discothèque. Je m’amuse sans alcool et sans drogue. Mais nul n’est à l’abri d’une rechute. Il faut une raison de s’accrocher. Ma raison à moi, c’est ma mère. »
Nicolas : « Je suis entré en prison négatif au VIH… J’en suis ressorti séropositif »
Lorsqu’il commence à consommer de l’héroïne à 18 ans, Nicolas ignore encore que les 12 prochaines années seront les pires de sa vie. Exclu de toute vie sociale, plusieurs séjours en taule, infection au VIH… « Le film que je me rejoue souvent : je me revois poussant une brouette de vieilles ferrailles à Vacoas. » Convaincu de pouvoir garder contrôle de sa vie, c’est sans réfléchir que le jeune homme se fera injecter sa première dose. « Je faisais comme mes amis. Je me suis vite rendu compte que j’étais devenu accro. Je ne pouvais plus travailler. Je me réveillais avec des nausées, des diarrhées, des sueurs chaudes, puis froides. »
Le quotidien de Nicolas se résume à cette question, omniprésente : « Comment trouver ma dose ? Où trouver de l’argent ? » Vols, mensonges, tromperies seront sont quotidiens. Les ennuis avec la justice aussi… « En 2009, je suis entré en prison négatif au VIH, pour purger une peine de deux ans. En 2011, j’en ressors séropositif. » C’est pourquoi il décide d’arrêter avec la drogue. « Mon père et la justice ont bien tenté de me sortir de cet enfer, mais je n’étais pas prêt. » C’est la maladie qui agira comme « déclic de sortie ». Il s’accroche à la vie à cause du regard des autres. « Je voulais prouver à tous ceux qui avait des préjugés envers moi, qu’on pouvait s’en sortir. J’ai même arrêté la méthadone pour éviter l’étiquette qu’on colle sur le dos de ceux qui font queue pour leur dose quotidienne. »
Aujourd’hui, à 35 ans, Nicolas œuvre dans le social. Il est un membre actif du Collectif Urgence Toxida (CUT). Il puise dans son vécu pour aider les victimes de cette spirale infernale. Il se veut un exemple pour ceux qui veulent décrocher. Éducateur et accompagnateur, à son fils de 14 ans, il dit : « Ne me prends pas pour le bon exemple, mais comme le mauvais exemple… »
Brigitte Michel : « La crainte d’une rechute est omniprésente »
Présidente d’A.I.L.E.S, Brigitte Michel est citée comme une des personnes ayant aidé les ex-toxicos à remonter la pente. « Ce que j’entends le plus souvent c’est : mo pe viv enn la vie lisien. J’ai besoin de décrocher, mais je ne sais pas comment. Aidez-moi », confie Brigitte, mère d’un ex-toxico. Pour elle, il s’agit avant tout d’écouter ces gens, de les laisser s’exprimer et ensuite de les conseiller et les accompagner. « C’est un travail de longue haleine. Pas toujours facile d’autant que les rechutes sont récurrentes. On a alors le
sentiment d’avoir échoué. »
Brigitte ne baisse pas les bras pour autant. Face aux ravages de la drogue dans son quartier à Floréal, surtout chez les mineurs, elle poursuit sa croisade pour de meilleurs accompagnements et traitements aux victimes de la drogue. « C’est un vrai parcours du combattant. La crainte d’une rechute est omniprésente. L’essentiel c’est d’accueillir la personne et ne pas porter de jugement. »
Ce qu’elle reproche au système de réhabilitation local, c’est justement cette absence de bienveillance et de volonté politique pour aider ces personnes. « La désintoxication à elle seule ne suffit pas. Il faut les accompagner sur la durée et des traitements adéquats. 97 % des usagers de drogue souffrent d’Hépatite C à Maurice. Or le traitement offert dans les hôpitaux n’est pas compatible avec les traitements de substitution. Comment voulez-vous qu’on s’en sorte ? » s’insurge-t-elle.
Vijay Ramanjooloo : « Je crois avant tout en l’être humain »
« L’être humain, c’est comme un diamant. À l’état brut, ce n’est qu’une roche, mais il faut croire que cette roche brillera ! » C’est toute la philosophie du psychologue Vijay Ramanjooloo. Il a fait de l’accompagnement psychologique auprès des détenus séropositifs pendant 10 ans. L’être humain est au centre de ses actions.
« Pour réussir à toucher ces gens-là, il faut les valoriser et les amener à croire en leur potentiel. Le regard des autres est essentiel. Les personnes qui les accompagnent au quotidien ne doivent pas voir en eux un toxicomane ou un séropositif, mais une personne avant tout ». C’est ce qui les aidera à décrocher, insiste le psychologue.
« Qu’on les incite à croire qu’ils pourront s’en sortir. »
Laura : « J’avais touché le fond »
Contrairement à Nicolas et Johny, Laura ignorait tout de la drogue jusqu’à ses 25 ans. Chargée de relations publiques dans un hôtel à 21 ans, elle quitte le toit familial pour s’installer dans un appartement. Elle y file le parfait amour avec sa copine, toxico, sans pour autant s’intéresser à la drogue. « Je ne savais même pas ce que c’était », confie Laura.
Un jour le propriétaire décide de vendre l’appartement. Ne voulant pas rentrer chez sa mère, Laura se retrouve chez sa copine dans une cité à « mauvaise réputation ».
Le transport de l’hôtel refuse de l’y déposer le soir. La jeune femme perd son emploi. « Sans emploi, sans appart, sans rien à faire… j’ai essayé une première fois. J’ai détesté. J’ai vomi toute la nuit », dit-elle. Sa situation ne s’améliorant pas, l’inactivité n’aidant pas, elle retentera le coup et y prendra goût. « J’en ai pris de plus en plus jusqu’à en devenir accro. Je suis passée à 3-4 doses par jour. J’ai vendu mes affaires, mes bijoux. J’ai vite touché le fond. Je n’avais plus goût à vivre : soit c’était le suicide, soit je demandais de l’aide. »
Laura rentre chez sa mère, qui l’accueille à bras ouverts. Après trois mois dans un centre de désintoxication, se croyant forte, elle cherche à revoir sa copine pour l’aider. « C’était la dernière chose à faire. J’ai replongé durant quatre mois, jusqu’au jour où j’ai été dégoutée de cette vie. Je me suis aperçu que ma copine se servait de moi. » Laura, déterminée à quitter cet enfer, passera un an au centre Chrysalide. Elle retourne chez sa mère, prend de l’emploi dans un centre d’appels. « Hélas, je suis retombée.
Un jour en allant récupérer de l’argent pour ma dose, j’ai été fauchée par une voiture. J’ai été traînée avec mon vélo sur plusieurs mètres. » Après 18 jours d’hôpital, elle est accueillie par une tante à Souillac. Elle intègre le programme de substitution à la méthadone. Depuis six ans, elle ne touche plus à la drogue. Volontaire chez A.I.L.E.S, désormais « chaque jour est un cadeau. Je passe beaucoup de temps avec ma famille. Ma relation avec mes sœurs s’est améliorée. C’est ce qui m’a permis de me battre. Je reprends goût à la vie, je prends soin de ma santé et celle des autres. Quand on a frôlé la mort, on apprécie mieux la vie, car la vie, en fait, c’est un cadeau. »
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