L’apport des travailleurs étrangers dans certains secteurs est présenté comme étant indispensable par le patronat. Or, les syndicats montent au créneau face aux arguments mis en avant pour avoir recours à la main-d’œuvre étrangère.
La question des travailleurs étrangers continue de faire des remous à Maurice. D’un côté, le patronat insiste sur la nécessité de se tourner vers la main-d’œuvre étrangère en réponse au manque de ressources locales. De l’autre, bien que les syndicats reconnaissent les défis en matière de main-d’œuvre, ils sont d’avis que le recrutement des expatriés doit se faire sous certaines conditions. À ce jour, plusieurs salariés étrangers opèrent dans différents secteurs d’activités à Maurice. Ils sont 44 043 expatriés à disposer d’un permis de travail au 31 mai 2024, selon les chiffres fournis par le ministère du Travail. Une forte concentration des travailleurs étrangers est canalisée vers le secteur manufacturier qui compte 21 411 permis de travail sur le chiffre total. Or, du côté de la Confédération des Travailleurs des Secteurs Publique et Privé (CTSP), on conteste ces chiffres et affirme qu’il y aurait au moins 75 000 travailleurs étrangers à Maurice. Parmi, certains seraient arrivés avec un visa touristique. « 500 permis de travail n’ont pas été renouvelés dans deux compagnies depuis plusieurs années et ne sont pas comptabilisés dans les chiffres officiels », soutient son porte-parole Reeaz Chuttoo.
Du côté de Business Mauritius, on fait l’amer constat d’une situation inquiétante. Plusieurs postes restent vacants en dépit des efforts de recrutement importants. Parmi, on retrouve le secteur du tourisme post-crise de Covid-19. Le manufacturier, l’informatique, les services financiers, la construction, la santé et la distribution ne sont pas en reste. D’où l’importance, selon un représentant du secteur privé, d’avoir recours aux expatriés afin de combler les lacunes en matière de compétences dans des secteurs clés et soutenir la croissance économique. « Les entreprises mauriciennes ont fait des efforts considérables pour recruter localement, mais la main-d’œuvre qualifiée n’est pas toujours disponible en nombre suffisant. Recourir aux expatriés ne veut pas dire mettre en péril les emplois des Mauriciens. Au contraire, cela peut créer de nouvelles opportunités et contribuer au transfert de compétences », fait-on comprendre chez Business Mauritius.
Situation démographique
Reeaz Chuttoo admet qu’il est essentiel pour certains secteurs de nos jours de faire appel à des travailleurs étrangers. Nul ne peut nier que Maurice compte une population vieillissante, alors que le taux de natalité ne progresse pas. Cependant, le côté artificiel de cette sollicitation aux travailleurs étrangers, poursuit-il, est une stratégie économique de la classe politique dans son ensemble. « Cela pousse les jeunes à quitter Maurice, provoquant une décroissance démographique.
Lorsque les jeunes optent pour une carrière à l’étranger, il faut en contrepartie recruter des expatriés pour éviter que l’économie ne plonge », ajoute-t-il.
Radhakrishna Sadien, président de la State Employees’ Federation, déplore le fait que le défi démographique n’ait pas été adressé par l’entremise de mesures adéquates. Le pays comptait 37 300 chômeurs au premier trimestre 2024. Un nombre, explique-t-il, qui s’approche presque de la quantité de travailleurs étrangers opérant dans le pays. « Cela indique qu’il y a un problème de déséquilibre entre l’offre et la demande sur le marché du travail et les recherches menées. Une étude nationale devrait être effectuée pour situer la cause de l’exode des talents. Il est trop facile de dire que les Mauriciens ne veulent pas travailler. Il conviendrait de trouver et d’attaquer la source de cette problématique », fait-il ressortir.
Quota et coût moindre
Le patronat précise, néanmoins, que le recrutement de travailleurs étrangers doit s’inscrire dans une stratégie globale de développement des ressources humaines. En d’autres termes, l’investissement dans l’éducation et la formation des Mauriciens ne doit pas être relayé au second plan, tout en s’ouvrant aux compétences et à l’expertise étrangère.
Face à la demande des employeurs, le ministre des Finances a, lors du dernier budget, annoncé la suppression des quotas de main-d’œuvre étrangère dans certains secteurs dont l’industrie manufacturière, de la joaillerie et des TIC/BPO. Radhakrishna Sadien, président de la State Employees’ Federation, craint que certains employeurs n’abusent de cette prérogative. « Par l’introduction de cette mesure, tout porte à croire que ‘the sky is the limit’ maintenant. Les quotas auraient dû être maintenus pour un meilleur contrôle. Il y aura une augmentation de l’offre pour l’embauche de la main-d’œuvre des étrangers, au plus grand bonheur des employeurs », avance-t-il.
Le coût d’opération diminue également pour les opérateurs dont l’effectif compte des expatriés. Selon Reaz Chuttoo, un travailleur étranger coûte 10 % moins cher par mois et un prix inférieur de 120 % par année qu’un Mauricien. « Un travailleur étranger ne paie pas le PRGF, ni la CSG pendant six mois ou deux ans s’il opère dans la Zone franche. En privilégiant un ‘shift system’ pour un travailleur étranger, ce dernier ne bénéficie pas d’heures supplémentaires », indique-t-il.
Pour Business Mauritius, il est question que le recrutement des expatriés se fasse de manière transparente et éthique, en veillant à la protection des droits des travailleurs de tous bords. Radhakrishna Sadien, président de la State Employees’ Federation, souligne que prendre en compte les besoins sociaux d’un travailleur étranger lors de son embauche est crucial pour éviter toute forme d’exploitation. Il insiste sur le fait qu’aucun développement du pays ne devrait justifier une exploitation.
Permis de travail délivrés durant les années 2021-2023
Années Total
2021 23 428
2022 36 051
2023 29 509
Ministère du Travail
Une approche basée sur les besoins sectoriels
Au niveau du ministère du Travail, on nous explique que les permis de travail des expatriés sont délivrés en fonction de la situation de la main-d’œuvre dans les secteurs concernés. « Il y a tout un processus bien établi à suivre avant d’octroyer les permis. Nous faisons d’abord une enquête pour vérifier s’il y a vraiment un manque de travailleurs dans un secteur particulier, puis nous étudions les demandes au cas par cas avant de délivrer les permis », précise-t-on. Le ministère du Travail assure que toutes les décisions sont prises en tenant compte des retombées sur l’économie. « Nous n’allons certainement pas freiner la croissance du pays.
Si le besoin se fait sentir, nous allons voir en fonction de la demande », dit-on. Par ailleurs, pour que Maurice maintienne des niveaux de croissance plus élevés, le seuil d’éligibilité pour l’Occupation Permit pour les professionnels a été réduit de Rs 30 000 à Rs 22 500. Cette mesure permet ainsi à l’Economic Development Board de prendre charge certaines demandes et à délivrer les permis.
Budget 2024/25
Ces mesures annoncées pour accélérer le recrutement de travailleurs étrangers
- L’Agricultural Workers (Job Contractors’) Regulations sera modifié afin d’offrir une plus grande flexibilité pour le recrutement dans le secteur agricole.
- Les quotas de main-d’œuvre étrangère seront supprimés dans les secteurs de l’industrie manufacturière, de la joaillerie, du port franc et des TIC/BPO.
- Le délai maximum pour délivrer ou renouveler un Work Permit sera fixé à 3 semaines.
- La période maximale de renouvellement pour le secteur manufacturier est portée à 10 ans.
L’importance de recruter des étrangers : explications des employeurs
Le Chief Human Resources Officer de la compagnie Velogic, Bertrand Abraham, déplore un manque accru de certains métiers dans le secteur de la logistique. « Notre offre couvre une large gamme de prestations telles que l’expédition de fret, les procédures douanières et le stockage, entre autres. Par ailleurs, nous faisons également la réparation et la modification des conteneurs, un domaine pour lequel nous avons besoin de compétences spécifiques », explique-t-il.
Sa compagnie, dit-il, est actuellement à la recherche de soudeurs et de programmeurs. « Nous avons du mal à trouver ces compétences sur le marché local. Du coup, nous sommes obligés de faire appel à des travailleurs étrangers », indique-t-il. Ainsi, il envisage d’employer une dizaine d’étrangers, principalement de l’Inde et de Madagascar. Manish Bundhun, Chief People Executive d’ENL & Rogers Management, fait ressortir que la situation de l’emploi à Maurice est marquée par une pénurie de main-d’œuvre à plusieurs niveaux dans divers secteurs clés de notre économie. « Ils éprouvent des difficultés à trouver localement des travailleurs qualifiés, ce qui ralentit leur croissance, réduit leur compétitivité et affecte la qualité de leurs services », soutient-il. Selon lui, les industries les plus touchées sont le tourisme, la santé, la construction, les services financiers (notamment l’offshore), les technologies de l’information et de la communication (TIC), ainsi que le commerce de détail. « Le taux élevé de rotation du personnel dans ces domaines entraîne des dépenses considérables pour les entreprises en termes de recrutement, de formation et d’intégration, tout en diminuant leur efficacité », ajoute-t-il.
Favoriser la croissance économique
Bertrand Abraham dit être conscient que les syndicats s’opposent au recrutement des étrangers, craignant que ces derniers prennent la place des Mauriciens. « Cependant, il faut faire ressortir qu’avant de solliciter les étrangers, nous cherchons d’abord sur le marché local. Malheureusement, les Mauriciens ne sont pas disponibles pour prendre les emplois que nous proposons », déplore-t-il. De plus, il fait remarquer que même lorsque la compagnie parvient à engager des employés locaux, il subsiste des problèmes d’absentéisme et de discipline parmi ces travailleurs. « Même si le recrutement des travailleurs étrangers implique des coûts élevés, nous n’avons pas le choix. Dans le contexte actuel, l’emploi des étrangers est devenu incontournable si nous souhaitons atteindre un niveau de croissance supérieur dans notre secteur d’activité respectif », souligne notre interlocuteur.
Manish Bundhun abonde dans le même sens. « La population vieillissante et la baisse du taux de natalité réduisent la disponibilité de la main-d’œuvre locale et limitent la capacité des entreprises à ainsi répondre à la demande croissante », dit-il. Par ailleurs, poursuit-il, la fuite de cerveaux est de plus en plus inquiétante, avec de nombreux jeunes mauriciens qualifiés qui quittent le pays, créant aussi un déficit de compétences spécialisées sur le marché du travail local. « Un des plus grands enjeux à venir sera de réussir à retenir nos talents locaux et d’être attractif pour la diaspora mauricienne et les talents qui la composent », avance-t-il. Le recrutement d’expatriés, selon lui, est ainsi essentiel pour combler les pénuries persistantes dans de nombreux secteurs économiques. « En attirant des talents internationaux, Maurice peut non seulement répondre aux besoins immédiats en main-d’œuvre, mais aussi favoriser l’innovation et la croissance économique et assurer un développement économique durable et équilibré », fait-il ressortir.
Nos interlocuteurs recommandent de simplifier et de numériser davantage les procédures administratives pour faciliter le recrutement de travailleurs étrangers. Ils suggèrent également de renforcer les partenariats avec des agences de recrutement internationales et d’offrir des incitations fiscales ainsi que des programmes d’intégration aux nouveaux arrivants. « Il est crucial de former spécifiquement les travailleurs étrangers afin qu’ils puissent mieux s’intégrer dans la culture de Maurice », conclut-il.
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