
Le rapport de l’Audit 2023-2024 révèle encore des gaspillages et irrégularités dans la gestion des fonds publics. Syndicalistes et experts dénoncent l’impunité et réclament des sanctions, un meilleur contrôle, la numérisation des services et l’adoption du Freedom of Information Act.
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La question de Radhakrishna Sadien résonne comme un défi. « Where is accountability ? Who cares ? » Le président de la State Employees Welfare Federation tape du poing sur la table. Et il n’est pas le seul. Chaque année, le rapport de l’Audit livre son verdict, et chaque année, les mêmes dysfonctionnements ressurgissent.
L’édition 2023-2024 ne fait exception : des millions de roupies dilapidés, des projets mal ficelés, des acquisitions à des prix exorbitants et des irrégularités dans la gestion des fonds publics. Chaque année, les audits révèlent des gaspillages faramineux, mais rares sont les hauts fonctionnaires ou ministres inquiétés. La question demeure : pourquoi retrouve-t-on toujours les mêmes pratiques douteuses, les mêmes travers, voire abus ?
Pour Radhakrishna Sadien, force est de constater qu’année après année, les mêmes institutions se retrouvent au cœur des scandales financiers révélés par le bureau de l’Audit : « À chaque publication, ce sont toujours les mêmes qui reviennent, avec de plus fortes sommes gaspillées. »
Et Haniff Peerun, du Mauritius Labour Congress, de renchérir : « Chaque année on retrouve de nouveaux chiffres, les uns plus exorbitants que les autres. On ne peut plus continuer ainsi à gaspiller l’argent du public, ce n’est pas acceptable ! Il y a les fonctionnaires, oui, et puis vous avez ceux qui s’alignent sur les exigences des politiciens et voilà comment nous entrons dans un cercle vicieux », lance-t-il.
Justement, poursuit Radhakrishna Sadien, la gestion de fonds est catastrophique, mais qui blâmer ? « Rien ne se fait dans la transparence, que ce soit dans l’allocation des contrats ou dans le financement de certains projets. Plus grave encore, ces mêmes personnes qui ont géré ces ministères auparavant, partent, puis reviennent au-devant de la scène sans aucun problème. »
Un point sur lequel revient également Sateeaved Seebaluck, l’ancien secrétaire au Cabinet et ex-chef de la fonction publique. « Tout est une question de contrôle. » Selon lui, il n’existe aucun véritable mécanisme de surveillance. « Les fonctionnaires font ce qu’ils veulent, et on les laisse faire. Le tout dans un système gangréné par la corruption », lâche-t-il.
La question clé, c’est de savoir s’il s’agit de fraude, d’incompétence, ou d’un non-respect des procédures, commente l’historien et observateur politique Jocelyn Chan Low. « Parfois, des erreurs sont commises dans le choix d’équipements ou de prestataires. Mais dans la fonction publique, la responsabilité est diluée », observe-t-il.
L’absence de sanctions favoriserait la répétition des abus : ministres et hauts fonctionnaires savent qu’ils ne risquent pas grand-chose et continuent d’agir en toute impunité. L’observateur Yvan Martial dénonce d’ailleurs « une culture d’impunité ». « De manière générale, je ne connais pas un seul gouvernement qui ait pris au sérieux le rapport de l’Audit. Le gaspillage continue parce que des ordres viennent d’en haut. Il y a une culture d’impunité qui perdure année après année, gouvernement après gouvernement », déplore-t-il.
En effet, les anomalies graves signalées ne sont presque jamais suivies d’actions judiciaires. « Quels ont été les suivis des irrégularités relevées l’an dernier ? On publie un rapport, les médias s’en emparent, des questions sont posées à l’Assemblée nationale… puis plus rien jusqu’au rapport suivant. Et ainsi de suite. C’est devenu une situation récurrente », rappelle Yvan Martial.
Quelles solutions ?
Peut-on réellement espérer une réforme en profondeur ou sommes-nous condamnés à un éternel statu quo ? Pour certains experts, la solution passe par un renforcement des mécanismes de contrôle.
Jocelyn Chan Low plaide pour une fonction publique plus rigoureuse. « Il y a des Finance Officers qui surveillent absolument tout, mais le laxisme est trop présent. Il faut un contrôle plus rigoureux », souligne-t-il.
Lucide face à l’inaction chronique des autorités, Yvan Martial maintient, néanmoins, qu’une solution existe : frapper fort, une bonne fois pour toutes. « Il suffirait d’identifier un cas flagrant de gaspillage, avec des responsabilités évidentes impliquant hauts fonctionnaires et politiciens, d’en faire une affaire d’État et de sévir sans complaisance. Cela enverrait un signal fort et dissuasif. Tout le monde se tiendrait à carreau », affirme-t-il. Il plaide pour un suivi rigoureux, dossier par dossier. « Si les responsables sont sanctionnés, les fonctionnaires prendront enfin les audits au sérieux. »
Les syndicalistes Radhakrishna Sadien et Haniff Peerun appellent à la mise sur pied d’un comité technique, ou comité spécial pour mener des investigations et prendre des sanctions contre les ministères concernés. « Il n’est plus possible de rester indifférent face à la situation. Le rapport de l’Audit n’est pas qu’un simple document, il nous montre la réalité de comment notre argent est dépensé. Il est grand temps de mettre de l’ordre dans ce véritable laisser-aller. Nous ne pouvons plus cautionner la mauvaise gouvernance de certains au prix des contribuables », martèle Radhakrishna Sadien.
Mais au préalable, affirme Jocelyn Chan Low, il faudrait des enquêtes approfondies pour distinguer les erreurs de gestion des fraudes. « Le cas récurrent du paiement de pensions à des personnes décédées illustre ce ‘mismanagement’ persistant. Si un ministre est impliqué dans une mauvaise gestion des fonds publics, il doit être contraint à la démission et poursuivi en justice », tranche-t-il. « Il faut bien sûr punir. Mais, surtout, il est urgent de promulguer le Fiscal Responsibility Act, une fois voté à l’Assemblée nationale », insiste l’observateur et rédacteur en chef de Capital Media, Rajen Valayden.
Sateeaved Seebaluck fait remarquer que le système de gouvernance actuel pas vraiment propice à une bonne gestion. La solution passe par une informatisation complète des services gouvernementaux, un moyen efficace d’éliminer ces problèmes. Un argument sur lequel insiste aussi le syndicaliste Haniff Peerun : « Je pense que la digitalisation de tous les ministères sera la solution pour éviter la corruption. » Cependant, reconnaît Sateeaved Seebaluck, sa mise en œuvre prendra du temps. « Il reste un énorme travail à accomplir. »
Deuxième point crucial : le Freedom of Information Act. « Si une telle loi était en place, l’accès aux informations serait garanti pour tous, renforçant ainsi la transparence. Il faut aller dans cette direction, sans tergiverser », affirme l’ancien secrétaire au Cabinet et ex-chef de la fonction publique.
Le silence de l’ancien gouvernement
Joe Lesjongard, le leader de l’opposition et membre de l’ancien gouvernement, a été sollicité pour une déclaration. Mais ce dernier nous a raccroché au nez.
Quatre anciens ministres issus du gouvernement sortant ont également été sollicités pour une réaction. L’un d’eux a fait savoir qu’il ne souhaitait pas répondre. Un autre a indiqué qu’il se trouvait à l’étranger, tandis que deux autres sont restés injoignables.
La cellule de communication du MSM a ensuite été sollicitée. « Nous allons passer le message puis revenir vers vous », nous a-t-on déclaré.

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