Qu’est-ce qui fait resurgir le débat sur le recensement ethnique et pourquoi la majorité des partis politiques y est foncièrement opposée ? L’absence de méritocratie pour l’un, le danger de fragmentation pour l’autre, expliquent les observateurs.
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Des voix commencent à s’élever pour réclamer l’utilisation du recensement ethnique pour déterminer quels segments de la population sont les moins bien lotis. Des demandes qui se sont accentuées depuis la publication du rapport du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale des Nations unies sur Maurice, en août dernier. Des représentants de l’Église Catholique ont rejoint ceux du Parti mauricien social-démocrate (PMSD) pour réclamer l’utilisation de statistiques pour établir quelles communautés souffrent le plus de discriminations raciales.
Le PMSD est le seul parti politique à réclamer cette mesure. Le Mouvement socialiste militant (MSM), le Mouvement militant mauricien (MMM) et le Parti travailliste (PTr) sont farouchement opposés à une utilisation du recensement ethnique, même hors du cadre strict de l’allocation des sièges de Best Losers. Pourquoi cette suggestion fait-elle autant peur ? La plupart des observateurs s’accordent à dire que le danger de fragmentation et de multiples réclamations est trop grand. Il faudrait plutôt se concentrer sur le recrutement dans les instances publiques, qui est à la racine du mal.
Difficulté pratique
L’historien Jocelyn Chan Low explique la difficulté pratique de recourir au recensement ethnique. « Comment définir les différents groupes ethniques », interroge l’historien. Il se rapporte à un travail qu’il avait mené pour la Commission Justice et Vérité, quand il lui fallait interviewer des descendants d’esclaves. « Comment savoir qui est descendant d’esclaves et de travailleurs engagés à la fois », se demande-t-il.
Chacun tente de protéger son groupe.
D’autre part, le recensement religieux reconnaît déjà officiellement un grand nombre de cultes qui bénéficient de subventions, sans compter la ribambelle de Speaking Unions basées sur les langues ancestrales. « Si on introduisait un recensement ethnique, on courrait le risque que, tout le monde, Tamouls, Marathis ou Télégous, réclame sa reconnaissance en tant que groupe ethnique », prévient-il. L’histoire des recensements à Maurice est semée d’exemples de difficultés de ce genre.
Si le recensement ethnique relevait d’une mesure rétrograde, il vaudrait mieux se concentrer sur la source du problème : le mode de recrutement de la Public Service Commission (PSC). « Il faut plus de transparence, mais avec la délégation des pouvoirs aux ministères, il n’y a aucun contrôle », explique Jocelyn Chan Low. Dès lors, le clientélisme politique entre en jeu. L’historien souligne l’ironie de voir chaque groupe ethnique représenté sur le Board de la PSC. « Les statistiques ne seraient utiles que pour l’application d’une politique de discrimination positive, ce qui serait une erreur dans le contexte mauricien. Cela ferait éclater le pays », assure notre interlocuteur.
Faisal Jeerooburkhan, de Think Mauritius, estime que la polémique actuelle découle de l’absence de méritocratie. « Nous avons deux groupes, celui de l’Église Catholique et des associations socioculturelles hindoues, qui tentent chacun de défendre son camp. Cette situation est possible quand on ne fait pas assez de place au mauricianisme et cela s’explique par le manque de méritocratie. »
Selon le pédagogue, le problème c’est que chacun au niveau du gouvernement et des institutions tente de protéger « son groupe ». S’il existait un système où prévalait la méritocratie, ces tensions n’auraient plus lieu d’être. « Quand il n’y a pas de transparence, on ne sait pas ce qui se passe, on imagine tout et n’importe quoi », explique Faisal Jeerooburkhan. Le débat sur le recensement ethnique est un « faux débat » qui n’a pas sa raison d’être, conclut-il.
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