
Le mariage civil perd du terrain à Maurice. Jadis pilier social, il séduit moins, surtout chez les jeunes. Crise sanitaire, coûts élevés et priorités personnelles redessinent les rapports à l’engagement, laissant l’institution en quête de sens.
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Le mariage civil séduit de moins en moins à Maurice. Autrefois au cœur de la vie sociale et familiale, il connaît aujourd’hui un net recul d’attrait, surtout auprès des jeunes. Si l’année 2020, marquée par la crise sanitaire, avait provoqué une chute brutale du nombre de mariages, la tendance ne s’est jamais redressée depuis. En 2024, seuls 8 220 mariages civils ont été célébrés, contre plus de 11 000 à la fin des années 1990. Une baisse progressive qui interroge sur l’évolution des rapports au couple, à la stabilité et aux traditions.
Entre 1999 et 2009, Maurice enregistrait en moyenne plus de 11 000 mariages civils par an. Cette stabilité reflétait une certaine continuité des schémas sociaux traditionnels. Toutefois, dès 2010, une baisse lente, mais régulière, s’est amorcée, atteignant un point bas en 2013 avec moins de 10 000 mariages. Depuis, les chiffres n’ont cessé de fléchir. En 2019, on comptait 9 709 mariages. Puis est survenue l’année 2020, où les restrictions imposées par la pandémie ont fait chuter les chiffres à 6 929, un niveau historiquement bas.
On aurait pu penser que cette situation était exceptionnelle. Pourtant, les années suivantes n’ont pas vu de réel rebond. En 2021, 8 186 unions ont été célébrées, suivies de 9 558 en 2022. Ensuite, la courbe a de nouveau chuté en 2023 et 2024. Cette absence de redressement post-Covid interroge.
Au-delà des circonstances sanitaires, plusieurs éléments semblent entrer en jeu : la précarité financière, le coût croissant des cérémonies, l’évolution des mentalités et le recul de certaines normes sociales. Le mariage n’est plus systématiquement perçu comme une étape obligatoire. La cohabitation, les unions libres ou simplement l’attente d’une meilleure stabilité économique sont autant de facteurs qui freinent les projets d’union.
Cette tendance, loin d’être anecdotique, traduit un changement sociétal en profondeur. Le mariage civil n’est plus le repère qu’il était pour les générations précédentes. À travers cette évolution, c’est tout un rapport à l’engagement et aux attentes sociales qui semble se redessiner.
Un recul révélateur
Le phénomène est préoccupant lorsqu’on observe l’évolution des chiffres. Pour le sociologue Rajen Suntoo, la génération actuelle ne perçoit plus le mariage avec les mêmes repères qu’autrefois. L’influence des réseaux sociaux, la digitalisation des échanges et un mode de vie plus individualisé ont modifié les priorités. « Aujourd’hui, les jeunes se tournent davantage vers leur accomplissement personnel, leurs études, leur carrière. Le mariage et la fondation d’une famille passent souvent au second plan », explique-t-il.
Le mariage, autrefois perçu comme l’aboutissement naturel d’une relation, est désormais envisagé sous un angle plus pragmatique. « Il ne s’agit plus seulement de sentiments, mais aussi de sécurité, de stabilité financière et émotionnelle. Le coût de la vie, notamment l’accès au logement, dissuade beaucoup de jeunes de s’engager officiellement. Se marier, c’est investir, faire des dépenses, contracter des dettes. Cela représente une pression supplémentaire », ajoute le sociologue. Selon ce dernier, cette pression a un impact à la fois économique et psychologique sur les jeunes générations, les amenant à repenser leur vision de l’engagement.
Depuis 2020, les mariages sont en net recul, tandis que les divorces connaissent une hausse constante. Un indicateur, selon Rajen Suntoo, d’une transformation plus large des normes sociales. « Le modèle classique est remis en question. Beaucoup de couples choisissent désormais des formes alternatives comme le concubinage ou la cohabitation. Ces unions, bien qu’elles ne soient pas toujours reconnues légalement, répondent aux besoins de liberté et de tranquillité recherchés par de nombreux jeunes », fait-il ressortir.
Ces nouvelles formes d’union ne sont pas visibles dans les statistiques officielles, ce qui peut fausser la perception du couple dans la société. « On voit aussi émerger de plus en plus de couples intergénérationnels. Ce qui aurait pu surprendre auparavant est devenu une normalité sociale. Les jeunes privilégient des relations plus souples, moins institutionnalisées », indique-t-il.
Selon le sociologue, cette évolution ne signifie pas la disparition du mariage, mais plutôt une redéfinition de son rôle dans une société en mutation.
Haniff Peerun : « Les jeunes préfèrent leur avenir au mariage »
Pour Haniff Peerun (photo), président de la Mauritius Labour Congress et ancien éducateur, le recul du mariage civil à Maurice est le reflet d’un changement de priorités chez les jeunes. Selon lui, l’accès facile à l’éducation et aux opportunités de développement personnel a transformé les repères traditionnels.
« Aujourd’hui, le jeune pense d’abord à son avenir. Il veut être éduqué, profiter des facilités offertes et améliorer sa situation. Le mariage passe au second plan », affirme-t-il.
Il estime que cette tendance s’explique aussi par la montée de l’instabilité économique. Le coût de la vie élevé, les difficultés d’accès au logement ou encore la peur de l’endettement freinent les décisions d’union. Dans ce contexte, il plaide pour des mesures concrètes en faveur des jeunes. « Il faut des plans de relance. La main-d’œuvre se fait rare et les naissances sont en baisse. Il y a urgence à agir », indique-t-il. La hausse du nombre de divorces, constatée ces dernières années, alimente également les doutes. « Le divorce est devenu un facteur clé. Face à ce constat, beaucoup de jeunes choisissent de se concentrer sur leur carrière plutôt que de risquer une rupture », confie-t-il. Les réseaux sociaux, selon lui, jouent un rôle non négligeable. Ils influencent les perceptions du couple et de l’engagement, en exposant des modèles de relations instables ou idéalisées. Il ajoute : « Aujourd’hui, ce n’est pas seulement l’amour qui compte. Le mariage est aussi vu comme un contrat social ».
Haniff Peerun met également en lumière un changement profond du côté des femmes. « Beaucoup ne veulent plus s’engager à cause de la violence conjugale, de la drogue et de la précarité. Elles préfèrent devenir indépendantes, lancer leur propre activité, et avancer seules. Elles deviennent en quelque sorte leur propre époux », dit-il. Ce constat souligne une réalité : la quête d’autonomie et de sécurité personnelle prime désormais sur les modèles d’union traditionnels.
Mokshda Pertaub : « Le mariage n’est plus une institution figée »
Pour Mokshda Pertaub, avocate spécialisée en droit de la famille, le constat est sans détour : un mariage sur trois se termine aujourd’hui par un divorce à Maurice. Une tendance qui, selon elle, reflète un manque criant de préparation émotionnelle et psychologique avant de s’engager. « Le mariage ne repose plus seulement sur l’amour. Il implique une responsabilité réelle, à la fois sur le plan émotionnel, financier et social », dit-elle.
Elle estime que la société mauricienne tarde à adapter ses mentalités à cette nouvelle réalité. Trop souvent, les jeunes se lancent dans le mariage sans en mesurer pleinement les implications. « Il y a moins d’acceptation, moins de communication. Les attentes sont floues, et l’institution est perçue comme une contrainte plutôt qu’un choix réfléchi », fait-elle remarquer. Le poids financier n’est pas négligeable non plus. Selon elle, « le mariage devient parfois une obligation sociale et économique, alors que les jeunes aspirent à autre chose : la stabilité, l’indépendance, l’épanouissement personnel. » Mokshda Pertaub insiste également sur l’importance de mieux connaître ses droits : « L’amour est beau, mais il ne faut pas être aveugle. Trop de jeunes s’engagent sans comprendre les conséquences juridiques de leur union.
Une meilleure éducation autour du mariage, du divorce, et des droits conjugaux est essentielle ».
À ses yeux, une évolution des mentalités est nécessaire. Le mariage n’est plus une étape automatique. Il demande une véritable maturité émotionnelle, une connaissance de soi, et surtout, une volonté commune d’avancer à deux.


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