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Parents alcooliques : quand ce sont les enfants qui trinquent

Parents alcooliques

Alors que certains enfants gambadent, jouent, rient et s’amusent, d’autres subissent les frasques de leurs parents alcooliques, évoluant dans un climat familial tendu et conflictuel. Et les répercussions sur le développement de ces enfants peuvent être terribles. Voici des témoignages et l’avis d’experts.

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«Mo papa ti bwar hier ek linn refer vilin. » Ces propos sont ceux d’un enfant d’à peine huit ans qui se confie à son amie, lors d’une conversation que nous surprenons alors qu’ils sont en route pour l’école. La fillette l’écoute attentivement et lui dit qu’elle comprend sa situation.

L’écolier lui raconte qu’il vit un calvaire au quotidien à cause de ses parents : « Si ce n’est pas mon père, c’est ma mère qui boit de l’alcool. Ils ne font rien d’autre. Il y a rarement quelque chose à manger et la maison est sale. Parfois, lorsque mon papa rentre du travail, il voit que le repas n’a pas été préparé et s’énerve. Mes parents commencent alors à se disputer. Cela devient interminable. Ma petite sœur pleure sans cesse. » Il ajoute qu’il lui est impossible de faire ses devoirs avant de lâcher : « Je n’ai pas envie de rentrer après l’école. »

Comment grandir dans de telles conditions alors que la période de l’enfance est celle de l’épanouissement et du développement ? Comme cet écolier, ils sont plusieurs enfants à subir les frasques de leurs parents alcooliques, évoluant dans un environnement familial tourmenté, dont le quotidien est rythmé par la violence et les disputes incessantes.

Ce n’est pas Sheena, 32 ans, qui dira le contraire : « J’étais souvent apeurée de voir mon père devenir agressif après avoir bu. Il parlait fort et cassait tout dans la maison. Il ne frappait jamais ma mère. Mais je ne comprenais pas pourquoi il lui en voulait tant. C’était dur de voir ma mère dans cet état. »

Elle relate que ses frères et elle se cachaient sous la table ou sous le lit pour fuir cette situation et ne rien entendre. « Nous étions tétanisés à chaque dispute. Même après tant d’années, je n’ai pas pu oublier mon enfance. J’avais du mal à me concentrer sur mes études, car nous vivions dans l’insécurité. Ce n’est qu’au collège que j’ai pu rattraper mes retards et réussir mes études avec brio. Aujourd’hui, ma mère semble être immunisée face au comportement de mon père. »

Pas la même chance

Tous n’ont malheureusement pas la chance de Sheena, qui, malgré son enfance difficile, a su tirer son épingle du jeu. Certains enfants finissent par devenir comme leurs parents alcooliques. « Hélas, mon neveu a suivi les traces de son père », confie Ricardo, âgé de 57 ans. Il raconte comment l’avenir de son neveu a été brisé à cause de son frère et de sa belle-sœur. « Ils buvaient devant leur fils et se bagarraient sans arrêt. Ils n’avaient pas d’argent pour acheter à manger mais l’alcool coulait toujours à flots chez eux. »

Il ajoute que son frère et sa belle-sœur allaient rarement travailler. Une situation qui, dit-il, a eu une influence néfaste sur son neveu, aujourd’hui âgé de 22 ans. Ce dernier, poursuit-il, fait des petits boulots quand il veut et passe son temps à se saouler dans les bars. « Il n’obéit à personne malgré nos efforts pour essayer de le ramener sur le droit chemin. Je suis triste qu’il ait choisi cette voie. »

Jacqueline Le Blanc, travailleuse sociale : « Certains deviennent alcooliques après la naissance du premier enfant »

Pour Jacqueline Le Blanc, travailleuse sociale de l’ONG Action Familiale, il est important de connaître les facteurs qui ont emmené les parents à cette situation. Selon elle, il faut bien comprendre les cas afin de trouver des solutions adéquates. Car, soutient-elle, l’alcoolique est malade et ne peut s’en sortir seul.

« Souvent, c’est un manque d’estime de soi ou un mal-être depuis l’enfance ou l’adolescence qui peut pousser le parent vers ce fléau. Il y a aussi la vulnérabilité du couple après la naissance d’un enfant. C’est une cause fréquente. Une étude menée dans une ville des États-Unis a démontré que 60 % des hommes sont devenus alcooliques après la naissance du premier enfant », explique la travailleuse sociale. Elle ajoute que le manque de communication au sein du couple est un gros problème: « Beaucoup de parents consomment de l’alcool pour fuir leurs problèmes de couple, financiers ou professionnels. »

Et les conséquences sur les enfants sont variées et plus grandes si les deux parents boivent, souligne Jacqueline Le Blanc. Elle précise que les enfants, de par leur vulnérabilité, vivent encore plus mal cette situation traumatisante. « Il y a un sentiment d’insécurité qui influe sur le développement et la scolarité de l’enfant. Les couples devraient se préparer au nouvel aspect de la vie conjugale après une naissance. » Autre point important, dit-elle : au lieu de juger et de porter un regard accusateur sur la personne alcoolique, il faut plutôt l’aider à suivre une thérapie.

Karuna Rajiah : « L’enfant peut lui aussi devenir dépendant de l’alcool »

Que ressent un enfant qui vit avec des parents alcooliques ? Est-il un simple spectateur ou sa vie est-elle ravagée par de multiples disputes au quotidien ? La psychologue Karuna Rajiah précise que tout dépend de la famille. Elle estime que l’impact psychologique de telles conditions de vie sur un enfant peut être conséquent.

« S’il s’agit de l’un des parents, l’autre peut toujours gérer la situation et s’occuper des enfants. Mais si les deux sont dépendants de l’alcool, les enfants sont livrés à eux-mêmes. Du coup, ces enfants deviennent des observateurs. Certains finissent par imiter leurs parents. Pour eux, c’est cela une vie normale. Il y a des enfants qui se disent qu’ils ne pourront pas changer leur situation familiale. Ils s’adaptent et font semblant de ne rien voir. »

Puis il y a ceux qui développent une répugnance pour l’alcool et tentent de se différencier de leurs parents. « Ils reprennent le cours normal de leur vie en ignorant leurs parents, alors que d’autres deviennent violents à force de réprimer leur colère. En grandissant, l’enfant peut lui aussi développer une dépendance de l’alcool ou quitter le toit familial pour vivre dans un nouveau cadre. »

Les enfants les plus chanceux ont le soutien de proches qui interviennent pour les aider à évoluer dans un cadre plus approprié pour leur développement. « Ces derniers doivent avant tout s’assurer que ces enfants aient une alimentation saine. Il faut aussi leur apprendre à différencier le bien du mal, tout en les sensibilisant aux conséquences de l’alcool. Il n’y a pas mieux que d’apprendre de sa propre expérience. »

Mirella, enseignante de Grade 5 : « J’ai une élève qui doit s’occuper seule de sa maison »

Les enfants dont les parents sont alcooliques vivent non seulement un calvaire à la maison mais aussi à l’école. Perturbés par leurs soucis familiaux, ils peinent à donner le meilleur d’eux-mêmes en classe. Mirella, enseignante dans une école primaire, en témoigne. Elle nous parle d’une élève de Grade 5 qui vient à l’école les cheveux en bataille, avec un uniforme sale et sans boîte à déjeuner. « Elle est toujours pensive et participe rarement en classe. Au début, je pensais qu’elle n’était pas intéressée par ce qu’on faisait en classe. Mais j’ai compris qu’il y avait un problème. »

L’enseignante a alors rapporté le cas à la direction de l’école. « Lorsque les parents ont été convoqués,  on a tout compris. Sa mère est arrivée au bureau ivre. Elle ne comprenait pas pourquoi elle avait été convoquée. Elle arrivait à peine à parler. C’est quand nous avons organisé des sessions avec le psychologue et la fillette qu’on a su que cette dernière devait s’occuper de ses deux petits frères, car ses parents étaient en état d’ivresse en permanence. »

Mirella raconte que c’est à partir de ce moment-là que l’administration de l’école est intervenue pour tenter de trouver une solution et aider l’élève à avoir de bonnes notes. « Je m’assurais qu’elle mangeait bien. Chaque matin, nous nous parlions en aparté et nous avions des discussions concernant ses devoirs. J’essaie de trouver des moyens pour susciter son intérêt. Il est aussi de notre devoir de l’aider à s’épanouir. »

Zuheira Ameer : « L’alcool est présent dans les événements familiaux »

Pour la sociologue Zuheira Ameer, l’alcoolisme est devenu un fléau social. Selon elle, aujourd’hui, lors des fêtes familiales ou même à l’anniversaire d’un bébé, l’alcool est consommé sans retenue. « La mentalité des parents par rapport à l’alcool a changé. Si auparavant, beaucoup ne buvaient pas devant leurs enfants, désormais, l’alcool est présent dans tous les événements familiaux. Par ailleurs, certains parents, qui se disent modernes, pensent que c’est mieux que leurs progénitures consomment de l’alcool devant eux, pensant ainsi que ces derniers seront moins tentés de se droguer. »

Or, poursuit-elle, cela a l’effet inverse. Car, dit-elle, nombre de jeunes se disent qu’ils ont eu l’habitude et commencent donc à boire et à fumer devant leurs parents. « Inconsciemment, beaucoup de parents initient leurs enfants à ces mauvaises habitudes. » 

Zuheira Ameer met l’accent sur l’importance de la cellule familiale pour chaque individu. C’est la famille qui l’aide à se développer et à évoluer, tout en le préparant à vivre en société. « Un enfant apprend les valeurs morales, la culture et le respect des autres dès son plus jeune âge.

Un enfant en bas âge apprend en imitant les grands, les adultes de la maison aussi bien que ses frères et sœurs. Ceux qui vivent avec des parents alcooliques grandissent et finissent par accepter que la vie sociale est ainsi, y compris les violences conjugales et les disputes interminables. La plupart d’entre eux sont souvent victimes et éprouvent des difficultés à se concentrer dans leurs études. »

 

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