Nouvelle drogue dangereuse sur le marché : bienvenue à Zombieland...

L’île Maurice est sous la menace directe d’une nouvelle substance, appelée drogue du zombie, un mélange d’héroïne et de xylazine. On recense une vingtaine de cas d’overdose. De quoi faire craindre le pire, surtout si jamais le fentanyl, à l’origine d’une véritable crise aux États-Unis notamment, venait à gagner nos côtes.

«Vinn mari vilin ar  sa ladrog-la… » À Roche-Bois, la drogue du zombie fait déjà des ravages, rapporte un habitant. « Pe tann dir zombi pe vande dan Karo depi de ou trwa mwa parla », déclare-t-il, sous le couvert de l’anonymat. « Pe vande Rs 100 pokek. Tann dir kan fime redi. Gagn palpitasyon. Leker vane... » ajoute-t-il.

Lors des trois dernières semaines, une vingtaine de cas d’overdose ont été recensés. Alors que cette nouvelle drogue dangereuse se propage à vitesse grand V à travers le pays, les travailleurs sociaux, ONG, autorités sanitaires, professionnels de la santé et autres parties prenantes de la lutte contre la toxicomanie ne cachent pas leurs préoccupations. Notamment devant l’impact dévastateur de la drogue du zombie sur la santé publique.

C’est quoi au juste, la drogue du zombie ? Cette substance, qui est de teint rose/orange, est un mélange explosif d’héroïne et de xylazine. Elle est connue pour son effet paralysant. Les signes distinctifs de cette drogue, en plus de sa couleur, comprennent des effets sédatifs et des risques graves, tels que la perte de mémoire et l’amnésie.

Selon les informations recueillies par Le Dimanche/L’Hebdo auprès des professionnels de la santé, la xylazine, un produit chimique créé dans des laboratoires en Chine, transite par l’Afrique du Sud avant de passer par l’île de la Réunion, pour finalement atteindre le sol mauricien. Nos sources privilégient l’axe maritime, les lagons du Nord, de l’Ouest et du Sud-Ouest étant fortement soupçonnés d’être les points d’entrée de cette substance. 

Une fois entre les mains des trafiquants, la xylazine est mélangée à l’héroïne. La couleur de l’héroïne, nous fait-on comprendre, qui varie entre un blanc cassé et le crème, prend une teinte rose, voire orange une fois mélangée avec la xylazine. Ce mélange est ensuite commercialisé comme de l’héroïne. Si certains trafiquants fournissent des indications quant aux composants de cette nouvelle drogue aux consommateurs, d’autres ne le font pas.

Le Dimanche/L’Hebdo est en présence d’informations selon lesquelles certains amateurs de sensation forte mélangeraient cette substance avec de la drogue synthétique avant de la fumer. C’est ce qu’affirme l’habitant de Roche-Bois. « Dimoun fim li parey kouma simik. Nek roule ek fime », dit-il. Nous avons tenté d’avoir plus de renseignements quant aux divers endroits où la xylazine est commercialisée. Mais en vain. « Difisil kone sa. Trafikan-la melanz lapoud-la ar simik-la. Konsomater-la mem pa pou kone », nous répond-il.

Toutefois, Ally Lazer, le président de l’Association des travailleurs sociaux de Maurice (ATSM), a sa petite idée. Il énumère plusieurs endroits où la drogue du zombie serait, selon lui, en train d’être commercialisée. Ces localités sont Karo Kalyptis à Roche-Bois, Résidence Ste-Claire à Goodlands, Résidence Barkly et au jardin de Plaine-Verte, entre autres lieux. 

« Cette situation me propulse dans les années 80, quand l’héroïne a fait son apparition dans le pays. Les consommateurs de l’époque n’avaient aucune notion de cette drogue. Zot ti nek pe konsome, akoz samem ena ti pe fer overdose. Cette situation est en train de se répéter », s’inquiète Ally Lazer. 

Il explique que des amateurs de sensations fortes, « qui n’ont aucune expérience de la vie », sont en train de tenter une nouvelle drogue très puissante. Si certains se l’injectent dans les veines, d’autres la fument. « Ils sont loin de se douter des méfaits de cette drogue du zombie », se désole Ally Lazer.

Il rappelle que « la drogue du zombie est en train de faire des ravages non seulement à Maurice, mais à travers le monde ». « Cela fait un peu plus de trois semaines que je tire la sonnette d’alarme, mais personne ne m’écoute », affirme-t-il. 

Et la situation pourrait davantage se détériorer, prévient le travailleur social et ancien ministre Sam Lauthan. L’ancien assesseur de la commission d’enquête sur la drogue, présidée par l’ancien juge Paul Lam Shang Leen, redoute l’entrée du fentanyl dans le pays. « Le fentanyl, connu pour sa puissance et sa dangerosité, pourrait aggraver la crise actuelle liée à la drogue du zombie », précise-t-il. 

L’apathie actuelle des autorités face à cette menace imminente pourrait entraîner des conséquences graves sur la santé et la sécurité de la population, met-il en garde. « C’est évident. Ce mélange de drogues communément appelé ‘drogue du zombie’ est en train de causer du tort à un bon nombre de personnes. C’est la raison pour laquelle les autorités doivent, une fois pour toutes, prendre les mesures qui s’imposent », plaide-t-il.

Sam Lauthan est en faveur d’« une approche participative afin de lutter non seulement contre la drogue du zombie, mais également contre toutes les drogues présentes dans le pays ». « Les autorités portuaires/aéroportuaires, ainsi que la force policière doivent faire de leur mieux afin de mener des opérations visant à saisir la plus grande quantité de drogues entrant sur le territoire mauricien. Les parents, ainsi que les institutions religieuses ont également leur rôle à jouer, en adoptant une approche primaire afin de faire face à la situation. Le troisième volet est le traitement individuel. Le quatrième volet est la prévention de la rechute. Mais avec cette nouvelle drogue, la situation est beaucoup plus grave », dit-il.

Ally Lazer appelle, quant à lui, à une action immédiate pour contenir la propagation de cette menace grandissante, soulignant la nécessité d’une sensibilisation accrue et de mesures préventives pour protéger la population mauricienne. « Que les autorités se mobilisent pour identifier les sources de cette drogue, et que les forces de l’ordre intensifient leurs efforts pour démanteler les réseaux de trafic associés à cette substance illicite », insiste-t-il.

 Le Dr Anil Jhugroo, psychiatre et addictologue : «Le mélange d’héroïne et de xylazine est explosif»

Le Dr Anil Jhugroo, psychiatre et addictologue à l’hôpital psychiatrique Brown Sequard de Beau-Bassin, confirme qu’une vingtaine de cas ont été recensés au cours des trois dernières semaines. Des consommateurs, précise-t-il, ont perdu connaissance après avoir consommé cette nouvelle drogue. 

« Cette substance, communément appelée drogue du zombie, est en fait un mélange d’héroïne et de xylazine. Autrement dit, les trafiquants renforcent l’héroïne afin d’augmenter les effets et les consommateurs éprouvent une sensation de longue durée et d’intensité après avoir pris leurs doses », explique le Dr Jhugroo. 

La xylazine, qui n’est ni un opiacé ni une drogue psychoactive, n’est pas addictive, fait-il savoir. « C’est le mélange d’héroïne (qui est un opiacé) et de xylazine (qui est un puissant sédatif pour les grands animaux) qui est explosif ! » prévient-il. Si certaines personnes s’évanouissent après avoir consommé cette substance, d’autres sont sujettes à des vertiges, font des crises d’épilepsie, ou encore connaissent des arrêts cardiaques sur place, poursuit le Dr Anil Jhugroo.

Comment cette drogue agit-elle sur le corps humain ? Le psychiatre et addictologue explique qu’une fois dans l’organisme, ce puissant mélange affecte d’emblée les neurones. Les muscles du corps se bloquent. L’individu perd tous ses moyens physiques. Puis, il sombre immédiatement dans une paralysie catatonique. 

« Au sein de l’hôpital psychiatrique, nous avons interrogé certains patients au sujet de la consommation de cette nouvelle drogue. Ces derniers nous ont fait comprendre que les individus consomment cette drogue à travers des cigarettes ou par injection », explique le Dr Anil Jhugroo. 

Il indique, par ailleurs, que les trafiquants de drogue mélangent la xylazine avec l’héroïne en raison de sa disponibilité sur le marché. « Mais dans d’autres pays, des trafiquants optent pour le fentanyl au lieu de l’héroïne », ajoute-t-il. Ce qui pourrait créer une situation intenable à Maurice, si jamais le fentanyl atteignait nos côtes…

Kunal Naik redoute une hausse des overdoses dans les semaines à venir  

Le psychologue et addictologue Kunal Naik souligne que « la xylaxine est un tranquillisant vétérinaire ». Ce tranquillisant, dit-il, est à l’origine d’un bon nombre d’overdoses à l’étranger. « Un bon nombre de consommateurs de drogue mélangent la xylazine avec d’autres drogues comme le fentanyl », explique-t-il. Le fentanyl n’est pas présent « pour le moment » à Maurice. 

« La xylazine est vendue avec de l’héroïne », poursuit Kunal Naik « Les gens croient qu’ils sont en train d’acheter de l’héroïne, mais ils ont affaire à un mélange de xylazine et d’héroïne. Ce mélange est extrêmement puissant et peut causer beaucoup de torts à l’organisme, tels que l’amnésie ou la perte de mémoire », prévient-il. 

Il craint qu’il y ait « un grand nombre d’overdoses dans les semaines à venir, car les individus ne savent pas ce qu’ils consomment ». Il faut impérativement hospitaliser les consommateurs qui se retrouvent dans un état second après avoir consommé cette substance, souligne-t-il. 

Kunal Naik est catégorique : la xylazine est une drogue importée, et le ou les importateurs ont peut-être introduit une grosse cargaison à Maurice. « On comprend que la xylazine n’est pas aussi chère lorsqu’elle est achetée en gros. Nous n’avons aucune visibilité quant aux moyens employés pour introduire cette substance sur le sol mauricien. Il se pourrait qu’un individu ait introduit une cargaison à Maurice, et que la substance est coupée, puis mélangée à de l’héroïne. La dose de ce mélange est peut-être vendue au même prix que l’héroïne, soit entre Rs 200 et Rs 250 le quart », dit-il. 

Quid des régions où cette nouvelle drogue est commercialisée ? « Nous pensons que cette drogue est disponible dans la région de Mahébourg notamment. Cela s’explique par les cas d’overdoses qui y ont récemment été recensés. Il est fort probable qu’il y ait des réseaux à travers le pays », redoute Kunal Naik.

La SST : «Les réseaux s’étendent partout» 

La Police Headquarters Special Striking Team (SST) a été sollicitée dans le cadre de cette enquête. « Cette drogue se consomme par inhalation, mais également par voie de fumée ou d’injection », nous fait-on comprendre. Avant d’ajouter que la drogue du zombie résulte d’un mélange complexe de diverses composantes chimiques, parmi lesquelles figure l’héroïne. « Il s’agit d’une combinaison de deux ou trois drogues », précise-t-on. 

La SST rappelle que le trafic de stupéfiants dépend étroitement des principes fondamentaux de l’offre et de la demande : « C’est un marché comme un autre. Ceux qui proposent un produit de meilleure qualité réalisent les meilleures ventes. Ensuite, bien entendu, les individus dépendant de substances illicites continueront à se droguer pour satisfaire leur demande. »

Selon la SST, comme la drogue du zombie vient de faire son apparition dans le pays, elle ne figure pas sur la liste des drogues reconnues en raison de sa composition chimique inconnue. « Les individus se l’injectent pour ressentir un plaisir maximum le plus rapidement possible, bien que les fumeurs soient les plus dépendants », ajoute la SST. 

L’unité, souligne-t-on, mènera des opérations à travers le pays pour déjouer les stratagèmes des trafiquants et effectuer le maximum de saisies de drogue possibles. « Les trafiquants de drogue sont plus rusés que jamais. Leurs réseaux s’étendent partout, et ils positionnent leurs ‘jockeys’ à des kilomètres de distance, rendant ainsi nos opérations plus ardues. Cependant, la SST travaille actuellement sur des renseignements qui porteront préjudice à ces organisations. À titre d’exemple, une opération a été menée, mercredi dans la région de Mahébourg, suivie d’une autre opération, jeudi, à Port-Louis », déclare-t-on.

Quel est le profil de ces trafiquants de drogue ? « Certains individus n’ont aucun scrupule. Ils peuvent être de simples personnes, des individus d’apparence ordinaire. Ils peuvent être les plus grands trafiquants de drogue dans un quartier. Cependant, une fois qu’un trafiquant est appréhendé, l’un de ses proches prendra rapidement la relève. Et cela, en moins de cinq minutes. C’est incroyable, mais c’est la réalité », déplore la SST. 

On a tendance à parler, poursuit la SST, d’une approche holistique, mais tout dépend de sa mise en œuvre. « Il faut parler un langage de vérité. Savez-vous pourquoi les gens continuent de se droguer ? 99 % des consommateurs de drogue ont commencé pour améliorer leur endurance sexuelle. Malheureusement, beaucoup ont été piégés dès leur troisième dose », précise la SST.