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Mobilisation collective - Grève de la faim : solution ultime pour obtenir justice

Grèves et manifestations sont des rituels incontournables du paysage mauricien. Leur efficacité peut être parfois limité, souvent à cause d’un certain repli individualiste, mais leur impact est indéniable, certaines d’entre elles ayant même marqué l’histoire.

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1943, 1971, 1975, 1979. Des années, marquées par des révoltes collectives et populaires, inscrites dans les annales. Manifestations, grèves, grèves de la faim… Aujourd’hui encore, des travailleurs sociaux, syndicalistes et ONG, victimes des  injustices du système, ont recours à ces modes de revendication. Rien qu’en 28 jours, en mai dernier, il y a eu quatre grèves de la faim à travers le pays. Toutes ont eu des issues plus ou moins favorables aux grévistes, si ce n’est celle de Jayen Chellum, symbolique, contre le projet Metro-Express.

Prithviraj Sombary Doss, employé de la Corporation et secrétaire de la NTCWPU nationale de transport (CNT) suspendu le 2 mai, a été réintégré à son poste après sept jours d’une grève de la faim.  « Cette grève m’a permis d’alerter l’opinion publique. C’était ma dernière option, sinon ti pou fini donn mwa mo fey de rout », déclare le syndicaliste. Il rappelle la dernière grève des employés de la CNT en 2013, soit plus de 30 ans après la grève d’un jour des travailleurs de la CNT.

Alors que Prithviraj Sombary Doss commençait sa grève, les ex-souscripteurs au Super Cash Back Gold et à Bramer Asset Management mettaient fin à leur grève de protestation, débuté 13 jours plus tôt.

Cette grève aura eu raison des autorités qui n’ont eu d’autre choix que d’ouvrir le dialogue et de promettre qu’une solution sera trouvée d’ici un mois. Sur le mot d’ordre de Salim Muthy, les six grévistes de la Vidu Cooperative Society ont aussi mis un terme à leur mouvement de protestation le même jour. Un soulagement pour Swokwandee Gobin, une veuve de 74 ans : « Sa laz la komie pou kapav tini, nek bwar delo ? Je ne dormais pas, j’étais faible, j’avais de la fièvre… » Il s’agissait pour cette mère de famille qui s’est privée de nourriture pendant dix jours, de se battre pour son dû : « Monn travay dan karo, travay pou dimoun, swayn vas, cabri. J’ai eu cinq enfants. Je les ai tous mariés et ils ont chacun leur maison. J’ai voulu économiser un peu d’argent pour mes vieux jours.» Comme elle, chacun a sa propre histoire et garde espoir. que le gouvernement tiendra parole.


Alain Laridon : «Une arme puissante»

Il a été sur tous les fronts pour faire avancer la classe laborieuse. Alain Laridon, ancien syndicaliste, député et ambassadeur, était au premier rang quand la deuxième vague de la lutte militante a touché Maurice. Des grèves, il en a connu plusieurs. En 1971, il participe à la grève générale des syndicats. Cette année-là, toute la classe travailleuse se mobilise et Maurice connaît une de ses plus grandes luttes syndicales. Résultatss: 12 % d’augmentation salariale générale. « En 71, la vie était dure et chère et c’est le gel des salaires qui a provoqué la grève des travailleurs du transport et du port aux cotés des syndicalistes portés par Paul Bérenger. »

Huit ans plus tard, Alain Laridon entame sa première grève de la faim. L’histoire retient que c’est la seule grève durant laquelle huit personnes n’ont rien mangé ni bu durant cinq jours d’affilés. « C’est une des plus grandes grèves du pays et elle a duré près de 20 jours. Une mobilisation populaire intense qui a vu défiler plus de 2 000 personnes au quotidien. » Parmi les principales revendications : la semaine de 40 heures et la reconnaissance des syndicats des laboureurs et des artisans.

Alain Laridon fait ressortir que la grève de la faim doit être utilisée comme dernier recours pour sensibiliser la population et rallier la société civile à une cause commune. « C’est une arme puissante qu’il ne faut utiliser que quand tous les autres moyens de négociations et de revendications ont été vains. »


Salim Muthy : «Toute une organisation autour d’un objectif clair»

Salim Muthy, travailleur social, regrette le temps des mobilisations populaires et générales des années 70. « Sa lepok la bann gran pouvwar politik ti pe desann lor lari.  Il y a eu un changement à 360 degrés. Les grèves et autres manifestations ne sont plus que l’affaire des travailleurs sociaux, des syndicalistes ou d’une poignée de citoyens, dépendant de la cause. » Retraçant les épisodes de ces changements,  Salim Muthy parle d’un peuple qui s’est endormi après les 60-0 de 1982. S’en sont suivis des tiraillements au sein du gouvernement et « l’installation d’un communalisme inexistant jusqu’alors». « La classe politique a été démantelée et nous sommes entrés dans un système de sakenn lager pou li », souligne le travailleur social.

Salim Muthy, convaincu de la force de frappe d’une grève de la faim pour réveiller la conscience du gouvernement, soutient qu’elle devrait être l’ultime recours en cas de litige.

« Entamer une grève de la faim requiert toute un organisation autour d’un objectif clair, dit-il. Il faut s’assurer de l’adhésion de l’opinion publique à la cause et du soutien des medias. Il ne faut pas banaliser une telle démarche mais avoir un moral solide, savoir quand entamer la mobilisation et quand l’arrêter. »

Initiateur et participant de plusieurs grèves de la faim, Salim Muthy estime avoir atteint ses objectifs dans la plupart des cas. Pour cause: la communication a été rétablie avec le gouvernement au sujet des souscripteurs à la SCBG. En 2006, la grève contre le Sale by Levy a mené à la création d’un fonds de soutien de Rs 100 millions à l’intention des victimes. Une loi a aussi été votée pour la protection des emprunteurs. La grève autour de la fermeture de la DWC, la même année, s’est soldée par le paiement d’une compensation aux employés.  Idem pour les employés de l’ex-Infinity de Jean Suzanne. Il y a aussi eu la grève de Mario Darga, en 2010, en faveur des femmes dont le mari était porté manquant.  Elles devaient attendre sept ans pour pouvoir toucher une allocation sociale. Ce délai a été ramené à trois ans.

Parmi les autres manifestations du genre qui ont connu un dénouement positif : celle de Jayen Chellum contre l’annulation des subventions de l’Etat à l’ACIM, celle de Jeff Lingaya contre les zones d’ombre autour du projet de la centrale à charbon, celle des extracteurs de sable et la manifestation des planteurs de Riche-Terre qui a duré 28 jours.  « Nous avons évité le pire car il a failli avoir mort d’homme lors de cette grève, se souvient Salim Muthy. Une grève, bien calculée et organisée, porte des fruits. »


Catherine Boudet : «Un acte violent en réponse à une violence de l’État»

La vague de grèves et de manifestations dans le pays indique clairement une faille dans le système mauricien. Pour la socio-politologue Catherine Boudet, tout découle de notre « système capitaliste où le pouvoir n’est détenu que par une poignée d’individus ». Elle note cependant qu’à Maurice et en raison de la loi anti-manifestation, la rue reste relativement silencieuse comparée à d’autres pays démocratiques.

En général, une grève est « un acte de violence en réponse à une violence de l’Etat ou du système économique », résume-t-elle. « Pour qu’une grève fonctionne, il lui faut absolument l’adhésion de l’opinion publique. » Tout est une question de jeu de pouvoir. Les mobilisations s’organisent lorsque l’Etat ne joue pas pleinement son rôle de répondre aux besoins de la population. « Les mouvements de protestation démontrent que les institutions et les partis politiques ont quelque part failli et en l’absence de dialogue, le peuple n’a d’autre choix que de descendre dans la rue  pour revendiquer ses droits et stabiliser la situation », conclut la socio-politologue.


Ce que dit la loi

La manifestation collective est un droit humain à laquelle toute démocratie doit se plier. Il existe cependant des lois cadres pour la règlementation des mouvements de protestation et de revendication. À Maurice, la Public Order Act de 1970 interdisant tout rassemblement public, a été remplacée par la Public Gathering Act en 1991.  Selon les provisions de cette législation, toute manifestation doit au préalable recevoir l’approbation du Commissaire de police.  Autrement, elle est illégale si elle regroupe plus de 12 personnes.  En effet, une manifestation publique comprend toute marche, procession, meeting ou autre rassemblement regroupant plus de douze personnes. La participation à une manifestation illégale est passible d’amende ne dépassant pas Rs 25 000 et d’une peine d’emprisonnement de quatre ans.


Brin d’histoire…

Grèves et manifestations ont rythmé la vie sociale à Maurice bien avant l’indépendance. Petit rappel de quelques évènements qui ont marqué les esprits.

  • 1937 : Grève où des travailleurs aux champs s’opposent aux propriétaires. L’Etat a dû faire usage de la force pour rétablir l’ordre.
  • 1943 : Nouvelle grève des travailleurs aux champs. Riposte sanglante des autorités. Quatre personnes, dont Anjalay Coopen, tombent sous les balles des forces de police.
  • 1971 : Le port, le transport et les municipalités sont paralysés par des grèves. Plusieurs dirigeants syndicaux et politiques sont arrêtés et emprisonnés à la suite de ces mobilisations.
  • 1975 : La révolte estudiantine. Plus de 10 000 manifestants dans les rues. La mobilisation mènera à la gratuité de l’éducation secondaire et au droit de vote à 18 ans au lieu de 21 ans.
  • 1979 : La grève de la faim au jardin de la Compagnie marquée par les représailles de la Riot Unit au gaz lacrymogène. Un combat pour la semaine des 40 heures et la reconnaissance de deux syndicats de l’industrie sucrière, entre autres.
  • 1990 : Trois jours de black-out total dans le pays suite à la grève  des employés du Central Electricity Board. La manœuvre infructueuse provoquera le licenciement de 14 dirigeants du syndicat. Le courant est rétabli de force par les soldats de la SMF.
 

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