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Megh Pillay, ancien CEO d’Air Mauritius : «Sans MK, le tourisme prendra des années à se reconstruire»

Le sort d’Air Mauritius est loin d’être scellé. Car, au cas où le plan de sauvetage des administrateurs serait accepté, la compagnie d’aviation nationale aura à se débrouiller avec une flotte réduite de moitié. Certes, plus jeune, mais bien plus coûteuse et possiblement inapte à son réseau de desserte pas encore bien élaboré, prévient Megh Pillay, l’ancien CEO d’Air Mauritius.  

Le gouvernement envisage d’injecter Rs 12 milliards dans Air Mauritius, soit Rs 9,5 milliards pour rembourser les créanciers et Rs 2,5 milliards pour les dépenses de la compagnie. Cependant, l’État compte apporter cette aide financière qu’à condition que le « Deed of company arrangement » reçoive l’aval de la majorité des créanciers lors de la « Watershed meeting » prévue le mardi 28 septembre. Peut-on dire que le sort d’Air Mauritius n’est toujours pas scellé quand on sait que la liquidation et la fin de l’administration volontaire sont les deux autres options proposées ?
On peut le dire, c’est à la Watershed Meeting que les créanciers décideront de renflouer ou liquider MK. L’administration a proposé un plan de restructuration de la dette qui, selon lui,  permettra à la compagnie aérienne de reprendre les opérations commerciales pour le profit de ses créanciers.  Il précise, d’ailleurs, que les Rs 9,5 milliards en devises lourdes ne concernent que la somme due aux créanciers à la date de son arrivée le 22 avril 2020. On peut donc déduire que la perte de Rs 1,7 milliard enregistrée depuis sous sa garde au 31 août 2021, malgré les économies des coûts, n’est pas couverte par ce prêt de Rs 9,5 milliards du gouvernement. Ainsi, au cas où le plan serait accepté, MK aura à se débrouiller avec une flotte réduite de moitié, plus jeune, mais bien plus coûteuse et possiblement inapte à son réseau de desserte pas encore bien élaboré. Les frais opérationnels d’une ligne aérienne étant lourds, le prêt additionnel de Rs 2,5 milliards promis comme working capital ne ferait pas long feu, surtout avec l’incertitude qui prévalent sur le marché.

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À elle seule, MK faisait entrer quelque Rs 20 milliards en devises dans l’économie du pays annuellement, même quand elle affichait des pertes."

À quelques jours de la réouverture des frontières, à quel point est-il important de faire redécoller le paille-en-queue ?
L’avenir nous le dira ! Le rapport de l’administration nous rappelle que, malgré les pertes des deux dernières années, MK opérait plus de 12 500 vols par an avant la Covid-19. Sans les 35 vols quotidiens opérés en temps normal, on peut imaginer l’impact sur les opérateurs économiques de l’aéroport et les auxiliaires du tourisme.  Même si elle affichait des pertes importantes en 2018 et 2019, il faut reconnaître que la compagnie aérienne remplissait 78 % de ses 2,3 millions de sièges offerts sur sa flotte de 13 avions. Donc, elle faisait 1,7 million de passagers franchir les portes de Plaisance et de Plaine Corail chaque année en alimentant toute la chaîne de notre industrie de voyages / loisirs / affaires.  On ne le sait peut-être pas,  mais MK, contribuait à remplir aussi les avions de ses concurrents, dont Emirates, sous des accords commerciaux. À elle seule, la compagnie aérienne faisait entrer quelque Rs 20 milliards en devises dans l’économie du pays annuellement, même quand elle affichait des pertes dans ses comptes. Mais qu’importe sa contribution directe et indirecte dans le Produit national brut (PNB) bénéficiait à tout le pays. Elle ne doit pas être sous-estimée ou escamotée quand certains prennent plaisir à critiquer les petites faiblesses de sa gestion ou quelques éléments égarés au sein de son personnel. 

Quelle en sera la conséquence sur le tourisme en particulier ?
Sans MK, l’économie du tourisme sera certainement fragilisée et prendra des années à se reconstruire pour retrouver un équilibre durable à son niveau d’antan. Maurice, étant une destination réputée et très demandée, son tourisme reprendra, mais dans un nouveau modèle qui risque de faire très mal à terme. Elle n’a pas les mêmes caractéristiques que les Maldives ou les Seychelles et ne doit pas s’aventurer à les copier aveuglément. Le secteur voyage / tourisme est bien plus intégré de façon systémique dans l’économie mauricienne. Elle mobilise à plein temps plus de 130 000 personnes au sein de petites et moyennes entreprises et self-employed, de manière profitable pour chacun.  Notre modèle le permet, même si les grands hôtels pratiquent essentiellement le ‘all-inclusive package’, en quasi-isolation de cette filière qui n’en bénéficie que des miettes de la manne. Le jour où même l’argent encaissé pour le billet d’avion sur Maurice cessera d’être injecté dans notre économie, il faudra craindre qu’on devienne une destination ‘all-inclusive’ verticalement intégrée qui ne profitera qu’aux opérateurs étrangers. La valeur ajoutée sur l’exploitation de nos ressources ira ailleurs. Le gouvernement perdra le contrôle de la politique du tourisme un peu comme les hôtels sont prisonniers de la formule ‘all-inclusive’ imposée par les agences étrangères. C’est le modèle courant des destinations exotiques attirantes localisées dans les pays très sous-développés. C’est le tourisme colonial du passé où on débarque, profite du soleil, de la mer et de l’hospitalité et reparte sans y dépenser un sou, ayant déjà payé l’intégralité de son séjour ailleurs. Ni les taxis, les restaurants, les guides, les marchands, personne n’en profite, mais au mieux ne recueillent que des miettes en sous-traitance. Voilà, le scénario probable sans MK. 

Admettons que le plan de sauvegarde est approuvé, que faudrait-il changer dans la gestion de MK pour éviter qu'à l'avenir, on se retrouve avec une compagnie aérienne minée par la mal-gouvernance ?
La gouvernance d’entreprise tout simplement. Air Mauritius ne devra plus être géré de l’extérieur par des individus parachutés au sein de son Board et de son Management, qui prennent tout le contrôle sous prétexte qu’ils agissent au nom des dirigeants mandatés par le peuple. La classe politique doit respecter les lois et les codes de conduite qu’elle a fait adopter pour la bonne gouvernance des entreprises publiques et privées, et employer MK comme le moteur de l’économie qu’elle est et pas autrement. Le rapport de l’administration fait état des pertes enregistrées sept ans sur les 15 dernières années. En lisant attentivement, on verra qu’à part le « hedging » catastrophique de 2008 / 2009 et les achats d’avions dont elle n’avait pas besoin en 2018 et 2019, la compagnie générait le plus souvent un surplus commercial très raisonnable pour une ligne aérienne. On est bien placé pour savoir que sans ingérence externe au niveau de sa gestion, MK aurait été une compagnie encore plus profitable, même quand l’aviation internationale passait des moments difficiles.

Sans ingérence externe au niveau de sa gestion, MK aurait été une compagnie encore plus profitable, même quand l’aviation internationale passait des moments difficiles"

Pour les administrateurs, neuf avions suffisent pour les opérations de MK. Ils recommandent aussi qu’Air Mauritius desserve 50 % moins de destinations (Ndlr : la compagnie comptait 15 avions et opérait 22 destinations avant l’éclatement de la Covid-19). N’est-ce pas drastique comme recommandation quand on sait que les opérateurs estiment que la destination ne propose pas assez de vols ?
La flotte d’une ligne aérienne est conçue dans sa composition, sa diversité et sa capacité à remplir efficacement la mission qu’elle compte accomplir et cela est décidé en réponse à la demande du marché qu’elle exploite. Les gestionnaires qui ont dirigé cette compagnie sur 55 ans en savent sûrement quelque chose, car cette flotte a évolué de manière dynamique et avec succès sur plus de 50 ans de son existence. Ce n’est pas le même type d’avions qui puissent être déployés sur les long-courriers tels que Londres et Paris, les moyen-courriers (Mumbai et Johannesburg), ou les court-courriers (Madagascar, La Réunion et Rodrigues). Le volume de trafic n’est pas le même non plus. Donc, la mission de MK est plus complexe que celle de Ryan Air, par exemple, qui opère plus de 400 Boeing 737 sur des vols de courte durée de 30 à 90 minutes. L’hétérogénéité et la capacité de flotte expliquent aussi la diversité des effectifs employés pour son exploitation. La comparaison et le bench-marking avec d’autres peut être dangereuse si on juge sans savoir. Cela dit, on sait très bien que MK s’est lancée dans des acquisitions folles d’avions, dont elle ne pouvait pas exploiter ni même garer. Elle céda sous le poids de quatre gros porteurs reçus en 2019. Donc, il fallait judicieusement réduire la flotte d’urgence, mais pas n’importe comment. 

En parlant de vols, à partir du début d’octobre,  le nombre de vols par semaine passera de 15 à 60. Ce qui reste inférieur au nombre de vols proposés chaque jour avant la pandémie. Peut-on se permettre d'avoir une compagnie aérienne non ambitieuse et privée de l'une de ses ailes quand on connaît les enjeux ?
Au fait, la  compagnie aérienne opérait  12 645 vols en 2019, soit 35 par jour. Avec l’ouverture, la demande évoluera suivant l’adoption du nouveau protocole du transport international, de l’appétit de la clientèle traditionnel et la mise en place de la machinerie commerciale. Si la demande l’exige, la capacité de la flotte peut facilement augmenter en louant des appareils à relativement bien moins cher qu’avant la Covid-19. La location sur les courts et moyens termes est plus économique que  l’achat d’avions. Elle permet une adaptation sur mesure suivant la progression de la demande variable sur les différentes routes du réseau.

Parlons d'emplois. Deux chiffres ressortent du rapport des administrateurs : 1 200 employés seraient surnuméraires avancés et 95 % des revenus encaissés entre le 23 avril 2020 au 31 août 2021 ont été engloutis par le paiement des salaires et les dépenses opérationnelles administratives. Il y aussi le drame humain que vivent les employés dont certains ont été remerciés, d’autres sont au chômage, dont des ex-lauréats, sans parler de la baisse des salaires. En tant qu'ancien CEO d'Air Mauritius, estimez-vous que la compagnie était autant en sureffectif ou faut-il y voir là plutôt une forme de justification de la part des administrateurs pour restructurer MK ?
L’ampleur de l’emploi d’effectifs pléthoriques à MK a été l’objet des études des professionnels de ressources humaines de l’aviation commerciale. Il y en avait dans certains secteurs, mais dans d’autres, il manquait d’effectifs.  Ce n’est pas surprenant, car MK cède souvent à la pression politicienne pour employer des personnes non qualifiées dont elle n’a pas besoin. En temps normal, la compagnie aérienne peut tenir le coup. Mais dans la conjoncture, l’administration n’a pas vraiment le choix, car le dégraissage fait partie d’une restructuration. Cependant, cet exercice doit être transparent afin d’éviter toute perception de victimisation, car ceux qui restent doivent être reconnus comme étant vraiment essentiels à la bonne marche de l’entreprise.

Peut-on dire qu’Air Mauritius paie aujourd’hui ses erreurs passées, soit un cocktail de mauvaise gestion, des décisions financières très coûteuses et des largesses à tout bout de champ ?
Malheureusement, oui on peut, mais le tout chapeauté par l’ingérence externe indésirable dans la gestion courante de ses affaires et dans l’élaboration de sa stratégie.

MK cède souvent à la pression politicienne pour employer des personnes non qualifiées, dont elle n’a pas besoin."

Des critiques fusent quant aux rémunérations perçues par les administrateurs d’Air Mauritius. On parle ici de Rs 47,5 millions perçues entre le 23 avril 2020 et le 31 août 2021. D'aucuns disent que des honoraires aussi faramineux correspondent aux salaires de près d'une centaine d'employés par an. Quel est votre sentiment ?
Je ne partage pas du tout ces critiques et la comparaison ne tient pas la route.

 

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