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«Mauritian Time» : Retard chronique ou allergie à la ponctualité

« L’exactitude est la politesse des rois. » Ce n’est pas Louis XVIII qui en dira le contraire. D’autant plus que le retard n’a jamais été aussi normalisé qu’à notre époque. À Maurice, il est devenu presque acceptable d’arriver en retard à une réunion, à un événement mondain et à un rendez-vous professionnel ou personnel. L’excuse toute trouvée : c’est le ‘Mauritian Time’ !

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Aswin : «Je ne suis jamais à l’heure»

Aswin, 25 ans, est un retardataire chronique. « J’ai toujours dix mille choses à faire et je suis convaincu de pouvoir contrôler mon temps à la minute près », confie le jeune homme. Seulement voilà, il est de ceux qui se font toujours attendre. « Même en sachant que je serai en retard, je ne peux m’empêcher de dresser dans ma tête un emploi du temps très serré. Si je dois commencer à travailler à 8 heures, je prévois une demi-heure de gym avant, dix minutes sous la douche, cinq minutes pour m’habiller et quinze minutes de route en voiture. Je considère cela comme une gestion judicieuse de mon temps. »

Sauf qu’Aswin n’est jamais à l’heure. Pour cause, il ne prévoit que l’essentiel et oublie les détails tels que l’absence du savon dans la salle de bains, le manque d’eau dans le radiateur de la voiture, une tache sur une chemise qui le force à se changer… Du coup, il arrive toujours à destination avec 10 à 15 minutes de retard.

Et encore, pour ce qui est du travail, le jeune homme essaie de faire l’effort d’être « pile à l’heure ». Mais pas question d’être en avance. « Dix minutes d’avance, ce sont dix minutes à attendre et dix minutes de gaspillées, car j’aurais pu les utiliser pour faire autre chose. Donc pour moi, être en avance c’est comme perdre mon temps », conclut Aswin.

Gérard : «Je suis plus efficace dans l’urgence»

« Pour être créatif, j’ai besoin d’être à la bourre », lance d’emblée Gérard, maquettiste. Cet artiste dans l’âme est à classer dans la catégorie de ceux qui ne parviennent à travailler que dans l’urgence. « Si j’essaie de prendre de l’avance, je ne sors rien de bon. Il faut tout recommencer au dernier moment », affirme-t-il. Avec lui, ce qui exige un effort impossible tant qu’il a du temps devant lui devient tout à coup facile et surtout fructueux. « J’ai besoin de cette adrénaline, de sentir l’échéance toute proche, pour pouvoir avancer efficacement. » Conscient que son attitude puisse être un problème pour ses collaborateurs, Gérard a beau essayer d’agir autrement, mais il n’y arrive pas. D’ailleurs, face aux plaintes de ses collègues, son employeur joue la carte de l’humour, sachant parfaitement qu’au final, le travail sera fait et bien fait.

Un héritage du passé

Gestion du temps, date butoir, pression du calendrier… Nous courons tous après le temps. Cependant, là où telle culture dans le monde considère que nous, Mauriciens, sommes effroyablement en retard, une autre trouvera que l’on est raisonnablement à l’heure. Une différence qui s’explique par l’histoire et les schémas culturels de chacun. Le « Mauritian Time » serait donc, selon l’historien Benjamin Moutou, un héritage du passé, remontant à l’abolition de l’esclavage.

« Les esclavages contraints de se lever aux aurores, au son d’une clochette ou à coups de fouet sur les domaines sucriers, livrés à eux-mêmes à l’abolition de l’esclavage, ont développé une sorte de ’je-m’en-foutisme’. Vu qu’ils ne savaient pas lire et qu’ils n’avaient pas de montre, l’heure était le cadet de leurs soucis », explique l’historien. D’autant, poursuit-il, qu’ils n’avaient plus aucune obligation.

Benjamin Moutou souligne que se laisser aller était aussi une manière – certes tardive – pour eux de contester, voire de se révolter contre les obligations et les misères du passé. D’où l’expression très prisée des Mauriciens : « Mo pa travay ar twa, mo pa to esklav mwa. » Ou encore « lesklavaz inn aboli depi lontan », quand un patron veut imposer des règlements très strictes, surtout concernant les horaires de travail.

L’antithèse du retardataire

« Être à l’heure, c’est être en retard. » Antithèse du retardataire chronique, Mahen est un adepte de cet adage. Ce fonctionnaire d’une quarantaine d’années ne risque pas d’être pris de court par le temps. Il prévoit toujours un quart d’heure voire une demi-heure d’avance sur son planning. « Ces minutes d’avance nous donnent le temps nécessaire pour venir à bout des petites difficultés que l’on pourrait rencontrer en chemin. Comme trouver un parking, trouver l’adresse exacte du lieu de rencontre, gérer les embouteillages… » Et s’il ne rencontre aucune difficulté ? « Ce sera du temps en plus pour aborder sereinement ma réunion », conclut-il.

Point de discorde dans le couple

C’est connu : les femmes mettent plus de temps que les hommes à se préparer. Ce n’est pas pour autant que ces dames s’y prennent à l’avance. Edley, marié à Joyce depuis plus de douze ans, ne comprend toujours pas cette fâcheuse habitude de s’y prendre à la dernière minute. « Cela gâche tout le plaisir de sortir », confie le jeune homme.

En effet, pour un dîner, un mariage ou une soirée entre amis, il y a toujours l’un des deux qui boude. Joyce pour avoir été trop bousculée et Edley parce qu’ils sont finalement en retard.
« L’affaire se corse davantage si nous devons rebrousser chemin pour avoir oublié le cadeau ou le porte-monnaie dans la précipitation », souligne Joyce avec le sourire.

Mettre le feu aux poudres

Ne faisant pas grand cas des récriminations de son mari, Joyce est convaincue d’avoir dix mille bonnes raisons pour justifier son retard. « Lui, il n’a qu’à s’habiller, se chausser et se parfumer. Pour ma part, avant de pouvoir m’occuper de moi, je dois choisir ses vêtements et ceux des enfants, les repasser, faire prendre leur bain aux enfants, veiller à ce qu’ils soient bien mis… Bref, je suis toujours la dernière à entrer dans la salle de bains et donc la dernière à en sortir ! »

Edley ne l’entend pas du tout de cette oreille : « Si elle s’y prend à l’avance, il n’y a aucune raison pour que l’on ne soit pas à l’heure. C’est juste qu’elle aime faire dix mille choses à la fois et à la dernière minute… C’est une mauvaise habitude et un manque de discipline. » Voilà qui met le feu aux poudres. « J’aimerais bien t’y voir toi, le donneur de leçons : s’occuper des enfants, préparer les choses ou la nourriture à emporter, emballer le cadeau, écrire la carte, se coiffer, s’épiler, appliquer son vernis à ongle, se maquiller… » lance Joyce. Cette tirade pourrait s’éterniser. Douze ans que cela dure et ce n’est pas demain la veille que cela changera.

Trois questions à Rajen Suntoo Sociologue

Pourquoi le Mauricien est souvent, voire tout le temps en retard ?
Plusieurs facteurs pourraient l’expliquer. Prenons le cas des politiciens. Ils ont de nombreux engagements qu’ils veulent, autant que possible, respecter. Ils sont sollicités de toutes parts. Mais ne pouvant être partout à la fois, ils sont forcément en retard quelque part.  Idem pour les grands chefs d’entreprises, qui sont, pour la plupart, toujours en retard et toujours pressés. Ils ont, en fait, un agenda très chargé. Dans le contexte mauricien, les embouteillages jouent aussi beaucoup sur la ponctualité. D’où la nécessité d’appliquer le « flexi-time », en particulier dans la fonction publique. Et bien sûr, il y a les retardataires chroniques.

Qu’est-ce qu’un retardataire chronique ?
La ponctualité ne fait pas partie de son vocabulaire. Il est en retard par habitude. C’est dans sa nature. Il est donc incorrigible. Pour lui, c’est normal d’être en retard. Vous pouvez lui infliger des centaines de sanctions, mais il ne changera pas. Outre une ignorance certaine de la ponctualité, les retardataires chroniques ont en commun le génie d’exaspérer leur entourage. Lequel se retrouve toujours piégé au jeu des bonnes raisons et autres mauvaises excuses : problèmes de transport, emploi du temps surchargé, impératif de dernière minute…

Le Mauritian Time, mythe ou réalité ?
Rien qu’à voir ces milliers de personnes courir pour attraper leur bus, plus qu’une réalité, je dirais que cela semble presque même ancré dans les mœurs. À tel point que quand on invite quelqu’un pour 16 heures, il faut comprendre 16 h 30. Autrement, vous arrivez à l’heure-dite et votre hôte n’est pas prêt à vous accueillir. Ou vous prévoyez tout pour 16 heures et personne n’est là avant une bonne demi-heure. Un laisser-aller grandement dû à notre culture de tolérance. En Allemagne ou en Israël, par exemple, le retard est inconcevable voire sévèrement sanctionné.

 

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