
L’économiste ne qualifie pas les taxes imposées par Donald Trump de « bombe atomique économique ». Elle appuie son propos par des chiffres scientifiques détaillant le calcul du pourcentage des taxes. Pour elle, il y a des opportunités à saisir.
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« La politique commerciale de Trump mélange calculs économiques, symbolisme et improvisation, ou simple ignorance de la géographie mondiale »
Le président Donald Trump a imposé des taxes sur presque tous les produits étrangers entrant aux États-Unis. S’agit-il d’une bombe atomique économique ?
Avec la politique de Donald Trump, nous nous retrouvons dans les années 1800… une « guerre commerciale » aux conséquences économiques majeures. Mais peut-on pour autant parler d’une « bombe atomique économique » ?
Les objectifs des taxes douanières sont soi-disant de protéger l’industrie américaine. En taxant les importations, les produits étrangers deviennent plus chers, ce qui favorise la production locale. C’est aussi une pression pour réduire le déficit commercial et exploiter les tarifs comme levier contre les partenaires commerciaux.
Cependant, cela entraînera une augmentation des prix. Les entreprises américaines paieront plus cher pour les importations, et ces hausses seront répercutées sur les consommateurs, y compris sur tous ceux qui soutiennent l’administration Trump.
Il y aura également des représailles d’autres pays : la Chine, l’Union Européenne, le Canada imposeront des taxes sur les produits américains, pénalisant ainsi certains secteurs. Des perturbations des chaînes d’approvisionnement sont déjà visibles, et les entreprises dépendantes des importations (comme l’automobile) ont subi des coûts supplémentaires.
Plutôt qu’une apocalypse économique, il s’agit d’une « grenade » aux effets limités, mais douloureux. Le véritable test sera la capacité des entreprises américaines à absorber ces hausses de coûts sans perdre en compétitivité.
Donald Trump insiste sur le fait que les États-Unis ont été la « vache à lait » du monde et qu’il faudrait y mettre fin. Est-ce réellement le cas ?
Cet argument repose sur l’idée que le pays aurait soutenu économiquement et militairement ses alliés sans contrepartie équitable. Pour l’OTAN, les États-Unis dépensent 3,5 % de leur PIB pour la défense. Trump critique les pays européens qui ne paient pas assez tout en bénéficiant de la protection américaine.
Trump estime que des pays comme la Chine (via les délocalisations) et le Mexique ont profité des échanges au détriment des travailleurs américains. Il dénonce les subventions européennes à Airbus (face à Boeing) ou les barrières douanières sur les voitures américaines. Et les États-Unis sont le premier contributeur au budget de l’ONU (22 %).
« Maurice peut négocier une exemption partielle en jouant la carte géostratégique »
Sans oublier le rôle du billet vert…
Il y a également le fait que le dollar, en tant que monnaie mondiale, confère un avantage considérable. 60 % des réserves des banques centrales sont en dollars, ce qui permet aux États-Unis de s’endetter à faible coût.
En outre, les sanctions économiques (par ex. contre l’Iran, la Russie) fonctionnent parce que le système financier mondial dépend du dollar. Les bases militaires américaines à l’étranger (Diego Garcia, Allemagne, Japon, Corée du Sud) renforcent leur contrôle stratégique à l’échelle mondiale.
L’Europe a payé un prix élevé pour les sanctions contre la Russie (hausse des prix de l’énergie...). Le Japon et la Corée du Sud financent une partie des troupes américaines sur leur sol. La position américaine relève moins d’un « altruisme exploité » que d’un calcul stratégique global.
Dans sa liste de pays taxables, il y a un îlot qui est taxé à 20 %, alors qu’il n’y a aucun habitant, sauf des pingouins et des manchots. Ridicule ?
Vous faites référence aux îles Malouines (Falkland Islands), un territoire britannique d’outre-mer que l’administration Trump a inclus dans sa liste de taxes douanières à 20 % sur les produits de la pêche (notamment le calamar, une exportation clé de la région). Les cibles indirectes sont l’Argentine et le Royaume-Uni. Les Malouines sont un point de tension historique entre l’Argentine (qui les revendique) et le Royaume-Uni (qui les administre). En taxant leurs exportations, Trump visait peut-être à soutenir l’Argentine (allié potentiel des USA dans la région) ou à faire pression sur le Royaume-Uni dans les négociations post-Brexit.
Les Malouines exportent 70 000 tonnes de calamar par an (vers la Chine, l’Espagne, etc.). Une taxe américaine pourrait affaiblir un concurrent des pêcheurs américains et envoyer un message aux Britanniques (« Coopérez commercialement, ou nous toucherons à vos territoires »). Cela aura peu d’impact réel… mais un précédent étrange.
Les Malouines vendent surtout en Asie, donc la taxe américaine les affecte peu. Mais cela illustre comment la politique commerciale de Trump mélange calculs économiques, symbolisme et improvisation, ou simple ignorance de la géographie mondiale.
Maurice est touchée par une taxe de 40 % sur ses produits exportés vers les États-Unis. Quels effets immédiats ?
Si le taux maximum imposable à Maurice est de 30 %, la TVA et les taxes d’accises peuvent affecter les résultats. En utilisant leur formule, voici ce qu’il en est pour Maurice. Selon les chiffres de l’USTR pour 2024, les exportations s’élevaient à 48,0 M$, les importations à 234,5 M$. Le déficit commercial était de 186,5 M$. En utilisant la formule de l’administration pour 2024, on arrive au taux suivant : (48-234,5)/234,5 = 79,5 %.
Et comme ils utilisent un « discounted rate » en divisant par 2, les États-Unis imposent des droits de douane de 40 %. Les conséquences immédiates seraient graves pour l’économie de l’île, mais aussi pour certains secteurs américains. Une taxe de 40 % rendrait ces produits beaucoup moins compétitifs sur le marché américain.
Sauf pour les macaques, qu’on soit pour ou contre ce commerce, il faut bien comprendre que Maurice a une réelle proposition de valeur unique (Unique Value Proposition). Maurice étant un pays insulaire, les macaques n’ont pas les mêmes types de pathologies que ceux des continents, et c’est une espèce très prisée pour la recherche. Maurice est l’un des plus grands exportateurs mondiaux de macaques de laboratoire, avec environ 10 000 à 12 000 singes exportés par an avant la pandémie, dont 50 à 60 % vont vers les États-Unis.
Il y a une rareté des alternatives : la Chine (ancien premier exportateur) a restreint ses ventes en 2020, augmentant la dépendance envers Maurice. Le Cambodge et le Vietnam émergent comme concurrents, avec des coûts parfois inférieurs. Si l’industrie pharmaceutique arrête ses importations de Maurice, il y a des risques de perte immédiate : 30 à 40 M$ par an (50 % du marché mauricien disparaîtrait). Il y a le risque des effets collatéraux avec la fermeture possible des élevages locaux (10 centres emploient 1 500 personnes) et une baisse des revenus indirects (vétérinaires, transporteurs).
On risque d’avoir une baisse brutale des exportations. Les importateurs américains chercheraient des fournisseurs moins taxés (Bangladesh, Vietnam pour le textile ; Thaïlande pour le thon). Il y a un risque de chômage sectoriel, car l’industrie textile emploie près de 50 000 Mauriciens (10 % de la population active) et les usines pourraient réduire leurs effectifs ou fermer. Une chute des ventes aggraverait le déficit commercial mauricien.
La solution, s’il y en a une ?
La solution pour Maurice serait la recherche de nouveaux marchés (Europe, Afrique, Asie), car nous avons des accords peu exploités avec l’Inde (CECPA - Comprehensive Economic Cooperation and Partnership Agreement), et avec la Chine, le FTA (Free Trade Agreement).
Nous n’exportons pas plus de Rs 6 milliards annuellement vers les États-Unis, ce n’est qu’une goutte d’eau et Maurice n’est pas épargnée par une taxe de 40 %. Quel est votre avis ?
Vous avez tout à fait raison de souligner que cela ne représente qu’une infime fraction du commerce américain. Mais une taxe soudaine de 40 % sur les exportations mauriciennes vers les États-Unis aurait toutefois des conséquences disproportionnées pour Maurice, malgré le volume relativement faible. Cela prend du temps pour trouver de nouveaux marchés.
Il y a sans doute des raisons politiques : un avertissement ciblé. Peut-être Washington pourrait vouloir dissuader des partenariats stratégiques (comme la Smart City développée par les Chinois), ou la location des îles du territoire, si on conclut une coopération militaire avec Pékin. Ce qui, selon moi, est difficile, car notre conseiller en sécurité est Indien. C’est probablement un avertissement, notamment concernant l’accord sur les Chagos.
Maurice peut négocier une exemption partielle en jouant la carte géostratégique. Maurice pourrait s’allier à l’Union européenne pour faire pression, peut-être via la France, surtout que le président Emmanuel Macron sera en visite à Maurice. Il y a aussi la collaboration avec les lobbies pharmaceutiques aux États-Unis, et la possibilité de faire un plaidoyer en incluant la conférence BIO 2025, qui se tiendra bientôt au Boston Convention Center.
« Ces deux axes – valorisation de la recherche locale et repositionnement géopolitique – offrent des pistes concrètes pour influencer les négociations commerciales »
Nous exportons principale-ment quatre produits : le textile/habillement, les pierres précieuses et semi-précieuses, le thon, et surtout les macaques. Est-ce que ces 40 % de taxe concernent ces produits ?
Mais oui, cela semble être le cas. Si les États-Unis imposent une taxe douanière de 40 % sur les exportations mauriciennes, ces quatre secteurs clés seraient directement menacés.
Pour le textile, les importateurs américains chercheraient des alternatives moins chères (Bangladesh, Vietnam, Éthiopie). Une taxe de 40 % rendrait le textile mauricien non compétitif (par exemple, un T-shirt à 5 USD passerait à 7 USD, alors qu’il coûte 3,5 USD au Bangladesh). Nous devons redéfinir notre offre. Il y a des possibilités de fermetures d’usines (déjà fragilisées par la concurrence asiatique). La ferme marine exportait beaucoup aux États-Unis, cela aura un impact sur ses exportations, sauf si le marché peut absorber les coûts. Il y a un risque de chômage accru.
Je suis moins inquiète pour les pierres précieuses et semi-précieuses (taillées ou montées). C’est un marché souvent à marges élevées avec moins de sensibilité au prix.
En ce qui concerne le thon en conserve, les longes et autres produits de la pêche, les conserveries réduiraient leurs achats à Maurice. Le thon mauricien (déjà concurrencé par l’Équateur et les Seychelles) perdrait des parts de marché. Et cela comporte des risques pour les usines de transformation.
Pour le sucre et les produits dérivés (rhum), le sucre mauricien (déjà en déclin) perdrait son accès au marché américain. Mais nous avons d’autres marchés à exploiter.
Le secteur du textile est en émoi avec la possibilité que l’Africa Growth and Opportunity Act (AGOA) soit revu ou annulé. Coup dur pour notre textile ou faudrait-il trouver d’autres moyens de contourner le problème ?
Si les États-Unis révisent ou annulent l’AGOA, le textile mauricien perdrait son accès préférentiel au marché américain (droits de douane nuls ou réduits). Cela constituerait un choc sévère, mais non insurmontable.
La possible perte des avantages commerciaux de l’AGOA menace gravement le secteur textile mauricien, qui dépend largement de l’accès en franchise de droits au marché américain. Sans l’AGOA, les exportations mauriciennes seraient soumises à des droits de douane de 15 à 30 %, réduisant fortement leur compétitivité face aux producteurs asiatiques comme le Bangladesh et le Vietnam. Bien qu’inquiétante, cette crise représente aussi une opportunité de diversification et de modernisation du secteur.
Maurice doit urgemment explorer de nouveaux marchés via des accords régionaux comme la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) et le CECPA avec l’Inde. Parallèlement, les usines doivent automatiser leurs processus et optimiser leur logistique pour réduire les coûts.
Le gouvernement doit intensifier ses efforts diplomatiques pour préserver les avantages de l’AGOA ou négocier de nouveaux termes bilatéraux avec les États-Unis.
« Avec le climat qui règne actuellement, il faut se préparer au pire et espérer le meilleur »
Trump a évité de taxer des pays comme la Russie, la Corée du Nord et quelques autres pays connus pour leur non-respect de la démocratie. Avez-vous une explication ?
La politique commerciale de Trump était moins guidée par des principes démocratiques que par des intérêts stratégiques et économiques. Pour la Russie, la géopolitique actuelle complexe pousse à éviter l’escalade. Trump a déjà imposé des sanctions ciblées, mais pas de taxes douanières massives. La Russie est un partenaire énergétique et militaire indirect, notamment avec le gaz. Cela se reflète dans le dialogue sur l’Ukraine. En représailles, Moscou aurait pu limiter ses exportations de titane (essentiel pour Boeing) ou perturber le marché pétrolier.
Avec la Corée du Nord, il y a peu d’échanges commerciaux à taxer. Les sanctions bloquent déjà 95 % des échanges. L’Arabie Saoudite, la Turquie, et l’Égypte sont tous des alliés stratégiques des États-Unis : l’Arabie Saoudite, avec le pétrole et des contrats d’armement, et la Turquie (sous Erdogan), membre de l’OTAN et un partenaire dans la démarche vers l’Ukraine. Ainsi, Trump souhaitait sans doute éviter les conflits inutiles avec ces pays pour préserver des intérêts sécuritaires.
Navin Ramgoolam a dit qu’il fallait surmonter cette épreuve et que s’il pouvait rencontrer Donald Trump, il est sûr de pouvoir renverser cette taxe en notre faveur. Utopique ?
La possibilité que Navin Ramgoolam obtienne l’annulation des taxes imposées par Trump semble difficile, mais pas impossible. Maurice doit développer une stratégie économique proactive. Trump ne cède qu’à des intérêts directs – les macaques exportés pour la recherche pharmaceutique pourraient servir de monnaie d’échange.
Plutôt que d’exporter ces primates, Maurice devrait négocier l’implantation de centres de recherche locaux par les laboratoires américains, transformant ainsi l’exportation d’animaux en exportation de données. Cette approche s’inscrirait dans le développement de la biopharmacie mauricienne.
Parallèlement, sur le dossier des Chagos, une posture de partenaire stratégique plutôt que d’adversaire pourrait avantager les intérêts nationaux. Ces deux axes – valorisation de la recherche locale et repositionnement géopolitique – offrent des pistes concrètes pour influencer les négociations commerciales.
Même si les PME et les TPE ne sont pas directement concernées par cette taxe, elles ont des contrats avec les grandes entreprises qui sont liées à l’exportation vers les États-Unis. Comment s’annonce leur avenir, plutôt pâle ?
Même si les taxes ne visent pas directement les petites entreprises, l’effet domino sera sévère. Il existe toute une industrie de la sous-traitance et des chaînes d’approvisionnement. Une PME textile qui fournit des boutons ou des emballages aux grandes usines d’exportation verra ses commandes chuter si les grosses entreprises perdent le marché américain. Un transporteur local qui livrait le thon vers les États-Unis devra réduire son activité.
Il y a un risque de crise de liquidité en cascade. Si les grands exportateurs ralentissent ou licencient, les PME qui leur vendent des services (nettoyage, maintenance, restauration) perdront des revenus. Cela engendrera des risques de faillites en série dans les secteurs indirects.
La solution réside dans une diversification, un regroupement pour mutualiser les coûts logistiques et exporter directement. Avec le climat qui règne actuellement, il faut se préparer au pire et espérer le meilleur.
Le calcul, dit bizarre, de Trump pour les taxes
Pourquoi les taxes de Trump sont-elles aussi élevées, alors que l’UE ne taxe presque pas les produits américains ? L’économiste Manisha Dookhony explique de manière technique comment Trump est arrivé à ces taux de taxes élevés. Selon elle, l’administration Trump a utilisé une formule assez complexe pour arriver à ces chiffres.
Voici comment cela fonctionne, en termes simples :
Trump utilise une méthode qui compare les exportations (les produits que les États-Unis vendent à d’autres pays) et les importations (les produits que les États-Unis achètent). Cette méthode calcule le changement du taux de taxe sur les produits en fonction de la différence entre ce que les États-Unis exportent et ce qu’ils importent. Plus la différence est grande, plus le taux de taxe augmente.
La formule exacte que Trump utilise est la suivante :
Changement de taxe = (exportations - importations) / importations
Cette formule permet de déterminer comment les taxes vont changer. Par exemple, si un pays exporte beaucoup plus qu’il n’importe, cela peut conduire à des taxes plus élevées sur les produits importés.
L’écart entre les taxes élevées imposées par Trump et les faibles taxes de l’UE sur les produits américains vient donc de différences dans les stratégies économiques et commerciales de chaque région. En moyenne, les taxes de l’UE sur les produits américains sont de seulement 1 %, tandis que la méthode de Trump se base sur l’écart entre exportations et importations, ce qui conduit à des taxes plus élevées.

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