
Suttyhudeo Tengur (APEC) et Jayen Chellum (ACIM) appellent à encadrer la publicité et la consommation de « junk food » à Maurice. Selon eux, seule une approche globale combinant éducation, réglementation et activité physique permettra de protéger les enfants.
Publicité
L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) recommande l’interdiction ou la réduction des publicités pour la « junk food » destinée aux enfants. Il s’agit d’enjeux de santé publique, économiques, culturels et législatifs, selon Suttyhudeo Tengur, président de l’Association pour la protection de l’environnement et des consommateurs (APEC). Il estime qu’une telle mesure est réalisable, mais qu’elle nécessite une approche graduelle, bien planifiée et appuyée sur des compromis. « Interdire ou réduire la publicité n’est qu’une partie de la solution. Il faut combiner prévention, éducation, régulation, incitation et encadrement du marché », estime-t-il.
Jayen Chellum, secrétaire général de l’Association des consommateurs de l’île Maurice (ACIM), ajoute que la réussite de cette démarche dépend d’une volonté politique forte. « Une réglementation stricte sur la vente et la publicité de ‘junk food’ ne sera réaliste que si le gouvernement adopte une politique de tolérance zéro. La volonté politique doit être très forte pour contrer les obstacles qui se dresseront. »
Enfants à risque
Pour illustrer l’urgence, Suttyhudeo Tengur cite une étude menée chez des enfants de 9 à 10 ans : 17 à 19 % sont en surpoids, 5 % obèses, tandis que 12 à 13 % présentent une minceur préoccupante. Leur alimentation se caractérise par une faible consommation de fruits, de légumes et de fibres, et une forte présence d’aliments transformés riches en sucre et en graisses. « On observe une double charge : surpoids et obésité d’une part et malnutrition d’autre part. Le problème de santé est bien réel », fait-il observer.
Jayen Chellum insiste sur l’importance d’une approche préventive. « Il doit y avoir une politique orientée vers la prévention des maladies cardiovasculaires, du diabète et d’autres affections. L’objectif est d’aller vers l’aspect préventif de la médecine. »
Obstacles et lobbying
Suttyhudeo Tengur évoque le poids économique des entreprises : boissons sucrées, snacks, fast-foods et céréales ultratransformées qui investissent massivement dans la publicité. « Une grande partie de leur chiffre d’affaires dépend de la création d’habitudes alimentaires dès l’enfance. Elles peuvent exercer un lobbying auprès des responsables politiques, invoquant pertes d’emplois, liberté d’entreprendre ou d’expression, et efficacité douteuse de telles restrictions », explique le président de l’APEC.
Le secrétaire général de l’ACIM ajoute que l’OMS a déjà établi une feuille de route pour guider l’approche. Mais la mise en pratique dépend du gouvernement. « Sans volonté politique, cette application restera lettre morte ou ne sera suivie que très partiellement. »
Sensibilisation
Selon Suttyhudeo Tengur, beaucoup de Mauriciens connaissent vaguement les risques liés aux aliments trop sucrés, gras ou salés. Et la connaissance précise des effets à long terme – maladies chroniques, obésité infantile, diabète de type 2, cancers – reste souvent incomplète ou mal comprise. De plus, l’attention se porte davantage sur les calories ou le sucre que sur le degré de transformation des aliments, pourtant un facteur clé de nocivité.
Pour Jayen Chellum, cette méconnaissance favorise les habitudes de consommation. « Beaucoup fréquentent les fast-foods pour gagner du temps ou par manque de temps pour préparer leurs repas à la maison. Nombreux sont ceux qui, absorbés par leur téléphone portable et menant une vie sédentaire, mangent rapidement et entraînent leurs enfants dans ces habitudes, en leur donnant des bonbons et des boissons sucrées », fait-il remarquer.
Habitudes culturelles
Suttyhudeo Tengur alerte sur les données locales. « La consommation de fruits et légumes est insuffisante, moins d’un enfant sur trois en consomme quotidiennement, tandis que boissons sucrées, snacks et fast-foods sont largement présents. » Pour lui, la prévalence des maladies non transmissibles, comme le diabète et l’hypertension, reste élevée, mais le lien avec les aliments ultratransformés n’est pas toujours bien compris par le public.
Jayen Chellum pointe également les habitudes culturelles. « Dans notre société, l’alimentation est au centre des rencontres sociales. Recevoir des proches signifie souvent bien manger, avec des aliments sucrés. Nous n’avons pas la pratique de partager des fruits lors de ces occasions. »
Le manque d’activité physique aggrave la situation. Suttyhudeo Tengur insiste sur la nécessité d’agir dans les écoles et les communautés. « Il faut proposer des alternatives, éducation nutritionnelle et pratiques sportives, pour créer un environnement favorable à de meilleurs choix alimentaires. »
Le secrétaire général de l’ACIM déplore la situation dans les jardins d’enfants. « Nous voyons des espaces qui n’accueillent plus les cris joyeux des enfants. Il n’existe pas d’initiatives intégrées pour proposer des activités physiques autres que les balançoires. Il faut réinventer ces lieux pour favoriser la marche, le vélo et l’exercice. »
Éducation
Les deux intervenants insistent sur l’importance de l’éducation. Le président de l’APEC plaide pour un étiquetage clair et visuel, un soutien à l’alimentation locale et non transformée, et l’éducation dès le plus jeune âge. Selon Jayen Chellum, l’éducation nationale n’a pas suffisamment mis l’accent sur une alimentation saine. « L’aspect académique a pris le dessus, et de nombreux parents, ayant grandi dans cet environnement, sont devenus des consommateurs de fast-foods et d’aliments peu nutritifs. Certains donnent même des sucreries à leurs enfants pour l’école, ce qui n’est pas une approche saine. »
Solutions
Face à ces défis, Suttyhudeo Tengur et Jayen Chellum s’accordent sur plusieurs mesures. Ils proposent un étiquetage nutritionnel clair et obligatoire ; la taxation des produits sucrés, sur le modèle du tabac. Ils préconisent aussi la réglementation de l’offre dans les écoles et les cantines ; le soutien à l’alimentation locale et non transformée et l’éducation nutritionnelle dès le plus jeune âge. Ils plaident pour la création d’environnements urbains favorisant la marche, le vélo et l’activité physique, avec pistes cyclables et espaces de loisirs adaptés.
Pour eux, l’enjeu dépasse la simple interdiction de la publicité. Il s’agit de mettre en place une approche globale, combinant sensibilisation, régulation et action collective, pour protéger la santé des enfants mauriciens et encourager des choix alimentaires responsables.
Des mesures contre l’obésité
Afin de mieux contrer l’obésité, une Obesity Action Acceleration Roadmap (2025-2030) sera bientôt lancée. Le nouveau plan prévoit cinq actions prioritaires pour réduire la prévalence de l’obésité dans la population mauricienne.
La première action vise à renforcer la prévention et la prise en charge de l’obésité tout au long de la vie, à travers les services de soins primaires et les programmes communautaires. Le deuxième axe consiste à promouvoir et à créer des environnements favorables à l’activité physique, adaptés à tous les âges et dans différents contextes.
Il est aussi prévu de cibler la restriction de la commercialisation des aliments ultratransformés et des boissons sucrées, afin de limiter leur consommation dans la population. Le plan prévoit en parallèle des campagnes de communication pour inciter des comportements sains en matière d’alimentation, d’activité physique et de recours aux services de santé. La cinquième priorité consiste à accroître la production agricole locale et l’accès à une alimentation saine. Ce qui garantira la disponibilité d’aliments sûrs et de qualité à un prix abordable.
Cette feuille de route s’inscrit dans la volonté du gouvernement de lutter contre l’obésité à Maurice et de favoriser des habitudes alimentaires et des modes de vie plus sains.
Enquête sur les habitudes des Mauriciens
L’enquête sur les habitudes alimentaires des Mauriciens âgés de 5 à 74 ans, menée en 2022, révèle une forte prédominance du régime non végétarien. En effet, 94,1 % des participants consomment une variété d’aliments d’origine animale, tandis que 3,9 % se déclarent végétariens (incluant le lait et les produits laitiers) et seulement 1,4 % suivent un régime strictement végane, excluant tout produit animal.
Les données montrent également des différences intéressantes selon les groupes d’âge. Le petit-déjeuner est largement consommé, avec 79,7 % des enfants de 5 à 11 ans, 68,5 % des adolescents (12-19 ans), 79,2 % des adultes de 20 à 49 ans et 88,1 % des seniors de 50 à 74 ans qui déclarent en prendre tous les jours de la semaine.
La consommation de boissons sucrées reste préoccupante. Si seulement 1,6 % des enfants de 5 à 11 ans et 7,1 % des personnes âgées de 12 à 74 ans en boivent quotidiennement, la majorité des participants admettent en consommer au moins une fois par semaine.
Concernant les légumes, 53,2 % des enfants déclarent en manger au moins deux portions par jour, tandis que 37,2 % en consomment au moins une portion au quotidien. Les fruits sont un peu plus présents : 80,2 % des enfants mangent au moins un fruit par jour.
Les produits laitiers occupent une place importante dans l’alimentation : 87,8 % des enfants boivent du lait quotidiennement, contre 74,1 % des participants âgés de 12 à 74 ans.

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