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Linda Lam : la rebelle au chapeau blanc

Linda Lam, brandissant haut sa pancarte, dit se battre pour ses convictions.

Mauricienne d’origine chinoise, Linda Lam détonne. Depuis la pandémie, cette mère de famille bat le pavé, enchaîne les combats citoyens et défie les conventions. Portrait d’une militante qui a troqué sa zone de confort contre un chapeau blanc et des convictions.

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Dans le flot des manifestants qui défilent régulièrement dans les rues de Port-Louis, elle ne passe pas inaperçue. Chapeau en toile blanche orné d’une bande aux couleurs du drapeau mauricien, lunettes fumées, silhouette menue mais déterminée. Linda Lam est reconnaissable entre mille. Et pour cause : elle est l’une des rares – sinon la seule – Mauricienne d’origine chinoise à battre le pavé avec cette constance.

Son nom ne dit peut-être rien au grand public. Mais ce petit bout de femme à des convictions profondes. L’histoire commence en 2021, en plein cœur de la pandémie de COVID-19. Linda Lam est alors une mère de famille comme les autres, vivant dans ce qu’elle appelle aujourd’hui sa « zone de confort ». Fonctionnaire, épouse, mère de deux enfants. Une vie bien rangée.

Puis arrive ce formulaire de consentement pour faire vacciner ses enfants contre la COVID. « On me donne un formulaire qui disait que si mon enfant avait des effets secondaires graves ou même mourait avec le vaccin anti-COVID, l’État ne serait pas responsable. Ce sont nous, les parents, qui aurions été être responsables ? Ma main tremblait quand je devais signer le ‘consent form’. Donc, je n’ai pas signé. »

Ce jour-là, Linda Lam bascule. La mère protectrice devient militante. Elle ne signera pas ce formulaire. Mais surtout, elle ne restera pas seule dans son refus. « J’ai décidé de me battre pour que mes enfants puissent avoir accès à l’école sans un pass vaccinal. »

Elle crée alors No Covid Vax For Kids, un mouvement apolitique qui fédère d’autres parents inquiets. Conférences de presse, mobilisation sur les réseaux sociaux, interpellation des autorités : Linda Lam découvre le militantisme par la force des choses. Quelques jours après leur première intervention médiatique, la ministre de l’Éducation d’alors recule. Le vaccin n’est pas obligatoire, seulement recommandé. « J’avais sauté de joie. C’était une première victoire. »

Cette victoire aurait pu être la dernière. Linda Lam aurait pu reprendre sa vie d’avant. Mais quelque chose s’est débloqué en elle. Le combat se poursuit alors naturellement. Si ses enfants sont protégés, d’autres Mauriciens restent pris dans l’étau du pass vaccinal. Linda Lam crée Nou Pas Bann Cobaye pour défendre les adultes privés d’accès à leur lieu de travail : professeurs, équipages aériens, pêcheurs. « Après un an de combat actif sur le terrain et un battage médiatique sur les réseaux sociaux, on a gagné la bataille », dit-elle avec un large sourire.

Collection de « Pa Touss »

Pour Linda Lam, le principe est clair et non négociable : « Le gouvernement ne peut forcer et faire du chantage à la population pour se faire vacciner. » Elle invoque le Code de Nuremberg, ce texte fondateur de l’éthique médicale né des procès de l’après-guerre : « Aucun traitement médical ou d’expérimentation ne peut être imposé sans le consentement libre et éclairé de la personne. »

Son argumentaire est rodé, martelé dans chaque interview : « Un vaccin est considéré comme un médicament. Il y a des effets secondaires sévères qui sont très graves. On ne peut forcer des gens car notre corps est notre temple. Normalement un vaccin prend 10 ans avant d’être mis sur le marché. Nous n’acceptons pas d’être des cobayes. »

La militante a trouvé sa formule, son credo, presque sa marque de fabrique : le « Pa Touss ». Il y aura notamment Pa Touss Nou Sim Card, un mouvement contre le réenregistrement obligatoire des cartes SIM, mesure qu’elle juge arbitraire et attentatoire aux libertés. Même arsenal déployé : marches pacifiques, conférences de presse, pression sur les réseaux sociaux, recours devant la Cour suprême avec l’aide d’avocats engagés. En novembre 2024, nouvelle victoire. Le gouvernement de l’Alliance du Changement, fraîchement élu, abolit le réenregistrement comme promis en campagne.

Aujourd’hui, Linda Lam soutient Pa Touss Nou Pension, la plateforme syndicale qui conteste la réforme reportant l’âge d’éligibilité de la pension universelle de 60 à 65 ans. Pour elle, c’est « un coup de poignard dans le dos » : « Dans quelle démocratie digne de ce nom touche-t-on à l’État-providence sans dialogue, sans préavis, sans concertation avec les syndicats et les acteurs de la société civile ? Le gouvernement n’a pas jugé utile d’informer ni de consulter. »

L’électron libre

Ce qui frappe chez Linda Lam, au-delà de ses combats successifs, c’est sa singularité au sein de sa propre communauté. Les Mauriciens d’origine chinoise sont, en effet, traditionnellement discrets et peu portés sur les manifestations publiques. Lorsqu’on évoque cette atypie, Linda Lam sourit. Comme si elle s’attendait à la question. Comme si elle l’avait déjà entendue mille fois. « Oui je suis consciente de cela. J’étais pareille et j’avais très peur jusqu’au jour où j’ai dû descendre dans la rue pour défendre mes enfants. Depuis ce jour-là, ma peur a disparu graduellement. Il faut être courageux et ne avoir peur de ‘voice out’ là où il y a injustices et discriminations. »

Mais elle reconnaît que son militantisme « gêne énormément » sa famille, hormis son époux qui la soutient et l’encourage. « La plupart des membres de ma famille ne sont pas contents. Ils disent que je perds mon temps et qu’en retour je n’ai rien, même pas d’argent. »

Qu’importe. Ce qui la porte, ce sont ses convictions. Cette transformation personnelle, Linda Lam aimerait la voir se répliquer à l’échelle de la société mauricienne. Elle observe avec attention la mobilisation croissante des jeunes dans les manifestations et y voit un signe encourageant. « Il est grand temps que les jeunes se réveillent, comme ceux du Népal. »

Pour elle, les réseaux sociaux et l’accès à l’information ont changé la donne : « On est mieux informés maintenant via les médias et les réseaux sociaux. Et on est très déçus par les politiciens qui passent des lois ou des règlements arbitraires. Donc, les jeunes commencent à agir. C’est pourquoi on doit leur montrer que le pouvoir se trouve entre nos mains. Ce sont nous, les citoyens, qui avons le pouvoir. »

Elle reconnaît cependant que les Mauriciens restent « de nature passive et moins demonstratifs ». « Ils ont peur de perdre leur travail, surtout les fonctionnaires et s’ils ‘voice out’, ils peuvent être victimes de transferts punitifs. » Mais cette passivité apparente ne signifie pas absence de conscience politique. La preuve ? Le raz-de-marée électoral de 2024 qui a balayé l’ancien gouvernement avec un score sans appel de 60-0, souligne-t-elle.

Chien de garde, pas politique

La politique active ? Linda Lam écarte l’idée d’un revers de main. Pas question de franchir ce pas. « Je n’y pense pas pour le moment. Je déteste les injustices et les discriminations. Donc, je préfère militer pour les droits humains et être comme un chien de garde. »

Un chien de garde. L’expression revient souvent dans sa bouche. Celle qui veille, qui aboie quand quelque chose ne va pas, qui ne lâche pas prise. Pas celle qui gouverne ou qui légifère. Linda Lam a trouvé sa place dans l’écosystème démocratique mauricien : celle de la vigie citoyenne, de l’empêcheuse de tourner en rond, de la femme au chapeau blanc qui rappelle aux puissants que le peuple existe.

Sur le pavé mauricien, Linda Lam continue son chemin. Chapeau blanc vissé sur la tête, convictions intactes, mari à ses côtés. Elle refuse de se taire et espère, par son exemple, faire bouger les lignes. « Je veux être une inspiration », dit-elle.

 

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