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Les tirs contre l’ambassade de France - Shafick Osman: «L’incident est relativement mineur»

Quelles leçons tirer des coups de feu et graffitis devant l’ambassade de France cette semaine ? Le géopoliticien Shafick Osman donne sa lecture de l’incident. Comment interprétez-vous l’incident survenu devant l’ambassade de France le lundi 30 mai ? Il y a plusieurs possibilité. Il se peut qu’il existe des fans de l’État islamique (Daech) à Maurice et qu’ils se soient manifestés. Cela ne m’étonnerait pas, comme il se peut que ce soit des amateurs qui ont voulu monter un coup et provoquer la France à travers des graffitis hostiles et quand ils ont été vus et appréhendés, ils sont revenus armés pour soit tuer celui ou celle qui les a vus, soit faire une démonstration de force devant le symbole que représente l’ambassade de France et, par ricochet, ils ont tiré sur l’hôtel Saint Georges aussi… Il ne faut négliger aucune piste.
Le Premier ministre insiste qu’il ne faut pas donner des interprétations disproportionnées à l’affaire. Y a-t-il des risques d’une telle réaction ? L’affaire est sensible et, politiquement, cela peut aller très loin. Je comprends la position de sir Anerood Jugnauth car il ne faut pas aller vite en besogne et en conclusion. Certains observateurs politiques estiment qu’il y a d’autres motivations que celles du fanatisme religieux derrière cet acte. Qu’en pensez-vous ? C’est tout aussi possible, mais de là à tirer sur l’ambassade de France et l’hôtel Saint Georges, c’est pousser un peu le bouchon…
[blockquote]« L’affaire est sensible et, politiquement, cela peut aller très loin. Je comprends la position de sir Anerood Jugnauth car il ne faut pas aller vite en besogne et en conclusion. »[/blockquote]
Le Mouvement socialiste militant et sir Anerood sont encore perçus, à tort, par un certain nombre de Mauriciens de confession islamique comme « antimusulmans » car ils ont durement vécu la période 1983 – 1990. Et cela parce que la grande majorité des musulmans votaient systématiquement le Mouvement militant mauricien (MMM), ennemi irréductible du MSM de l’époque. C’était politique, pas religieux. Mais bon, la période est révolue, sir Anerood s’est muté, les données politiques ou plutôt politiciennes ont grandement changé et le MSM même a profondément changé depuis. Il y a également le point de vue de Cassam Uteem qui estime qu’il ne faut pas banaliser l’incident. Quelle importance doit-on y accorder ? Oui, certes, il ne faut pas banaliser et il ne faut pas non plus l’amplifier de façon disproportionnée. Il faut le prendre à sa juste valeur et de façon mesurée. L’enquête de la police s’est tournée vers des personnes qui avaient été accusées d’être liées à l’Escadron de la mort. Le lien possible des restes de ce groupuscule avec l’État islamique doit-il nous inquiéter ? Je n’en sais rien, mais ce qui est sûr, c’est que toutes les pistes doivent être étudiées avec soin et diligence et cela dans le respect de la loi. Jusqu’ici, je crois que la police a agi de manière correcte. Un examen des départs de l’aéroport et du port (ou d’autres points du pays) du lundi 30 mai est à faire, par exemple, si cela n’a pas été fait déjà. Quel impact cet incident peut-il avoir sur nos relations avec la France et d’autres pays occidentaux ? La France passe par des moments difficiles depuis un moment déjà et cet incident ajoutera une couche de stress certainement au Quai d’Orsay. Mais restons lucides, l’incident est relativement mineur et les relations ne vont pas se détériorer entre les deux pays. Au contraire, cela pourrait renforcer la coopération à divers niveaux. Cela dit, les Français pourront désormais hésiter un peu sur la destination Maurice, mais les autorités mauriciennes doivent rassurer et mener des opérations de communication efficaces sur le sol français, les réseaux sociaux et sites Internet spécialisés. Considérez-vous que la circulation d’armes aide à aboutir à de telles situations ? Cela fait un moment qu’on entend parler de la circulation d’armes au noir. C’est un danger réel avec des trafics en tous genres. Cela doit être une des priorités des autorités car il y va de la sécurité publique. Pourquoi ne pas nommer une commission d’enquête ? La Financial Intelligence Unit (FIU) estime qu’aucun pays n’est épargné par le financement des partis terroristes, y compris Maurice. Comment expliquer qu’un Mauricien puisse vouloir financer des activités terroristes ? Aucun pays, aucun territoire n’est à l’abri de quoi que ce soit dans ce monde globalisé et interconnecté en temps réel. Et il doit avoir bien des choses qui se passent dans nos sociétés offshore sans que même les responsables s’en aperçoivent, car dans certains cas, les opérations et montages sont tellement sophistiqués et fins qu’ils échappent aux filets de protection. Il faut aussi faire attention au terme « terroriste » car c’est de plus en plus utilisé à tort et à travers. Il faut faire la nuance entre les mouvements de résistance, les actions de protestation légitimes, etc. avec les terroristes réels qui sont là pour tuer le plus possible, à des moments inattendus et de manière peu conventionnelle. N’oublions pas que, par exemple, Nelson Mandela avait été traité de terroriste, son parti, l’ANC avait même été fiché par les États-Unis comme « groupe terroriste » jusqu’à récemment. Ceux qui luttaient pour l’indépendance de l’Algérie et le FLN, entre autres, avaient été aussi qualifiés de « terroristes » à l’époque. Même chose pour la SWAPO en Namibie, etc. Si, par exemple, un Mauricien devait envoyer de l’argent pour aider le Fatah (parti de Yasser Arafat et de Mahmoud Abbas) en Palestine, est-ce que cela serait interprété comme le financement d’un parti terroriste, comme le décrit Israël ou cela serait interprété comme le financement d’un mouvement de libération ? C’est là où la géopolitique externe joue un rôle important et crucial. Après la vidéo de Yogen Sundrun et ces tirs devant l’ambassade de France, devrait-on se pencher davantage sur les moyens d’empêcher les propagandes extrémistes de se répandre ? Comment éviter les propagandes l’ère du tout numérique ? C’est quasi impossible, à moins d’instaurer une dose de censure d’Internet comme en Chine, en Iran, aux Emirats arabes unis etc. Et d’un autre côté, ce qui est « extrémiste » pour vous peut ne pas l’être pour l’autre. Un exemple : un partisan de Donald Trump ne verra pas la déclaration du candidat républicain d’interdire l’entrée des musulmans aux Etats-Unis comme extrême mais, par contre, les autres le verront ainsi. Un deuxième exemple : l’interdiction du hijab ou de tout signe religieux à l’école, en France, sera jugé extrême par nombre de musulmans, mais les autorités françaises répliqueront avec l’argument de la laïcité de l’école française. Cela dépend toujours de là où vous êtes, par rapport à vos valeurs, votre culture, vos idéologies, etc. Pour en revenir à votre question, on ne pourra jamais empêcher des gens d’être fascinés par la guerre, la violence, les alternatives politiques radicales, etc. Ce qui est le plus important, à Maurice, c’est de faire en sorte que des poches de pauvreté et de misère, comme Vallée-Pitot, n’existent plus, que des gens, qu’importe leur appartenance religieuse et politique, aient du travail décent et durable, et faire en sorte que des endroits monoculturels, comme la Plaine-Verte, Roche-Bois ou Petit-Raffray, soient composés bien plus de la diversité mauricienne. C’est un véritable travail qu’il faut faire en ce sens, mais qui réfléchit dessus ?
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