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« Maurice 50 ans : Bilan et Perspectives. » C’était le thème du Grand Débat organisé vendredi au SVICC. Nando Bodha, ministre des Infrastructures publiques, Steven Obeegadoo, ex-ministre de l’Éducation, Rama Sithanen, ex-ministre des Finances, l’avocate Shirin Aumeeruddy-Cziffra, ex-ministre des Droits de la femme, Vijaya Teelock, historienne, et l’observateur Lindsay Rivière étaient les invités de Nawaz Noorbux, directeur de l’information.
Économie
Sithanen : « Les nouveaux secteurs ne peuvent tirer les anciens »
Où se situe-t-on aujourd’hui ? Rama Sithanen, économiste et ancien ministre des Finances, explique d’emblée que tous les symptômes d’un pays embourbé dans le piège de revenus moyens (Middle-Income Trap). La croissance, le taux d’épargne et les exportations sont en baisse. La zone franche manufacturière est en difficulté. Le commerce extérieur est déficitaire (Rs 106 milliards pour 2018). Le déficit budgétaire est élevé.
Les défis sont multiples. Des secteurs d’antan – ayant apporté leur pierre à l’édifice, sont en difficulté, à l’instar de la canne et la zone franche manufacturière. Sauf le tourisme qui continue à progresser. Dans les services financiers, avec des changements dans la législation et les traités, ce secteur doit migrer vers un créneau à valeur ajoutée.
Dans le segment de la nouvelle économie, le pays dispose du Seafood Hub. Il est question de plateforme pour l’éducation et les services de santé. « La croissance dans ces secteurs associés à la nouvelle économie n’est pas suffisante pour compenser les faiblesses de la vieille économie (sucre, zone franche) », a affirmé Rama Sithanen.
« Les stratégies et mesures ayant fait notre succès dans le passé ne nous seront d’aucune aide pour grandir », a dit l’ancien ministre des Finances. Le contexte économique international a changé. La robotique et l’intelligence artificielle prennent le dessus.
Aux grands maux, les grands remèdes. Il affirme que la qualité des infrastructures est plus importante que la quantité. Le pays doit investir dans son capital humain. Aujourd’hui, sur chaque 20 Mauriciens entrant au cycle primaire, seulement trois ou quatre terminent leurs études supérieures.
Steven Obeegadoo, ancien ministre de l’Éducation, a mis l’accent sur l’élaboration d’un cursus non pas déterminé par le ministère de l’Éducation, mais par la demande dans le pays.
Nando Bodha, ministre des Infrastructures publiques, a reconnu que le pays ne peut se permettre de grandir à un rythme proche de 3 % chaque année. La bataille de la productivité est tout aussi importante, dit-il.
Mais depuis la crise financière de 2008, a fait ressortir l’observateur économique Lindsay Rivière, c’est le gouvernement qui est à l’avant-plan au niveau de l’investissement. Le secteur privé ne suit plus le rythme, a-t-il dit. Un autre volet ayant été abordé a été l’ouverture de l’économie, le recrutement de professionnels qualifiés.
Perd-t-on le combat contre la corruption ?
Selon Steven Obeegadoo, il n’y a aucun indicateur objectif sur la corruption. L’ancien ministre de l’Éducation a expliqué qu’il faut une volonté politique et revoir les pouvoirs discrétionnaires dont disposent les personnes occupant certains postes.
Sur le fait que le directeur général de la commission anticorruption soit nommé par le Premier ministre, Nando Bodha a indiqué qu’au départ, le directeur était nommé par trois personnes, notamment le Président, le Premier ministre et le leader de l’opposition. « Mais cela a changé en cours de route. Il faut revoir le fonctionnement de cette institution car elle date de 2000 à 2005. »
Le ministre des Infrastructures publiques a affirmé que le projet de loi sur le financement politique est presque prêt et qu’il sera en vigueur pour les prochaines élections. Il a raconté qu’aux États-Unis, pour certaines nominations à des postes à responsabilité, les candidats sont interviewés par un panel de députés qu’ils doivent satisfaire avant d’être nommé. « Je souhaite qu’une telle procédure soit introduite à Maurice », a-t-il dit.
Lindsay Rivière a, lui, déploré l’effritement de la transparence. Il a déclaré qu’auparavant, un journal pouvait publier des détails sur les avoirs des députés. « Aujourd’hui ce n’est plus possible. Un club de jeu ou un petit business doit s’enregistrer et publier ses comptes. Les grands partis politiques ne sont pas enregistrés et ne publient pas leurs comptes. » Il a aussi parlé de la colonisation de l’État par les politiques dominants et du fait que l’exécutif prenne le dessus sur le législatif.
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Transformation
Lindsay Rivière estime qu’en 50 ans d’indépendance, le pays a connu une transformation permanente. « Au départ, il y a eu certaines difficultés, mais 50 ans après, l’aventure a été une réussite. Il y a eu un grand progrès avec l’émergence de la classe moyenne. Cela a apporté la stabilité. » Vijaya Teelock est elle aussi d’avis que Maurice a bien évolué. « Au début, il y avait des maisons en chaume. En regardant en arrière, nous pouvons dire que nous avons fait un grand progrès. » L’historienne concède qu’il y a certes eu des points négatifs et des obstacles, mais qu’au final, le progrès est là.
Dans la foulée, Shirin Aumeeruddy-Cziffra a soutenu que les premières années après l’indépendance ont été particulièrement difficiles. Certains voyaient même que le pays était voué à l’échec. Il y avait l’état d’urgence, l’arrestation des syndicalistes, le renvoi des élections. Après ce passage sombre, les élections ont été tenues en 1976 et les choses ont changé. En dépit de tous les mauvais épisodes, Rama Sithanen a précisé : « Nous pouvons dire que nous avons réussi. En comparaison avec les autres pays d’Afrique, nous avons réussi, mais il y a encore du chemin à faire. » Nando Bodha a, pour sa part, rappelé qu’à l’époque, la population était divisée. Toutefois, il trouve qu’il est essentiel d’avoir un débat sur l’avenir pour être un modèle pour le monde. Steven Obeegadoo a parlé de miracle. « Malgré nos problèmes, c’est une nation qui reste unie. Nous avons le droit d’être fier et de célébrer cela… »
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Pauvreté
Le sujet de la pauvreté a aussi été abordé vendredi après-midi. Rama Sithanen a fait ressortir qu’il y a l’approche adoptée pour combattre la pauvreté à Maurice est fragmentée. La solution, selon lui, est que les autorités œuvrent davantage avec les travailleurs sociaux, parce que ces derniers connaissent mieux les réalités et les besoins de la population. Il a mis en exergue les besoins dans le domaine de l’éducation, de la formation, des logements sociaux et de l’entrepreneuriat. « Le meilleur antidote contre la pauvreté, est un emploi bien rémunéré », a-t-il soutenu.
Le ministre des Infrastructures publiques est d’avis que les mesures qui sont mises en place ne doivent pas se focaliser sur l’individu uniquement mais également sur la région. Vijaya Teelock suggère qu’il faut être à l’écoute des gens au lieu d’être de plus en plus bureaucratisés. Elle soutient qu’il existe un « service civil qui n’est plus civil et qui n’offre pas de service ».
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Politique : À quand le renouvellement ?
Steven Obeegadoo pense que ce n’est pas possible que 50 ans après, les chances de réussite d’une personne dépendent de son extrait de naissance. « Il faut revoir le système, surtout le Best Loser System et aussi les pouvoirs du Premier ministre. » Nando Bodha parle, lui, d’une nébuleuse électorale et des jeunes qui n’ont aucun attachement aux partis. « Si les partis traditionnels ne se réinventent pas pour aller vers ces jeunes qui représentent deux tiers de l’électorat, ils disparaîtront. »
Rama Sithanen propose le renouvellement des idées et la façon de faire de la politique. « Sinon les partis se fragmenteront et certains disparaîtront. » Concernant le Best Loser System, il se demande comment remplacer un système par un autre alors que la Cour suprême a statué que ce n’est pas bon.
Lindsay Rivière a, lui, commenté les difficultés pour une nouvelle force politique d’émerger. Il est d’avis que les grands partis peuvent subsister car ils ont les moyens. Il rappelle aussi qu’en 2014, deux grands partis ont été rejetés par l’électorat.
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Communalisme
Concernant le communalisme, Vijaya Teelock affirme qu’on ne peut empêcher une personne de choisir son identité. Certains jeunes se disent Mauriciens et d’autres s’identifient à un autre groupe. L’historienne affirme que nous avons joué le jeu des Britanniques qui est le divide and rule.
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