Économiste, ancien lauréat et aujourd’hui membre de Rezistans ek Alternativ (REA), Kugan Parapen veut apporter sa contribution à l’édification d’une meilleure île Maurice. Bien qu’il ait intégré un parti de gauche, il dit garder son côté militant, qu’il tient de son père, Siven Parapen, un militant de longue date.
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« REA incarne ce que le Parti Travailliste a incarné en 1930 et le MMM en 1970 »
Vous étiez lauréat du collège St Esprit, vous êtes économiste. Pourquoi avez-vous choisi un parti de gauche, dit petit, et non la haute sphère des finances ou décisionnelle ?
Je ne pense pas qu’être membre d’un parti de gauche limite une personne à la gauche. Outre mon engagement au sein de REA, je suis aussi employé dans le monde des finances. Je suis le marché tous les jours. D’ailleurs, je suis de très près ce qui se passe sur le plan mondial, mais la politique, c’est une passion. La gauche est ce qu’il y a de plus naturel par rapport à ma compréhension de la société et de son évolution.
Pourquoi n’avez-vous pas rejoint le MMM, au sein duquel votre père est actif ?
J’ai fait mes débuts au MMM. Quand je suis rentré au pays, jeune et idéaliste, il me paraissait que seul REA s’alignait sur ma propre philosophie. Or, être membre de ce parti ne veut nullement dire que je renie le militantisme. Aujourd’hui, REA incarne ce que le Parti Travailliste a incarné en 1930 et le MMM en 1970. Comment voulez-vous que je donne mon soutien à un parti où il n’y a pas eu de renouvellement à la tête depuis 1969 ?
Doit-on s’attendre à ce que père et fils croisent le fer au no 18 (Belle-Rose/Quatre-Bornes) lors des prochaines élections générales ?
Moi j’y suis, lui n’y est pas encore. Pour les médias, ce serait intéressant. Quoique je ne crois pas que cela puisse arriver. N’empêche, chacun est libre de ses décisions. Moi j’y serai définitivement.
Êtes-vous un économiste de gauche tendance sociale-démocrate ou radicale ?
Mon parcours académique et sociétal est plus proche du social démocrate. L’aspect démocratique est vraiment important. L’économie radicale engendre souvent une série de contre-révolutions dans son sillage. Toutefois, lorsqu’on parle de radicalité, il faut tout mettre en perspective.
Mais beaucoup d’idées de REA sont considérées comme radicales ?
L’appréciation de la radicalité est subjective. Pour 1 % de la population, quand on parle de rééquilibrage, les gens trouvent que c’est radical. On ne s’en rend pas compte à Maurice. On est très capitaliste, à commencer par notre système éducatif. Le succès est jugé par le rang. Et cette mentalité s’est traduite au niveau de la réussite sociale. La vie aujourd’hui est mesurée en termes de possession et de chiffres. Ce qui n’aurait pas dû être le cas. Ceux au bas de l’échelle doivent pouvoir jouir d’une vie décente et digne.
« Il faut sortir de cette mentalité de produire au moins cher pour bouger vers la qualité »
Quelle idéologie défendez-vous ?
Le concept d’une société qui donne l’opportunité à un maximum de citoyens pour qu’ils puissent s’exprimer. Et qu’ils participent dans les affaires du pays. En cette période de la fête de l’Indépendance, il est judicieux de se poser la question si le pays est vraiment indépendant. La réponse est claire et nette. L’île Maurice est reconnue comme indépendante, mais elle est contrôlée par une minorité qui fait la pluie et le beau temps. Pis, cette poignée de privilégiés bénéficient des faveurs de tous les gouvernements. Je souhaite un gouvernement fort et totalement indépendant, qui agirait dans l’intérêt de la population.
Après 49 ans d’Indépendance, Maurice a connu un progrès économique immense. Vous n’allez pas nous contredire ?
Non. Mais ce progrès économique a surtout été basé sur des accords favorables et des parts de marché plus au moins réservées. Aujourd’hui, ces traitements de faveur arrivent à expiration. On est confronté à une nouvelle configuration. Le progrès a-t-il été bénéfique à tous ? L’île Maurice n’a pas été construite pour être une société démocratique où hommes et femmes sont égaux. L’île Maurice n’a même pas été créée pour être une société. C’était avant tout une colonie, dont la seule préoccupation était la production du sucre. Le peuplement du pays a été fait de sorte à ce qu’il y ait des propriétaires et des travailleurs. Cette colonie a-t-elle pu mettre derrière elle la hiérarchie établie pendant les années de colonialisme ? Malheureusement, tout porte à croire que non.
Comment est-ce que Maurice peut devenir un « high income country » ?
Il faut pouvoir produire de la valeur ajoutée. Beaucoup de nos secteurs sont axés sur une minimisation du coût, au détriment de la qualité. Par exemple, le textile est un secteur extrêmement compétitif pour des parts du marché mondial déterminés par les coûts peu élevés de la fabrication et cela inclut, bien évidemment, une rémunération inhumaine des employés au sein des usines textiles. Quand on parle de valeur ajoutée, qu’est-ce qui ferait qu’un t-shirt coûte Rs 500 au lieu de Rs 200 ? La réponse est simple. Ce qui est imprimé sur le t-shirt. La logique du textile sert le monde de la mode. Donc, il faut sortir de la mentalité de produire au moins cher, pour bouger vers la qualité. Cela implique une main- d’œuvre qualifiée et créative. Ce qui demande des changements structurels importants au sein de notre système éducatif et social.
Qu’est-ce qu’il nous faut pour créer un deuxième miracle économique ?
Je ne crois pas au terme miracle, qui émane surtout des circonstances favorables. Ce n’est pas aussi exact que les sciences naturelles, mais cela reste axé sur des principes et des théories. Par contre, la question légitime, c’est comment rebooster notre économie, qui patauge depuis quelques années ? Un des axes sur lesquels on devrait se baser serait un re-tuning de la société mauricienne. La vélocité de l’argent est l’un des facteurs cruciaux pour déterminer la croissance. Si vous et moi avons chacun Rs 100 et si nous échangeons cette somme à deux reprises au cours d’une année, nous allons créer un produit intérieur brut (PIB) de Rs 400. Si on l’échange à quatre reprises, le PIB aura doublé et passera à Rs 800. Si on arrive à accélérer la vélocité des dépenses des Mauriciens, on augmentera le PIB de façon conséquente.
Comment augmenter cette vélocité ?
C’est à travers la consommation. Je ne prône pas une société de consommation de produits, parce que cela entraîne un coût écologique énorme. Je prône surtout une consommation des services. C’est-à-dire, le Mauricien moyen devrait recevoir suffisamment de sous pour pouvoir éventuellement en dépenser dans des services comme des sorties au resto, assister à une pièce de théâtre ou un concert.
Prenons le cas de Rs 100, qui tombent dans la poche d’une personne pleine aux as et dans celle d’une autre qui arrive à peine à joindre les deux bouts chaque mois. Ce dernier dépensera entièrement les Rs 100. Alors que celui qui est riche n’en dépensera que Rs 20. Cet exemple démontre qu’en termes d’économie, on ferait mieux de canaliser les Rs 100 additionnelles vers celui qui est au bas de l’échelle que vers celui qui au sommet. Au final, la vélocité augmentera.
Les services financiers défraient souvent la chronique. à quoi attribuez-vous ces secousses ?
L’ingérence politique. On ne peut pas parler d’un secteur financier ou d’un secteur de services financiers soutenable, sans avoir un régulateur digne de ce nom. Ce qui se passe au niveau de ce secteur n’est qu’un reflet de ce qui se passe au niveau de la société. Nous avons des décideurs qui ne mettent pas l’intérêt de la population au premier plan. Parallèlement, nous avons des suiveurs nommés à la tête des instances régulatrices qui, eux non plus, ne mettent pas l’intérêt du secteur financier à l’avant-plan. Imaginez un match de foot de 90 minutes sans arbitre. Vous aurez la réponse.
Notre pays produit une cohorte de jeunes diplômés sans perspectives d’emploi. Est-ce normal ?
Bien-sûr que ce n’est pas normal Cela découle d’un système éducatif mal configuré. C’est pour cela que REA a toujours prôné la revalorisation des métiers. Il est inconcevable que des parents privilégient la piste d’avocat, de médecin ou de comptable, car pour eux, ce sont les seuls métiers qui pourront assurer à leur progéniture une vie confortable. Mais il y a un problème étatique qui ne permet pas de canaliser nos jeunes vers des métiers dont le pays a besoin. Il y a également eu l’arnaque de faire croire que l’île Maurice a besoin d’un gradué par famille. Au final, on a produit un surplus incalculable pour beaucoup de métiers. Cette arnaque avait comme seul objectif de favoriser une demande pour les institutions tertiaires nouvellement instaurées par des proches du pouvoir dans le passé.
Pourquoi bon nombre de lauréats ne rentrent-ils pas au pays après leurs études ?
Revenir à Maurice après des études à l’étranger, surtout quand on possède des aptitudes au-dessus de la moyenne, n’est pas un choix évident. En particulier, il y a une concession salariale à faire. Exceller dans sa filière n’est malheureusement pas un atout à Maurice. Être un proche du pouvoir l’est. De plus, il y a le fait que l’île Maurice est trop petite pour accommoder toutes ces matières grises. Sans oublier la mentalité très mauricienne de la classe moyenne, qui consiste à encourager une carrière à l’étranger. Il y a une sorte de complexe d’infériorité.
Pourquoi êtes-vous rentré d’Angleterre?
Je suis un créole. En tant que bon créole, ma place est sur une île. Disons que j’ai une envie profonde d’apporter ma pierre à l’édifice mauricienne. Ensuite, j’adore les défis. Une partie de moi veut montrer qu’on peut réussir à Maurice.
Comment peut-on inciter les lauréats à rentrer au bercail ?
Il ne faut pas avoir une obsession pour faire rentrer les lauréats. à quoi bon faire revenir quelqu’un qui ne s’y plait pas ? Par contre, on devrait attirer des jeunes à travers le monde, qui veulent faire de Maurice leur patrie. L’amour pour la patrie est souvent axé sur des valeurs que cette patrie représente. Pour bâtir l’île Maurice de demain comme je l’entrevois, il faudrait réunir tous ceux qui partagent les valeurs et les principes que j’ai mentionnés plus tôt. Aujourd’hui, on assiste à un repeuplement du pays par des gens qui ont beaucoup d’argent, bien que certains ont peu de moral. Je ne suis pas de ceux qui croient à cette terrible phrase « Moralite pa rampli vant ».
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