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Krishnaveni & Kalaivaani : au rythme des cordes et des racines

KV Sisters & Band, ou comment Krishnaveni et Kalaivaani, musiciennes complices depuis l’enfance, mêlent veena et violon pour tracer une voie singulière : celle d’une identité mauricienne métissée, entre tradition et modernité.

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Elles n’ont pas choisi la musique. Elle les a choisies. Dans leur maison, les notes ont toujours été là. Elles s’infiltrent dans les souvenirs, hantent les silences, tapissent les gestes. Krishnaveni et Kalaivaani, sœurs dans la vie comme sur scène, ont grandi dans cet univers de sons familiers, de voix chantées et de cordes pincées. Aujourd’hui, elles incarnent à elles deux une nouvelle scène mauricienne, métissée, exigeante, incarnée : celle du KV Sisters & Band, duo devenu incontournable dans les mariages, festivals et scènes culturelles de l’île.

Chez elles, la musique ne relève ni du hobby ni de la performance. C’est une manière d’habiter le monde. Leur mère, Radha, chante. Leur père, Deven, accompagne à l’harmonium avec une précision désarmante. Le grand-père maternel, figure tutélaire à la fois chanteur, violoniste et harmoniste, veille toujours – dans les esprits.

La musique indienne est notre racine, mais on adore l’idée de la mélanger avec du jazz, du rock, du séga mauricien»

« Depuis toujours, la musique nous suit comme une ombre bienveillante », confie Krishnaveni, l’aînée. « On ne se souvient pas d’un seul jour sans notes ou sans mélodies à la maison. »

C’est dans ce bain sonore que chacune trace sa trajectoire. À 12 ans, Krishnaveni rencontre le veena. L’instrument traditionnel de l’Inde du Sud devient son double. « Le veena, c’est ma voix intérieure. Quand je joue, j’ai l’impression de dialoguer avec mes ancêtres. »

De son côté, Kalaivaani choisit le violon. Fluide, mélodique, parfois rebelle. Il lui offre l’élan qu’elle cherche. « Pour moi, le violon est comme une rivière. Il pleure, il chante, il danse. J’ai toujours eu besoin de cette intensité. »

L’évidence s’impose : elles doivent jouer ensemble. Le KV Sisters & Band naît d’une entente intuitive, d’un fil invisible entre les deux sœurs. Leurs instruments s’accordent sans heurt, leurs personnalités aussi. Sur scène, elles n’ont pas besoin de se parler. « Quand nous jouons ensemble, on n’a pas besoin de se regarder », explique Kalaivaani. « Je sais exactement où elle va, et elle sait où je vais. C’est comme une respiration commune. »

Cette respiration, elles l’insufflent à un répertoire éclectique, fait de traditions classiques indiennes, de chants dévotionnels, de musiques de films, mais aussi d’alliages audacieux. « On aime l’idée de fusion, raconte Krishnaveni. Parfois, on joue des morceaux classiques indiens et, tout à coup, un artiste de séga entre en scène. Les sonorités se mélangent, et il se passe quelque chose de magique. »

Leur art se situe à la croisée des mondes, enraciné mais poreux. « On ne veut pas être enfermées, insiste Kalaivaani. La musique indienne est notre racine, mais on adore l’idée de la mélanger avec du jazz, du rock, du séga mauricien. »

Jouer pour un mariage, c’est très particulier. On devient témoin d’une nouvelle histoire d’amour. À travers notre musique, on essaie d’apporter bénédiction et joie.»

Au fil des années, leur présence s’est imposée dans les grands événements culturels de l’île, mais aussi dans des contextes plus intimes, comme les mariages hindous. « Jouer pour un mariage, c’est très particulier, dit Krishnaveni. On devient témoin d’une nouvelle histoire d’amour. À travers notre musique, on essaie d’apporter bénédiction et joie. »

Leur parcours dépasse les frontières de l’île. Krishnaveni évoque un concert donné en France pour Divali, seule avec son veena face à un public curieux et multiculturel. « C’était une expérience incroyable, se souvient-elle. J’étais seule avec mon veena, et devant moi, un public multiculturel. Je me suis dit : voilà, la musique n’a pas de frontières. »

Kalaivaani, elle, a traversé l’océan pour revenir aux sources : l’Inde. « C’était un rêve d’enfant. Là-bas, j’ai eu l’occasion de jouer dans de nombreuses représentations, d’apprendre des maîtres indiens et de m’imprégner de cette culture millénaire. C’est là que j’ai compris que ma vie serait entièrement consacrée au violon. »

À les voir, complices, rieuses parfois, concentrées toujours, on devine une relation d’une densité rare. « On est comme des jumelles, même si on ne l’est pas », s’amuse Krishnaveni. L’une tire l’autre, l’une soutient l’autre, dans les doutes comme dans la lumière. « Quand je doute, c’est elle qui me rappelle pourquoi on fait tout ça, raconte Kalaivaani. Et quand elle monte sur scène avec hésitation, je lui dis : regarde-moi, on est deux. »

Sur scène, cette gémellité se ressent dans le moindre geste. Un regard, un frémissement d’archet, une respiration suffisent à déclencher l’accord parfait. « On ne joue pas seulement des notes, on raconte des histoires », insiste Krishnaveni.

On est la continuité de nos parents et grands-parents. Ils nous ont donné une richesse immense. Notre mission, c’est de la faire vivre et de la partager.»

Et ce récit-là est fait de métissages, de croisements culturels, de ponts jetés entre traditions ancestrales et rythmes contemporains. « À Maurice, les cultures se croisent sans cesse. Quand un violon classique rencontre un rythme de séga, le public ressent que c’est nous, notre identité mauricienne. »

Leur force, c’est aussi de porter un héritage sans le figer. « Quand je joue, je pense à mon grand-père. J’ai l’impression qu’il est là, assis au fond de la salle », dit Krishnaveni. « On est la continuité de nos parents et grands-parents. Ils nous ont donné une richesse immense. Notre mission, c’est de la faire vivre et de la partager », ajoute Kalaivaani.

Elles regardent néanmoins vers l’avenir avec appétit. « On rêve de collaborer avec des artistes internationaux, pourquoi pas un grand orchestre symphonique ou un groupe de world music », glisse Kalaivaani. En parallèle des concerts, elles enseignent, parfois. Pour transmettre. Pour continuer la chaîne. « On donne parfois des cours, raconte Krishnaveni. Transmettre, c’est essentiel. Parce que la musique ne doit pas s’éteindre avec nous. »

Mais leur cœur reste sur scène, dans la lumière crue des projecteurs, au moment où tout bascule. « C’est là que tout prend sens, confie Kalaivaani. Quand les lumières s’allument et que les premiers accords résonnent, on oublie tout le reste. »

Lorsqu’on leur demande ce qu’est la musique, elles répondent en chœur, comme si la phrase les habitait depuis toujours : « La musique, c’est notre respiration. » Et Krishnaveni d’ajouter : « Tant que je pourrai poser mes doigts sur les cordes du veena, je saurai que je suis en vie. » « Tant qu’on pourra jouer ensemble, je saurai que rien ne peut nous séparer », affirme Kalaivaani, dans un sourire.

Dans un monde mouvant, souvent bruyant, les deux sœurs tissent une trame silencieuse et profonde : celle d’une identité musicale qui relie, apaise et éclaire. Leurs cordes vibrent comme un fil tendu entre générations, traditions et lendemains possibles. « On ne sait pas où la vie nous mènera, conclut Krishnaveni. Mais tant qu’il y aura des scènes, des cordes et des gens prêts à écouter, le KV Sisters & Band sera là. »

Et dans le silence qui suit, on croit entendre, déjà, un veena et un violon s’appeler.

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