Le blanchisseur est plus connu comme « dobi » à Maurice. Il est réputé pour rendre les vêtements étincelants de propreté. Mais c’est un métier en voie d’extinction. Rencontre avec l’un des derniers d’entre eux.
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Kistney Venkatasamy a vu le jour il y a 74 ans, à la rue Vallonville, Port-Louis. Il est l’aîné de huit enfants. En 1953, sa famille a emménagé dans une maison en bois et en tôle à la rue Moka. Soixante-quatre ans après, Kistney et son épouse habitent toujours dans cette maison qu’ils louent. Celle-ci est en très mauvais état maintenant.
Quand son père est décédé en 1974, Kistney lui a succédé comme blanchisseur. Il a fréquenté l’école primaire de La Salle RCA et a été le seul de sa fratrie à aider son père à faire le blanchissage. Il a mis un terme à sa scolarité en Std V, contre l’avis de ses parents. Il explique qu’il n’était pas passionné par les études. Plus tard, il fera plusieurs petits boulots. À un certain moment, il a exercé comme débardeur aux docks.
« La plus grosse difficulté pour faire le métier était les conditions climatiques »
Quand il a eu la trentaine, il a décidé de fonder une famille. Après avoir pris la relève de son père, il a commencé à recevoir plusieurs commandes dont celles de la force policière.
Avant de succéder à son père, il a suivi des cours pour devenir un blanchisseur professionnel. Ce qui l’a conduit en Allemagne. Il a été employé à bord du paquebot Astor qui appartenait à la firme Blyth. Celui-ci faisait escale dans plusieurs pays du monde et il y avait une équipe de huit blanchisseurs à bord. Mais il a été rapidement vendu et Kistney n’a pas voulu poursuivre l’aventure sur les océans et il est rentré au pays.
Lavage à la main
Kistney estime qu’il est mieux de laver à la main que de laver à la machine. « On tourne le vêtement comme une liane, on presse, on frappe sur un rocher. Mais on ne fait pas comme cela avec tous les vêtements. Et cela dépend aussi de votre âge puisque cela requiert une certaine force, vous devez vous investir physiquement. Pour les chemises, il faut faire plus attention, les brosser avec précaution. On devait se débrouiller uniquement avec une brosse (kotomay) et l’eau. Il n’y avait pas les poudres de lessive et autres liquides qu’on trouve actuellement sur le marché », explique-t-il.
Quand il avait encore de la vigueur, il pouvait laver deux ballots de vêtements par jour. Le travail commençait très tôt. « J’allais à la rivière - l’endroit idéal pour faire ce métier - à 4 heures du matin. J’allais à Grande-Rivière-Nord-Ouest avec une petite charrette. Je retournais à la maison vers 14 heures », raconte-t-il.
La lessive se faisait près de l’ancien pont. Si l’eau débordait, il allait en aval dans la rivière vers Pointe-aux-Sables. La plus grosse difficulté pour faire le métier étaient les conditions climatiques. S’il y avait un cyclone ou s’il pleuvait des cordes et que la rivière était en crue, Kistney était contraint de rester chez lui. Parfois pendant trois ou quatre jours. C’était alors un vrai casse-tête pour lui pour satisfaire les commandes qui s’accumulaient.
Combien rapportait le métier à l’époque ? « Je pouvais toucher entre Rs 15 et Rs 25 pour une vingtaine de pièces de vêtement. Je prenais 50 ou 75 sous pour une chemise. Pour le lavage et le repassage d’un costume en étoffe, je prenais Rs 7 », indique-t-il.
Le lavage s’accompagnait du repassage, car, avant de remettre le vêtement au client, on devait aussi le repasser impeccablement. « À l’époque de mon père, on utilisait des fers chauds et des fers à charbon. Moi, j’ai eu la chance d’avoir un fer à repasser électrique », relate-t-il. Le métier de blanchisseur n’était pas un métier de tout repos.
« Aujourd’hui le travail est plus rentable qu’auparavant. Mais je ne n’arrive pas toujours à accepter les commandes. Avec l’âge ce n’est plus pareil », regrette-t-il. Il nous montre un molleton qui sèche sur la corde. « Je pense c’est la première fois qu’il est lavé. Quand on me l’a remis, il était noir. C’est difficile de laver un molleton à la main, c’est très lourd. C’est éreintant. Mais j’ai pu le faire et voyez le résultat », déclare-t-il avec fierté. Pour le lavage de ce molleton et un autre plus petit, il dit qu’il demandera Rs 500 au client. Pour une chemise, il réclame Rs 30 et Rs 50 pour un pantalon. Pour un pantalon d’étoffe, c’est entre Rs 150 et Rs 200. Le haut du costume coûte Rs 300.
Retraite
Vu son âge, Kistney prend volontairement moins de commandes. « J’ai actuellement trois clients réguliers et un autre pour lequel je repasse uniquement. De temps en temps, je prends aussi des costumes en étoffe pour le lavage et le repassage. D’autres m’apportent des chemises quand ils doivent se rendre à un mariage », déclare-t-il.
Kistney confie qu’à sa connaissance, il n’y a aucun autre blanchisseur dans la localité. Il serait le dernier. À l’époque, ils étaient huit au moins à faire ce métier. Certains habitaient dans le Ward 4, d’autres à la rue Arsenal.
Quand il va tirer sa révérence, c’est donc un chapitre qui sera clos. Son épouse, qui l’aidait, a aujourd’hui une santé défaillante. Quant à ses deux enfants, ils ne sont pas intéressés à prendre sa relève. Kistney révèle que depuis l’année dernière, ils lui mettent la pression pour qu’il arrête de travailler. Il ajoute que récemment un jeune est venu l’encourager à continuer. « Je vais voir jusqu’à quand je peux travailler », lance-t-il.
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