Être parent est une tâche qui se révèle de plus en plus complexe. Célébrée le jeudi 1er juin, la Journée mondiale des parents entend susciter la réflexion sur la parentalité dans un monde en mutation.
Edwige Dukhie : «Ce monde matérialiste affecte le rôle des parents»
Certains parents avouent manquer d’autorité. Edwige Dukhie, coordinatrice du département Couple et Famille de l’Action familiale, en a rencontré plus d’un. Elle en fait état : « Trop stressés et souvent désemparés face aux réactions de leur progéniture, certains parents ont tendance à se dévaloriser et à se culpabiliser, surtout les femmes. Ils estiment qu’ils ne sont pas assez sévères. Le problème, c’est qu’ils sont trop fatigués après une dure journée de travail. Ils n’ont plus le courage de calmer l’un ou interdire à l’autre. Ils n’arrivent pas à trouver un équilibre. »
La raison en est l’influence de la société de consommation. Pour Edwige Dukhie, ce monde matérialiste affecte le rôle des parents. Elle encourage les parents à se donner corps et âme dans le travail pour offrir un meilleure cadre de vie à leurs enfants. « Ce faisant, ils négligent parfois leur relation avec leur progéniture et n’arrivent pas à imposer leur autorité. » Toutefois, la coordinatrice concède qu’il n’est pas évident pour les parents d’assumer leur rôle dans ce monde, où les contraintes sociales sont nombreuses.
« Pour être parent, il faut être beaucoup plus exigeant de nos jours. Dépassés, les parents préfèrent s’en remettre aux institutions pour les remplacer », conclut Edwige Dukhie.
Sylvie Chuttoo : «Difficile d’élever un enfant de nos jours»
Elle fait partie de ces parents qui affirment qu’il est plus difficile d’élever un enfant aujourd’hui. « Autrefois, ce n’était pas si difficile de s’occuper d’un enfant. Je parle en connaissance de cause. Entre mes deux enfants, il y a dix ans de différence. Je ne voulais pas avoir un second enfant. Justement pour la bonne raison que la vie est dure de nos jours. À l’arrivée de ma seconde fille, je remarque une différence entre les deux. Mon premier enfant était beaucoup moins capricieux et exigeant », témoigne Sylvie Chuttoo. Pour étayer ses propos, elle fait mention des exigences de sa benjamine.
« Lorsque ma fille cadette était à l’école, elle se contentait de porter ce que nous donnions. Elle ne portait pas de chaussures ou de vêtements griffés. Parfois, elle portait même les vêtements déjà utilisés par ses cousines. La benjamine a toujours honte de porter les vêtements qui n’ont pas une étiquette de marque », fait part Sylvie Chuttoo. Elle trouve ce comportement parfois exagéré, mais dit comprendre sa fille. « Les enfants sont parfois très cruels de nos jours. Souvent ma fille m’explique qu’elle se comporte ainsi car ces amis se moquent souvent d’elle. Il y a une question qu’elle me pose souvent et cela me laisse bouche bée : pourquoi les autres ont-ils le droit d’avoir telle ou telle chose et pas moi ? »
Ibrahim Koodoruth : «L’évolution même de la famille constitue un défi»
Enquête après enquête, les chiffres tombent comme des grenades. Le nombre de délits commis par des mineurs a augmenté, les structures familiales ont changé et les cas de violence domestiques s’accroissent. Le sociologue Ibrahim Koodoruth donne les chiffres. « En 2015, dans la population âgée de moins de 18 ans, les délits ont augmenté de 4,5 %, passant de 686 à 717, dont 257 (35,8 %) pour les agressions, 130 (18,1 %) pour le vol et 107 (14,9 %) pour les infractions sexuelles. Le taux de délinquance juvénile (à l’exclusion des contraventions) est passé de 5,8 en 2014 à 6,1 pour 1 000 habitants pour la République de Maurice. Les structures traditionnelles étendues sont définitivement en déclin. Quelque 6 % des familles sont monoparentales, 68 % nucléaires et 25 % des familles étendues et composites. L’évolution même de la famille est un défi. »
S’agissant de la violence domestique, les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2015, 1 452 (89,3 %) nouveaux cas contre les femmes ont été signalés. Un cas sur 10 de violence conjugale concerne les hommes. La principale forme de violence identifiée chez les adultes, en 2015, était une agression physique par conjoint /
partenaire, une agression verbale par partenaire, un harcèlement conjugal et une agression menaçante par le conjoint. Le nombre total de cas de violence envers les enfants signalé au Family Support Bureau a augmenté de 2,2 %, passant de 5 903 (55,6 % pour les femmes) en 2014 à 6 035 (54,7 % pour les femmes) en 2015.
Tous ces chiffres, selon Ibrahim Koodoruth, donnent une idée des défis qui attendent les parents dans plusieurs domaines. Ils indiquent aussi les difficultés des parents à faire face aux changements économique et social. Toutefois, ces chiffres pourraient être utilisés pour élaborer des stratégies de prévention et pour une meilleure intervention. « Cela permettra d’identifier les risques qui ont été associés à la prévalence des problèmes de santé et de bien-être du développement », souligne-t-il.
Somrajsingh Dhunnoo : «Le développement économique a une incidence sur l’éducation»
En 40 ans, Maurice a connu un progrès rapide sur le plan économique. L’économie du pays ne repose plus sur l’agriculture, mais s’est diversifiée, grâce au textile, au service financier et au tourisme. Cela n’a pas été sans conséquence toutefois, selon Somrajsingh Dhunnoo, chargé de cours et coordinateur de l’éducation aux valeurs humaines au Mauritius Institute of Education. « Le pays a connu une évolution en trois phases, passant de l’agriculture à l’industrialisation, puis au secteur de l’enseignement supérieur. Ce développement économique a une incidence sur l’éducation. Les jeunes se tournent davantage vers les études supérieures. Malheureusement, l’accent a été mis sur l’aspect cognitif et peu d’attention accordée à l’éducation portant sur le développement global de l’enfant. »
Le système éducatif mauricien nécessite une évaluation, selon Somrajsingh Dhunnoo. « Ce système éducatif est resté inchangé alors que le ministère de l’Éducation fait état d’un besoin d’ajustement pour répondre aux nouveaux défis, tels que l’éducation familiale, l’éducation sexuelle et la valorisation des valeurs. Beaucoup de jeunes sont aujourd’hui en manque de repères et donnent libre cours aux tentations matérielles et sexuelles. »
Pour Somrajsingh Dhunnoo, l’éducation familiale est un concept qui a été oublié dans le programme scolaire mauricien. Et cela rend plus difficile la tâche des parents.
Thierry Malbert : «La parentalité n’échappe pas aux transformations»
« Il n’y a pas de classe sociale. Tous les parents doivent être accompagnés et soutenus. Chaque parent doit avoir un outil pour pouvoir faire face aux nouveaux défis qui émergent », constate Thierry Malbert, directeur scientifique de l’Observatoire de la parentalité à l’île de La Réunion. Il dévoile quelques-uns de ces nouveaux défis. « Les changements profonds qui s’opèrent dans notre société, tant sur le plan économique que social, affectent les cellules familiales. Le rôle des parents est bouleversé par rapport à la transmission des valeurs ou des compétences éducatives entre les générations», souligne-t-il.
Ces mutations, selon Thierry Malbert, réinventent le rôle des parents. Et de faire ressortir que la parentalité n’échappe pas aux transformations de la société. En conséquence, les parents éprouvent parfois un sentiment de faiblesse face à l’inconnu, à la nouveauté et au changement. Dépourvus, certains parents n’ont plus de point de repère, ils cherchent de l’aide et des informations, voire un accompagnement. Thierry Malbert est d’avis qu’il est essentiel qu’il y ait des instances qui accompagnent les parents afin qu’ils puissent y obtenir les réponses à leurs questions.
Lindsay Morvan : «Le monde de l’éducation a évolué»
À Roche-Bois et dans les quartiers avoisinants, le besoin d’un soutien aux parents s’est fait sentir. C’est ainsi que l’Académie des parents a vu le jour le 3 juillet 2016. Lindsay Morvan, président du Mouvement pour le progrès de Roche-Bois (MPRB), explique comment cet établissement est devenu une nécessité pour les parents de cette localité. Ainsi, les enfants de Roche-Bois connaissaient un taux d’échec et de décrochage scolaire très élevé.
« Nous voulions approcher les parents pour savoir comment ils font pour aider leurs enfants dans leur scolarité. Nous avions constaté que beaucoup d’entre eux étaient dépassés, soit par les matières proposées, soit par les contraintes familiales, soit tout simplement parce qu’ils ignoraient comment accompagner leurs enfants dans leur parcours scolaire. Il y a aujourd’hui une multiplicité d’éléments qui réalisent le monde scolaire et cela laisse certains parents inaptes », explique le président du MPRB.
L’Académie des parents propose divers programmes de formation et un soutien psychologique aux parents, afin de les aider à mieux comprendre les besoins et les droits de leurs enfants et adolescents, selon Lindsay Morvan. Elle s’évertue aussi à souligner aux parents l’importance d’accompagner leurs enfants dans leur scolarité, de reconnaître et valoriser leur potentiel, de faire valoir leur autorité parentale, de gérer les émotions et de privilégier la communication. « Nous sommes fiers de dire que les enfants de la localité connaissent depuis un taux de réussite de 50 %, mais cela ne suffit pas. Ceux qui ont participé à des conférences-débats, des ateliers, des séminaires ont été sensibilisés aux enjeux, tels que la protection de la planète et à des fléaux comme la pauvreté, la drogue ou la délinquance. »
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