Actualités

Journée mondiale contre la faim - Bien se nourrir : un combat quotidien

Le monde observe, en ce jeudi 15 juin, la Journée mondiale contre la faim. L’occasion de faire le point sur la situation à Maurice. Le Mauricien mange-t-il à sa faim, se nourrit-il correctement, a-t-il les moyens de s’offrir une alimentation saine et équilibrée? Zoom sur l’assiette mauricienne.

Publicité

«Kan ena diri pena cari, kan ena cari pena diri. » C’est la dure réalité de nombreuses familles mauriciennes. Corine, 37 ans, a été abandonnée du jour au lendemain par son concubin avec un bébé de moins d’un an sur les bras. Ainsi, quand elle n’a pas de riz, elle s’achète un pain pour le dîner et quand il n’y a pas de cari, « je mets le riz dans du lait pour mon enfant et moi je vais dormir sans manger ». Jusqu’à ce qu’elle soit aidée par Caritas Maurice, cette mère célibataire vivait au jour le jour. « Un jour j’achète de l’huile, un autre jour le sel... Je mangeais presque tous les jours la même chose matin et soir », confie-t-elle.  

Une dure réalité que connaît également Kareen. Mère de trois enfants, elle témoigne : « Bizin trase pou manze. Tir par isi mett par laba. Pas facile de mettre quelque chose sur la table tous les jours avec le modeste salaire de maçon de mon époux. »  Cette jeune mère de 29 ans doit faire très attention à ce qu’elle achète. Le strict nécessaire. Fruits, yaourt, fromage sont des « luxes » qu’elle ne peut pas offrir régulièrement à ses enfants.

« Enn fwa letan zot ganye. Mais je préfère acheter autre chose qui permet à la famille de se remplir l’estomac », observe-t-elle. 

C’est un fait : manger sainement, voire manger à sa faim, n’est pas une évidence à Maurice. De nombreuses familles ont du mal à boucler les fins de mois. Du coup, c’est l’assiette quotidienne qui en souffre. « Certains n’ont pas les moyens de s’offrir trois repas par jour. D’autres avalent n’importe quoi, pourvu qu’ils se remplissent l’estomac», souligne Patricia Adèle Félicité, secrétaire générale de Caritas Maurice. Suttyhudeo Tengur abonde dans le même sens. « Il est difficile de bien se nourrir quand on a à peine de quoi s’offrir du riz et de la farine. Même la classe moyenne a beaucoup de mal à remplir correctement son panier alimentaire. » Selon le président de l’Association pour la protection de l’environnement et des consommateurs, il y a trois mesures incontournables pour soulager la population confrontée à ce fléau : une meilleure distribution de la richesse, une meilleure attribution des aides sociales et, surtout, le salaire minimal.

Une bonne alimentation n’est donc pas à la portée de tous. Comment, dans ce cas, parler de sécurité alimentaire ? Difficile, selon Éric Mangar, directeur du Mouvement pour l’autosuffisance alimentaire. Il est d’avis que nous subissons le système alimentaire international et faisons les frais de notre trop grande dépendance de l’importation. Le développement, la mondialisation et l’importation ont un effet direct sur le budget familial. Par ricochet, les familles à faibles revenus, pour se nourrir à moindre coût, se rabattent sur des produits de qualité inférieure.

Caritas maurice - Patricia Adèle Félicité : «La vie est dure même pour la classe moyenne»

L’alimentation est un enjeu majeur pour Caritas International. De facto, c’est une des priorités de la branche locale de l’organisation internationale. Caritas Maurice mène une lutte sans relâche, depuis plus de 50 ans, auprès des plus démunis. En particulier, auprès des mères célibataires, seules ou veuves, des personnes âgées et esseulées, des familles nombreuses. « Nous comptons 10 000 familles bénéficiaires, soit plus de 55 000 personnes, pour nos différents projets alimentaires. Parmi elles, plus de 50 % ne mangent pas à leur faim », note Patricia Adèle Félicité, secrétaire générale de l’organisation.

L’action de Caritas pour le droit universel à l’alimentation se décline en trois parties : le secours d’urgence, le petit-déjeuner et le déjeuner aux écoliers, les fermes et jardins communautaires. Lors de situations d’urgence (inondation, incendie, perte d’emploi, absence soudaine du conjoint, etc.), des suppléments de colis alimentaires sont distribués aux personnes les plus vulnérables, surtout les mères et les enfants.

Cela dit, les bénéficiaires de Caritas ne sont pas que des personnes en situation d’extrême pauvreté. Patricia Adèle Félicité explique : « Aujourd’hui la vie est dure et difficile, même pour la classe moyenne. Beaucoup ont pris conscience qu’un des facteurs pour sortir de la misère est l’éducation. La famille se prive alors en nourriture pour pouvoir envoyer les enfants à l’école. D’où notre programme de petit-déjeuner et de déjeuner pour les écoliers. »

Dans le monde… 

795 millions de personnes souffrent de la faim dans le monde, soit 1 personne sur 9. Les pays en développement sont les plus touchés. L’Asie abrite deux tiers des personnes sous-alimentées dans le monde. L’Afrique subsaharienne est la région avec la plus forte prévalence, soit une personne sur quatre sous-alimentée. La malnutrition provoque la mort de 3,1 millions d’enfants de moins de 5 ans chaque année, soit près de la moitié (45 %) des causes de décès.

Les jardins communautaires : Une thérapie et une action génératrice de revenus

Kareen est une des bénéficiaires des projets jardin communautaire et boutique solidaire.

Le concept de jardin communautaire sert de thérapie à la personne pour se discipliner et avoir une action génératrice de revenus. En même temps, il permet de produire des légumes pour se nourrir et en vendre à la communauté. Essentiellement destiné aux femmes sans emploi, ce programme a pour but, à long terme, de changer nos habitudes alimentaires, en délaissant les produits transformés et importés en privilégiant les produits frais et sains de son jardin. « Il s’agit d’un programme intégral et intégré», explique Marylyn Corentin, membre active de Lakaz lespwar de Solitude. « Nous initions les femmes, pendant six mois, au monde du travail. On leur inculque la discipline tout en leur apprenant à jardiner. » Le programme comporte aussi un volet counselling et accompagnement psychologique. « Pendant leur prise en charge, ces mères de famille touchent une allocation de Rs 200 par jour et, entre-temps, nous essayons de leur trouver un emploi. Elles partent au bout de six mois, prêtes à intégrer le monde du travail, avec des connaissances sur la manière de gérer le budget familial et, surtout, avec l’estime de soi retrouvé», conclut Marylyn Corentin.

La boutique solidaire : Manger et garder sa dignité

De gauche à droite : Francoise Kissoon, Jean Pierre Darné et Émilie Blanco, les bénévoles qui font tourner la boutique solidaire de Solitude.

La boutique solidaire est une évolution dans la manière de soutenir les personnes en matière d’alimentation. Le concept s’adresse aux familles à faible revenu mais qui peuvent acheter. Ces familles s’approvisionnent ainsi en produits alimentaires de base à moitié prix. À titre d’exemple : le lait à Rs 60, le thé à Rs 40, bref, tout est à moins de Rs 100.

« En leur faisant payer, nous voulons redonner à ces personnes leur dignité : il ne s’agit pas de mendier », fait ressortir Jean Pierre Darné, un des responsables de la boutique solidaire de Solitude. Ainsi, les familles bénéficiaires – sur une base rotative et selon leurs besoins – peuvent s’offrir un panier de Rs 5 000 environ pour moins de Rs 1 500.

Ce programme, lancé il y a plus d’un an, a touché quelque 48 familles de la région nord. Il fonctionne essentiellement avec les dons des acteurs économiques de la région et les produits de fin de série offerts par les supermarchés. D’où l’appel à l’aide de Jean Pierre Darné : « Notre principal donateur est une société voisine qui offre Rs 160 000 de denrées alimentaires pour une année. Sauf qu’avec les changements annoncés au niveau de la Responsabilité sociale d’entreprise (CSR), nous avons été prévenus que ce ne serait plus possible si la compagnie n’avait pas l’autorisation requise. Il n’y va plus que du bon vouloir de chacun. »

Eric Mangar : « Difficile de parler de sécurité alimentaire »

Si à Maurice les gens ne meurent pas forcement de faim, ce qu’ils mangent a un impact direct sur leur santé.  Eric Mangar du Mouvement pour l’autosuffisance alimentaire estime que  le pays est affecté par le système alimentaire international. « Le développement du pays fait que nous dépendons de plus en plus du fast-food. Le trop gras, trop salé ou trop sucré entraîne bien évidemment des problèmes de santé tels que l’hypertension et le diabète qui gagnent de plus en plus de terrain. »

Ce militant de la sécurité alimentaire constate donc que bon nombre de Mauriciens souffrent de malnutrition. « Le budget de l’alimentation est très fort. Et les familles qui touchent moins de Rs 7 000 n’ont d’autre choix que d’opter pour de la nourriture de qualité inferieure. » Ce coût élevé du panier de la ménagère, il l’attribue en grande partie à l’importation de plus de 75 % des produits alimentaires. Il faut donc, selon lui, encourager les Mauriciens à cultiver leurs légumes et autres produits, tout aussi nutritifs que ceux qu’on importe.

« Il faut former les gens aux valeurs nutritives de ce qu’ils mangent et de ce qu’ils doivent manger. » Eric Mangar cite en exemple le « brède mouroom », considéré comme « manze dimoun mizer ». Cette plante, très accessible, comporte plus de protéines, de fer, de vitamine et de calcium que le lait et le fromage! « Face aux difficultés alimentaires, le consommateur a la responsabilité de chercher des alternatives. D’où la nécessité de l’informer des bienfaits des produits accessibles tels que les feuilles de manioc, le brède malabar. »

En attendant, il est difficile à ce stade de parler de sécurité alimentaire, encore moins d’autosuffisance. « C’est un vrai dilemme d’autant que les économistes ne considèrent plus l’agriculture comme un secteur porteur de développement. Ils misent davantage sur les développements infrastructurels et autres Smart Cities », déplore Eric Mangar.  Dans la foulée, il met en garde contre les effets d’une éventuelle crise alimentaire mondiale : « Nos principales sources d’énergie sont le riz et la farine. Deux produits importés. On peut se retrouver demain sans riz et sans farine dans nos assiettes. Que ferons-nous alors ? »

Le prix du panier-ménager

De mois en mois, l’indice des prix à la consommation ne cesse d’augmenter à Maurice.  Une progression de 1,2 point pour le mois de mai est notée par Statistics Mauritius (CSO). Entre avril et mai 2017, le coût des produits alimentaires a grimpé de 3,6 %.  Par rapport à mai 2016, le CSO indique une augmentation de 4,4 points de l’indice des prix.

Par ailleurs, selon les derniers chiffres du Bureau des statistiques, en date de 2012, le salaire moyen à Maurice s’élevait à Rs 29 360, alors que les dépenses mensuelles des ménages étaient de Rs 23 930. L’alimentation représentait 27 % du budget familial.

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !