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Kidfluencers : dans les coulisses d’une enfance en ligne

La présence de ses enfants en ligne est toujours encadrée, précise Krish Chedumbrun. La Mauricienne Veeneesta Pashi Lokombe explique que les vidéos avec son fils Zaïre reflètent des moments de spontanéité.
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Ils ont le rire facile, les répliques qui font mouche et parfois même des fans. À l’ère où les réseaux racontent nos vies, certains enfants prennent la pose… sans forcément perdre leur naturel. À Maurice et à Londres, deux familles ouvrent le débat.

Sur Instagram, TikTok ou Facebook, les enfants occupent une place de plus en plus visible. Qu’ils fassent de l’humour, partagent un moment tendre ou déclinent l’alphabet en vidéo, ces kidfluencers séduisent un public large. Le phénomène, d’abord marginal, s’installe. À Maurice, certaines familles s’en emparent pour transmettre des valeurs – et parfois explorer les opportunités économiques du contenu digital.

Mais derrière les vues et les likes, les questions demeurent : comment préserver l’enfance dans un univers ultra-connecté ? Où se situe la limite entre mise en scène affectueuse et surexposition ? Comment conjuguer authenticité, rentabilité et éthique ? Deux familles – l’une à Maurice, l’autre au Royaume-Uni – nous ouvrent les portes de leur quotidien numérique.

s Chedumbrun, à Maurice, les réseaux sociaux sont une affaire de famille. Depuis 2024, Krish et sa femme Kovila intègrent leurs deux enfants, Prayaan (10 ans) et Krishtee (8 ans), dans des vidéos diffusées sur Facebook et TikTok. Deux contenus par jour : une capsule de vie familiale et un épisode d’Anou Apran, leur série éducative maison.

« La présence de nos enfants en ligne est toujours encadrée », précise Krish. Lancée en mars 2025, Anou Apran propose des vidéos sur le harcèlement scolaire, les émotions, l’espace ou les drapeaux du monde. Objectif : apprendre en s’amusant. Plus de 120 épisodes ont déjà été publiés. « Nous avons lancé la série Anou Apran en mars 2025 pour faire de l’apprentissage une activité ludique et familiale », explique Krish.

Le succès ne s’est pas fait attendre.

Leur popularité s’est amplifiée après leur victoire à l’émission « Le Couple Parfait » de Radio Plus. Aujourd’hui, la famille réunit plus de 20 000 abonnés sur Facebook, 21 000 sur TikTok, et totalise deux millions de vues mensuelles. Les vidéos, majoritairement en créole, reflètent leur volonté de valoriser la langue maternelle, tout en s’ouvrant au français et à l’anglais. La plus populaire ? Une vidéo humoristique tournée en famille.

Derrière la caméra, l’organisation est millimétrée. Krish, ancien journaliste et expert en communication, a bâti un calendrier éditorial rigoureux. Les scénarios sont écrits à l’avance, les tournages ne dépassent pas deux heures par semaine. « À la maison, les règles sont claires : briefing avant chaque séance, repas pris avant de tourner, silence pendant les enregistrements », explique-t-il. À l’école, le regard des camarades est bienveillant. « Les professeurs, le directeur et leurs camarades les respectent beaucoup. Ils sont devenus de vrais exemples », confie leur père.

À des milliers de kilomètres, au Royaume-Uni, la Mauricienne Veeneesta Pashi Lokombe partage une approche plus spontanée. Maman du petit Zaïre, un an, elle publie sur Instagram et TikTok des tranches de vie, sans planification, sans pression. Son objectif n’est pas de mettre son enfant au centre, mais de capturer l’instant, avec naturel.

« Je n’ai jamais eu l’intention de faire de mon enfant une figure centrale. Il apparaît dans des moments spontanés, quand il est de bonne humeur. Devenir mère a transformé mon quotidien, et partager ces instants s’est imposé naturellement », raconte-t-elle.

Sur ses réseaux, on découvre aussi son mari congolais : un duo complice dans un univers trilingue – anglais, français et créole. « Cela influence notre manière de parler et de partager. Beaucoup de familles mauriciennes peuvent s’y reconnaître. » L’une de leurs vidéos les plus virales ? Une scène de tendresse où chacun embrasse leur fils sur une musique tendance. Résultat : près de 10 millions de vues. « Elle a été repartagée par SZA et Queen Latifah. »

Veeneesta, formée à la communication et au montage, évolue sur les réseaux depuis ses 17 ans. Aujourd’hui accompagnée par une agence, elle garde un contrôle total sur ses contenus. « Chaque vidéo reflète qui nous sommes. » Les contenus reposent sur l’authenticité et la spontanéité. « Certains jours, filmer prend 15 minutes. D’autres fois, c’est plus long. Mais on ne force rien, on capture simplement la vie. » Veeneesta a une règle stricte concernant l’exposition numérique de Zaïre : « Mon critère est simple : est-ce que ce contenu lui paraîtra respectueux dans quelques années ? Si j’ai un doute, je m’abstiens. »

Montrer, sans surexposer : un équilibre à trouver

Pour les deux familles, la modération est un fil rouge. Pas question de céder à la frénésie des vues ou de transformer leur quotidien en vitrine commerciale. Krish insiste : « Tout est respectueux et adapté à tous les publics. » Veeneesta veille également à limiter le temps d’écran de son fils et privilégie les tournages après la sieste ou le bain, « quand il est naturellement en forme ». Ici, pas de pression, ni de scénario imposé à un bébé d’un an.

Les retours sont encourageants. Prayaan et Krishtee participent avec entrain. « Ils aiment surtout les fous rires pendant les tournages et les commentaires bienveillants. Ce qu’ils aiment moins ? Les répétitions ! » révèle Krish. Quant à Zaïre, il réagit avec de larges sourires lorsqu’on lui montre ses vidéos. Preuve que le plaisir reste au cœur de la démarche.

L’univers des réseaux attire forcément les marques. Mais là encore, prudence. Krish travaille avec six marques, notamment dans l’optique et l’habillement. Deux d’entre elles rémunèrent certaines vidéos entre Rs 6 000 et Rs 10 000. L’argent est placé sur un compte réservé aux projets des enfants. « Nous ne demandons rien aux marques, et refusons toute collaboration qui ne correspond pas à nos valeurs », souligne-t-il. 

Les contenus sponsorisés sont généralement des publicités, mais les enfants ne sont jamais seuls à l’écran. La famille refuse de transformer les vidéos en outil de profit systématique : « Lorsqu’il s’agit d’ONG ou de causes sociales, nous faisons les vidéos gratuitement. »

Même posture chez Veeneesta, qui a décliné plusieurs propositions. « Chaque décision se fait avec conscience. » Et les revenus générés sont mis de côté pour Zaïre.

À ce jour, les enfants de Krish ne sont pas enregistrés comme artistes ou travailleurs. La famille insiste : leur activité n’est pas lucrative, mais éducative. « On leur apprend que ce n’est pas un jeu. Ils doivent comprendre les risques et les avantages », explique leur père.

L’exposition numérique des enfants peut-elle être saine ? À en croire Krish et Veeneesta, la réponse est oui… à condition d’instaurer des limites, de préserver l’équilibre, et de rester fidèle à ce que l’on est. « Les réseaux sociaux peuvent être des outils éducatifs et positifs », affirme Krish. Veeneesta abonde dans le même sens : « L’exposition numérique peut être belle si elle est faite avec intention. Mais la sécurité et l’innocence de mon enfant passent toujours en premier. »

Leurs enfants apprennent à parler face caméra, mais aussi à écouter, à créer, à réfléchir. Derrière les écrans, une autre forme de lien se tisse — non pas spectaculaire, mais profondément familial.

Combien gagne un enfant influenceur à Maurice ?

Rémunération moyenne par vidéo sponsorisée : Rs 6 000 à Rs 10 000

* Variable selon le nombre de vues, le type de partenariat et le contenu.

•  Certaines familles choisissent de ne pas monétiser tous leurs contenus.

Où va l’argent ?

Sur un compte dédié à l’enfant, réservé à ses projets et à son avenir.

Qui gère les contrats ?

Les parents, de A à Z :

  • Négociation
  • Création de contenu
  • Publication
  • Respect d’un cadre éthique

Quelles marques sont intéressées ?

Les secteurs les plus actifs :

  • Habillement enfantin
  • Accessoires scolaires
  • Jouets
  • Alimentation
  • Soins visuels & dentaires

Me Manindra Utchanah : «Un code de bonne conduite serait bénéfique pour les familles d’influenceurs»

manindraUn rapport conjoint du bureau de l’Ombudsperson for Children et de la Law Reform Commission pointe le vide juridique entourant la participation des enfants aux activités numériques. Me Manindra Utchanah alerte sur les risques de surexposition et appelle à un encadrement des revenus, de la scolarité et du bien-être.

Quels conseils donneriez-vous aux parents souhaitant exposer leur enfant en ligne tout en protégeant sa vie privée ?
Les parents doivent toujours placer l’intérêt supérieur de leur enfant au cœur de leurs décisions, conformément à l’article 3 de la Convention relative aux droits de l’enfant (CRC). Ils doivent s’assurer que toute exposition en ligne respecte rigoureusement les droits fondamentaux de l’enfant, tels qu’énoncés à l’article 31 (droit au repos, aux loisirs et aux activités récréatives) et à l’article 16 (droit à la vie privée) de la CRC. L’exposition doit être limitée, sécurisée et adaptée à l’âge de l’enfant, avec des mécanismes clairs de consentement et de retrait.

Quelle est la responsabilité des plateformes comme YouTube, TikTok ou Instagram dans la protection des enfants ?
Conformément au Data Protection Act 2017, ces plateformes ont la responsabilité juridique de protéger les données personnelles des mineurs. Elles doivent mettre en œuvre des mesures appropriées pour supprimer les contenus préjudiciables et prévenir toute exploitation commerciale ou atteinte au droit à l’image.

Un code de bonne conduite serait-il utile pour encadrer les familles d’influenceurs ? Faut-il le rendre obligatoire ?
Un code de bonne conduite serait bénéfique pour sensibiliser et responsabiliser les familles. Toutefois, il serait souhaitable de rendre obligatoires certaines règles essentielles, telles que la limitation des heures de « travail », l’obligation d’un suivi psychologique régulier, et la mise en place d’un compte d’épargne bloqué.

Qu’est-ce que le « consentement éclairé » en droit, et s’applique-t-il aux enfants sur les réseaux sociaux ?
Le consentement éclairé, tel que défini par le Data Protection Act 2017, doit être libre, informé et donné en connaissance de cause. Pour les enfants de moins de 16 ans, ce consentement doit impérativement être donné par leurs parents ou tuteurs légaux. Il est toutefois important d’associer l’enfant au processus, en tenant compte de son âge et de sa maturité.

Le silence ou l’absence de refus explicite ne constituent pas un consentement valable juridiquement»

Le consentement d’un enfant influencé par ses parents est-il valable ? Quelle est la limite ?
Le consentement d’un enfant obtenu sous pression parentale n’a pas de valeur juridique. La limite est franchie lorsque l’enfant ne dispose pas de la possibilité réelle de refuser librement, sans conséquences négatives, conformément au principe du consentement libre et éclairé établi par le droit civil mauricien et les normes internationales.

Si les vidéos génèrent des revenus, le consentement est-il plus difficile à évaluer ?
Oui, la dimension commerciale complexifie l’évaluation du consentement. Ces activités devraient être assimilées à un travail réglementé, nécessitant une protection financière stricte, telle que la création d’un compte d’épargne bloqué pour les revenus générés.

Quand une activité d’influence devient-elle un vrai travail ? Un enfant peut-il y consentir comme un adulte ?
Une activité d’influence devient un travail lorsqu’elle est régulière, rémunérée et comporte des contraintes significatives. En vertu du Workers’ Rights Act 2019, les enfants de moins de 16 ans ne peuvent exercer un travail qu’avec une autorisation spécifique. Ils ne sont pas juridiquement capables de consentir comme un adulte.

Un jeune adulte peut-il demander la suppression de vidéos publiées dans son enfance ?
Oui. Selon le Data Protection Act 2017, tout individu, y compris un adulte, a le droit explicite de demander l’effacement de ses données personnelles, y compris les vidéos publiées durant son enfance, en invoquant son droit à la vie privée.

Existe-t-il à Maurice une loi spécifique protégeant les enfants contre la surexposition en ligne par leurs parents ?
Actuellement, aucune loi spécifique ne protège les enfants contre la surexposition en ligne par leurs parents. Toutefois, la nécessité d’une telle législation se fait de plus en plus sentir afin d’encadrer précisément cette problématique et de prévenir toute forme d’exploitation.

Si une famille affirme que l’enfant aime être filmé, est-ce suffisant pour justifier une exposition publique ?
Non, ce n’est pas suffisant juridiquement. Même si l’enfant semble enthousiaste, les parents doivent objectivement évaluer les impacts à long terme sur sa vie privée et son bien-être psychologique, conformément au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant énoncé à l’article 3 de la CRC.

Si un enfant ne peut pas dire « non », peut-on vraiment considérer qu’il est d’accord ?
Non. Le silence ou l’absence de refus explicite ne constituent pas un consentement valable juridiquement. Conformément au principe du consentement libre et éclairé, il est impératif que l’enfant dispose réellement de la possibilité d’exprimer un refus sans subir de conséquences négatives.

Enfants artistes, athlètes, influenceurs : un vide juridique dénoncé

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Le lancement des recommandations a eu lieu à l’hôtel Labourdonnais au Caudan Waterfront.

Un rapport sur les droits des enfants artistes et athlètes a été rendu public le lundi 23 juin dernier, lors d’une conférence de presse à l’hôtel Labourdonnais, au Caudan. Intitulé The Protection of the Rights of Child Artists and Child Athletes, ce document est le fruit d’une collaboration entre le bureau de l’Ombudsperson for Children et la Law Reform Commission (LRC). Il met en lumière les lacunes du cadre juridique mauricien entourant la participation des enfants aux activités artistiques, sportives et numériques.

Reposant sur les travaux d’un comité de pilotage interdisciplinaire – incluant les ministères de la Culture, des Sports, du Travail, de l’Égalité des genres et du bien-être de la famille –, le rapport dresse un constat préoccupant : absence de règles claires pour la rémunération, manque de reconnaissance des droits créatifs, accompagnement psychologique insuffisant, et conditions de travail parfois précaires.
Pour l’Ombudsperson for Children, Aneeta Ghoorah, il y a urgence.

« De nombreux enfants sont vulnérables, exposés à des formes d’exploitation souvent invisibles ou banalisées », a-t-elle affirmé. Elle a notamment dénoncé le vide juridique actuel, qui laisse ces jeunes livrés à eux-mêmes dans des environnements exigeants.

Le phénomène des « kidfluencers » – enfants très exposés sur les réseaux sociaux et dans les campagnes publicitaires – a également été montré du doigt. « Ces enfants sont souvent admirés, mais ils ne sont pas toujours protégés. Ils peuvent faire face à des menaces en ligne, à des problèmes de santé mentale, à la déscolarisation ou encore à l’exploitation de leur image et de leur argent », a averti Aneeta Ghoorah.

Le rapport, déjà soumis au président de la République et déposé à l’Assemblée nationale, formule une série de recommandations concrètes. Il propose notamment que toutes les activités rémunérées impliquant des mineurs soient encadrées par le Children’s Act, avec des limites strictes sur les heures de travail, des périodes de repos garanties et l’obligation de maintenir la scolarité.

Parmi les mesures phares : la création de comptes d’épargne bloqués pour sécuriser une part des revenus jusqu’à leur majorité, l’instauration de bilans médicaux et psychologiques obligatoires pour les jeunes athlètes, et la certification des encadrants du monde artistique et sportif. Le rapport suggère également une révision du Children’s Act et du Workers’ Rights Act afin de construire un cadre légal plus robuste et protecteur.

En conclusion, Aneeta Ghoorah a rappelé que ces propositions ne visent pas à brider les ambitions des enfants, mais à leur offrir un environnement épanouissant. « Il ne s’agit pas de restreindre leurs rêves, mais de garantir leur dignité et leur sécurité. » Elle a invité les ministères concernés à agir sans attendre, et les médias à relayer largement ces recommandations.

Likes, caméras, action…et après ?

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La psychologue clinicienne Hajra Issimdar-MamodeSaeb.

Ils posent, ils plaisent, ils font rire ou rêver, et cumulent parfois des millions de vues. À l’heure où les réseaux sociaux s’invitent dans les berceaux, certains enfants sont devenus de véritables mini-stars numériques. Mais derrière les écrans, quels impacts sur leur développement psychologique ? La psychologue clinicienne Hajra Issimdar-MamodeSaeb alerte sur les effets invisibles d’une notoriété précoce. Décryptage.

Avant 9 ans, explique-t-elle, les enfants ne perçoivent pas la différence entre être admiré par un proche… ou par des milliers d’inconnus. Ce n’est que vers 12 ou 13 ans qu’ils commencent à intégrer ce que signifie l’exposition publique : jugement, regard extérieur, effet miroir. Mais même à l’adolescence, cette conscience reste fragile, enchevêtrée avec une quête de reconnaissance.

« Avant l’âge de 14 ans, la notoriété est perçue comme un jeu, parfois grisant, souvent biaisé. L’enfant recherche la validation, sans toujours comprendre les enjeux qui l’entourent », explique la psychologue. 

D’où l’importance d’un accompagnement parental constant : expliquer la notion de vie privée, poser des limites claires, instaurer un dialogue régulier et, surtout, être à l’écoute de ce que l’enfant ressent vis-à-vis de sa propre image.

Quand le like devient une drogue

La chasse aux likes n’est pas un simple passe-temps : elle active les circuits de la récompense du cerveau, les mêmes que ceux impliqués dans certaines addictions, précise la psychologue. Plus l’enfant reçoit de réactions, plus il en veut. La spirale s’installe : besoin d’approbation, publication frénétique, attente fébrile devant les notifications.

« Certains enfants en viennent à vérifier compulsivement leurs vues, à publier plusieurs fois par jour, et à vivre dans la peur du silence numérique », observe Hajra Issimdar-MamodeSaeb. Quand l’attention baisse, l’anxiété monte : irritabilité, baisse de l’estime de soi, voire symptômes dépressifs apparaissent. On parle alors d’« addiction à l’approbation », un phénomène de plus en plus étudié dans les milieux cliniques, et dont les effets à long terme sont préoccupants.

Identité en vitrine

À force de se mettre en scène, l’enfant ne sait plus qui il est vraiment. Il devient le metteur en scène de sa propre image, choisissant soigneusement les contenus à publier pour plaire à une audience. Sauf qu’en retour, il se construit au travers du regard des autres : leurs commentaires, leurs likes, leur validation.

« L’identité de l’enfant devient fragmentée : un ‘moi’ pour les followers, un autre pour les parents, un autre encore pour l’école. Il n’est plus en capacité de développer une estime personnelle stable », explique la psychologue.

Ce phénomène crée des ruptures dans la construction identitaire : plus l’enfant grandit avec cette multiplicité de rôles, plus il devient vulnérable à l’opinion d’autrui, et moins il parvient à se sentir cohérent.

Anxiété, isolement… les risques invisibles

L’exposition précoce au numérique n’est pas anodine. Selon la psychologue, plusieurs études récentes démontrent une corrélation entre l’usage intensif des réseaux dès l’enfance et l’apparition de troubles anxieux à l’adolescence. L’hyperconnectivité favorise paradoxalement un sentiment de solitude.

L’enfant peut se sentir en représentation permanente, soumis à un stress de performance, de comparaison ou d’exclusion numérique. « Quand un enfant ne se sent aimé que lorsqu’il est ‘liké’, c’est tout son rapport à l’amour, à l’amitié et à lui-même qui se dérègle », note la psychologue clinicienne.

Et lorsque le « feed » se tait, le silence pèse. Ce décalage entre vie réelle et image en ligne peut entraîner repli sur soi, troubles du sommeil, irritabilité… autant de signes d’alerte à ne pas négliger, avertit-elle.

Cybermoqueries et regrets numériques

Ce qui était mignon à 6 ans peut devenir gênant à 13. L’enfant exposé en ligne traîne une empreinte numérique durable, parfois hors de son contrôle. Une vidéo maladroite ou un moment d’intimité partagé peut être repartagé, moqué, détourné.

« Le cyberharcèlement et la honte numérique peuvent surgir des années après la publication initiale », alerte Hajra Issimdar-MamodeSaeb.

À l’école, les moqueries liées aux contenus en ligne peuvent causer isolement, dépression ou sentiment d’avoir été trahi dans son intimité, explique-t-elle. Le regard de l’autre devient source de stress et de rejet, à un âge où l’enfant devrait surtout construire sa confiance en lui.

Le consentement, une notion à repenser

Peut-on parler de consentement éclairé lorsqu’un enfant de 7 ans accepte de poser devant la caméra ? Pas vraiment, selon la psychologue. Le rôle des parents est ici crucial : expliquer les tenants et les aboutissants, garantir le droit au retrait, ne jamais forcer un tournage. « Le consentement est un processus évolutif, pas une autorisation ponctuelle », insiste-t-elle.

Il faut aussi protéger l’autonomie psychologique de l’enfant : l’aider à comprendre qu’un like ne vaut pas un « je t’aime », et que son image ne doit pas devenir sa valeur.

Des solutions concrètes pour protéger

Certaines propositions simples peuvent éviter bien des dérives. Parmi elles, Hajra Issimdar-MamodeSaeb recommande :

  • Un âge minimum pour une exposition régulière sur les réseaux
  • Un bilan psychologique annuel pour les enfants influenceurs
  • Une littératie numérique enseignée dès le primaire
  • Des espaces de dialogue parent-enfant réguliers
  • Un compte bloqué pour sécuriser les revenus générés

Ces mesures ne visent pas à interdire, mais à protéger, en construisant un cadre éthique autour d’une pratique encore trop floue, souligne-t-elle.

Et si on réapprenait à dire non à l’algorithme ?

Partager un moment de complicité parent-enfant, c’est précieux. En faire un contenu public, c’est un choix. Mais est-ce un choix éclairé, réciproque et respectueux ? « Le vrai défi n’est pas de faire le buzz, mais de rester présent. De préserver l’enfance dans un monde où tout se poste, tout se commente », conclut la psychologue. Et de rappeler qu’un sourire sincère, une accolade spontanée ou un regard complice, loin de toute caméra, n’a pas besoin de filtre pour exister.

Une visibilité à double tranchant

Ils sont drôles, attachants, pleins d’énergie – et déjà très visibles en ligne. Les enfants influenceurs, ou kidfluencers, conquièrent les réseaux sociaux, et par la même occasion, l’attention du public… et des marques. Ce phénomène, bien qu’en pleine expansion à Maurice, soulève des questions de société majeures.

Pour le sociologue Rajen Suntoo, « les kidfluencers attirent l’attention car les gens aiment voir des enfants mignons, drôles ou talentueux ». Cette proximité est rendue possible par la facilité d’accès aux outils numériques. Smartphones en main, parents et enfants deviennent les acteurs d’un contenu à la fois divertissant et commercialement attractif. 

Mais à force de capturer le quotidien, une bascule s’opère : ce qui relevait autrefois de l’intime devient public, observe Rajen Suntoo. Cette exposition précoce, souvent orchestrée par les parents, peut influencer la manière dont l’enfant construit son rapport à lui-même et au monde. Il apprend tôt à se montrer… avant même d’avoir appris à se connaître. « De plus, les enfants n’ont pas toujours leur mot à dire sur ce qui est montré d’eux. »

Or, les images partagées restent en ligne, parfois bien au-delà de l’enfance. Une vidéo amusante à 6 ans peut devenir gênante à 16. Ce qui est publié aujourd’hui peut ressurgir demain et façonner l’image que l’enfant a de lui-même – ou que les autres ont de lui, alerte le sociologue. Ces traces numériques, visibles et souvent irréversibles, peuvent peser sur sa vie sociale, scolaire, voire professionnelle.

À cela s’ajoute une question délicate : à qui profite vraiment cette visibilité ? Si certains parents souhaitent simplement partager leur quotidien, d’autres cherchent reconnaissance ou retombées financières. Il arrive que les intérêts de l’enfant passent au second plan, souligne Rajen Suntoo. Le risque d’exploitation ou de pression existe, surtout en l’absence de règles claires.

C’est pourquoi le sociologue plaide pour une régulation plus ferme de ces pratiques. Consentement éclairé, limitation du temps d’écran, suivi psychologique, sécurisation des revenus : autant de garde-fous nécessaires pour protéger les enfants… de la surexposition comme de ses conséquences invisibles. Mais il ne s’agit pas de jeter la pierre aux familles. Les écoles, les médias et les plateformes numériques ont aussi un rôle majeur à jouer dans l’éducation à une utilisation plus responsable des réseaux, insiste-t-il.

 

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