Live News

Mère, pêcheuse, battante…Shica tient ferme sa barque

Shica Teeluck Marday exerce le métier de pêcheuse depuis 18 ans.

À 3 h 30 du matin, Shica Teeluck Marday est déjà debout, prête à affronter la mer. Pêcheuse, mère de six enfants et battante infatigable, elle incarne la force discrète des héroïnes du quotidien.

Publicité

Il est 3 h 30 du matin, et la nuit est encore épaisse sur Mahébourg. Dans une petite maison, une silhouette s’active déjà. Shica Teeluck Marday, 42 ans, prépare son sac, vérifie ses filets et prend un moment dans la pénombre pour respirer profondément. « Je pars avant tout le monde, parce que j’ai des bouches à nourrir », dit-elle simplement.

À 4 heures précises, elle quitte la maison, lampe torche à la main. Direction la mer. Les hommes la saluent sur la plage : c’est l’une des rares femmes pêcheurs de la région, et depuis longtemps. Elle a gagné le respect à la sueur de son front.

Je n’ai jamais eu peur d’apprendre. Je voulais nourrir mes enfants. Même si mes mains saignaient»

« Je suis née ici, la mer c’est ma vie », explique-t-elle un peu plus tard, assise sur un banc en bois sous le grand banian où elle vend une partie de sa pêche. Ses yeux rient quand elle parle de ses enfants, mais son regard s’assombrit vite quand elle évoque le passé.

Shica a 42 ans aujourd’hui. Elle est mère de six enfants : l’aînée a 25 ans, le plus jeune 12 ans, et elle a déjà deux petits-enfants. Sa vie n’a rien d’un conte de fées. « J’ai été mariée une première fois. Huit ans. Et battue presque tout ce temps. » Elle serre les dents. « Pour un rien. Un mot de travers, un plat trop salé. Je prenais des coups. »

Pourquoi être restée ? « Je n’avais nulle part où aller. J’avais déjà quatre enfants. » Sa voix se brise un instant avant de reprendre : « Mais un jour, je me suis dit : ça suffit. Si je reste, je vais mourir. Et qui s’occupera d’eux ? »

Elle est partie. Sans argent. Avec juste ses enfants et sa détermination. « Je leur ai juré qu’ils ne connaîtraient pas la faim. Même si je devais mourir au travail. »

Le respect, on le gagne. Moi, aujourd’hui, je suis respectée. Parce qu’ils savent que je me bats»

Pour tenir cette promesse, Shica a pris tous les petits boulots qu’elle a trouvés. « J’ai commencé sur des chantiers. Une femme maçon ! Les hommes se moquaient de moi. Mais j’ai appris. Porter des pierres, faire du mortier, poser des briques… je le faisais bien. » Elle rit, un rire franc : « Quand ils ont vu que je travaillais mieux que certains hommes, ils ont arrêté de rire. »

Après la maçonnerie, la menuiserie. « Je n’ai jamais eu peur d’apprendre. Je voulais nourrir mes enfants. Même si mes mains saignaient. » Mais ces métiers étaient précaires. « Pas tous les jours, pas assez pour six enfants. »

Elle s’est tournée vers ce qu’elle connaissait depuis l’enfance : la mer. « Mon père pêchait un peu. Mes frères aussi. Moi, je regardais. Je savais où allaient les poissons. » Il y a 18 ans, elle a pris sa première barque. « J’étais morte de peur. Une femme seule parmi tous ces hommes ! Mais j’ai dit : je n’ai pas le choix. »

Elle a plongé ses casiers, ramé, guetté la marée. Et elle a ramené des « ourites » et des poissons. « Je les ai vendus. Ce jour-là, j’ai eu de quoi remplir la marmite. Je me suis dit : c’est ça que je vais faire. » Depuis, elle n’a jamais arrêté.

« Je me lève à 3 h 30. Je prépare tout. À 4 heures, je suis sur la plage. Avec mon mari aujourd’hui, ou parfois seule. » Car oui, elle s’est remariée. Avec un pêcheur qui la respecte et l’aide. « Il me soutient beaucoup. Il sait ce que j’ai enduré. »

Ensemble, ils vont jusqu’au large ou au brisant. Elle pêche de tout : ourites, crevettes, calamars, poissons de roche. « Je ne fais pas la difficile. Tout ce que la mer donne. » Elle revient vers 14 heures, exténuée. « Je suis trempée de sel et de sueur. Mais quand je pose le seau plein sur la table, je suis fière. »

Shica n’est pas seulement pêcheuse. Elle est aussi vendeuse, commerçante. Sous son grand banian à Mahébourg, elle pèse, nettoie, discute avec les clients. « Je vends propre. On me fait confiance. » Elle a même ouvert un petit local pour vendre directement ses produits de la mer. « Je voulais être indépendante. Avoir mon coin. » Elle sourit : « Je ne voulais plus courir après personne. Je fais tout : pêcher, vendre, gérer l’argent. »

En effet, Shica mène tout de front, et meme les tâches ménagères. « Je n’ai jamais eu de bonne. Tout ça c’est moi. » Elle rit : « Je suis dure. Mais la vie m’a rendue comme ça. »

Quand on lui demande ce qu’elle dirait aux femmes, elle répond sans hésiter : « N’ayez jamais peur de travailler. Même si c’est sale, même si c’est lourd. C’est mieux que de subir ou de dépendre. » Le respect, ajoute-t-elle, « on le gagne. Moi, aujourd’hui, je suis respectée. Parce qu’ils savent que je me bats ».

Elle insiste : « Je veux que mes filles sachent qu’une femme peut tout faire. Construire, pêcher, vendre. Il faut juste avoir le courage. » Elle croit que sa mission est d’être mère et de montrer l’exemple. « Je veux qu’ils se rappellent que leur mère s’est battue. Qu’elle ne les a jamais laissés sans manger. »

Shica Teeluck Marday, une femme exemplaire. Une mère courageuse. Une lionne des mers. Qui rappelle à toutes qu’avec foi et courage, rien n’est impossible. « Je suis mère, femme, pêcheur. Tout ça en même temps. Et je suis fière. » 

Quand elle plie ses filets après la vente, Shica sourit. « Demain je repars à 4 heures. La mer m’attend. » 

Sa foi inébranlable 

La mer, dit-elle, n’est jamais un terrain sûr. « Plusieurs fois, j’ai failli mourir . » Elle raconte une fois où la mer s’est levée brusquement. « Le ciel s’est couvert. Les vagues ont grossi. Je me suis retrouvée seule au large. » Elle baisse la voix. « J’ai pensé que c’était fini. J’ai prié : ‘Seigneur, fais que je retourne vivante pour mes enfants. Je ne peux pas les laisser seuls. ’ » Elle dit que ses prières l’ont sauvée plus d’une fois. D’ailleurs, elle parle souvent de Dieu. « Dieu m’a protégée. Sans Lui, je ne serais pas là. Il m’a sauvée des vagues. Il m’a donnée la force de quitter mon premier mari. J’ai foi en Lui. »

Une mère avant tout

Shica insiste : « Je suis mère avant tout. » Elle regarde ses mains calleuses. « Ces mains ont tout fait pour eux. » Elle n’a jamais accepté de mendier. « Même si je devais porter des pierres, je le faisais. Mais je voulais qu’ils mangent. » Ses enfants vont à l’école. « Je veux qu’ils aient mieux que moi. » Elle sourit fièrement : « Je suis aussi grand-mère maintenant. Deux petits-enfants. Je les adore. »

Ajagen Koomalen Rungen et Azeem Khodabux 

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !