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Jaynoor Jagessur, centenaire à Camp Diable : des années de braise dans les champs de canne

De gauche à droite : assis : Kateejah, épouse de Sidicq, et leur fille Yusra, Jaynoor Jagessur (la centenaire), Sidicq (debout).

Ce lundi 27 novembre 2023, l’île Maurice compte une nouvelle centenaire, qui s’ajoute à une liste déjà impressionnante. En effet, Jaynoor Jagessur, domiciliée à Camp Diable, fête ses cent ans en présence de sa nombreuse famille. Parmi, ses petits-enfants venus d’Angleterre pour célébrer l’événement.

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C’est un des rares témoins du siècle encore en mesure de rendre compte de la vie durant les années de braise dans le milieu rural. « Elle est encore lucide, capable d’évoquer des bribes de son enfance », confie son fils Sidicq, 68 ans, chez qui réside Jaynoor à Camp Diable. Celle-ci sait déjà qu’une grande fête a lieu aujourd’hui au centre social de Camp Diable, où députés et ministres de la localité se presseront. 

Au-delà des festivités, l’histoire de Jaynoor Jagessur a aussi ses pages tragiques. L’aînée d’une fratrie de quatre enfants, dont trois sœurs, elle perd son père alors qu’elle a deux ans. Ce sera alors une période noire qui pousse sa mère, Shakina, à la mendicité. « Plus tard, elle m’a raconté que sa mère, sa sœur et elle ont été bien aidées par des familles de la communauté tamoule et télégoue. Elle ne cesse de dire qu’elle leur doit une éternelle reconnaissance », partage son fils. 

Après cette période sombre, les deux sœurs suivront leur mère dans les champs de canne. « Ti pe gagn 3 sou par zour. Mo mama ti labourer. Nou ti pe koup kann, piose… », se souvient-elle. Jamais scolarisée, elle suivra cependant des cours d’éducation religieuse auprès d’enseignants bénévoles, dont un membre de la famille Karamuth, notable de la localité, dont le nom a été donné à la rue où habite la famille. 

Une fois mariée, elle emménage avec son époux dans une maison en tôle, ce qui était un luxe par rapport aux cabanes en toit de chaume des régions rurales. « Puis, on a acheté deux vaches, ce qui nous permettait d’avoir du lait qu’on vendait à deux sous le quart », relate Sidicq. Plus tard, grâce à quelques économies, son père a pu négocier l’acquisition d’un terrain à la rue Karamuth.

‘Mouroum’, manioc et arouille cari

L’alimentation est plutôt rudimentaire en ces années-là. « Ti pe manz gro diri, lanti, pwason sounouk. Pa ti ena kouran. Kan Seewoosagar Ramgoolam finn vini, finn ena inpe progre », fait ressortir la centenaire. Dans chaque cour, à l’époque, il y a un arbre ‘mouroum’, on plantait le manioc et l’‘arouille cari’ et on élevait des vaches et des poules. Au moment des bagarres raciales, certaines familles fuient la capitale, notamment de Cassis, et emménagent à Camp Diable. 

Dans les champs, le travail reste pénible. Sans équipements, les laboureurs et autres travailleurs, hommes et femmes, vivent un véritable calvaire au quotidien. « Ti pe senie ant bann pous lipie, nou pa ti ena bot. Nou ti bizin met dilwil koko. Ena travayer ti pe gagn tetanos », raconte Jaynoor Jagessur. Les femmes commençaient le travail vers 4 heures, en essayant de cacher les enfants. La loi qui datait de l’époque de la commission royale et instituée sous la pression de l’Action libérale, avait interdit le travail des enfants. « Me nou ti bizin viv, boukou fami ti miser. Finn bizin amenn zanfan travay », explique-t-elle. 

Des hauts et des bas

À ses bribes de témoignages viennent se greffer ceux de Sidicq qui se rappelle de ses années d’école. « Bann zi ti ser pou nou, nou ti pe fer zi sitron. Mo mama, mem si nou ti tre modes, ti konsian ki bizin ena bann manze ekilibre. Nou ti manz boukou sardinn ». 
Au sein de la famille, comme partout, il y avait des hauts et des bas. « Mais, mes parents ont su comment ménager la chèvre et le chou pour préserver l’unité de la famille », dit-il. C’est ce souci familial, poursuit-il, qui a permis à la famille d’accomplir des progrès contre vents et marées. « Aujourd’hui, grâce aux témoignages de ma mère, nous savons ce que vaut une roupie, mais nous nous sommes aussi imprégnés de valeurs telles que l’accueil, la fraternité, et de bonnes manières que nous transmettons à nos petits-enfants », fait-il valoir.

Depuis la semaine dernière, la famille de son défunt frère Bashir, parti pour des études de ‘nursing’ en Angleterre dans les années 70, et qui compte quelque 28 membres, est arrivée à Maurice pour participer à la fête de ce lundi en l’honneur de la centenaire. « C’est la première fois que nous avons tous ces membres de la famille qui viennent en même temps à Maurice. Beaucoup se souviennent de ma mère qui s’était rendue en Angleterre », dit-il, avant d’enchaîner : « Ce qui donne à la fête une dimension particulière, d’autant que ma mère est la première centenaire de la famille ». 

Comment explique-t-il la longévité de sa mère en ces temps où maladies et accidents de la route fauchent parfois des personnes encore jeunes ? « Je pense que c’est sa foi, une alimentation équilibrée, un mental solide et l’entourage familial qui lui ont permis d’atteindre ce grand âge », conclut-il.
 

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