Le ministère de la Santé peut-il favoriser un importateur de médicament au détriment d’un autre ? Parmi des importateurs interrogés, les avis divergent. Depuis l’éclatement du scandale entourant l’acquisition de 999 000 comprimés de Molnupiravir par le ministère de la Santé, les langues commencent à se délier.
Certains parlent d’un « blessing in disguise », estimant qu’il y a là une occasion en or pour revoir le système de ‘Procurement’ au ministère de la Santé où sévirait une véritable mafia. Parmi les doléances qui reviennent souvent parmi des importateurs, il y a les soupçons de complicité entre des hauts cadres, principalement postés dans le département d’approvisionnement, et certains importateurs. Un homme d’affaires, engagé dans l’importation de médicament depuis une dizaine d’années indique qu’il arrive parfois que les procédures prennent « étrangement » beaucoup de temps.
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Le Trade and Therapeutic Committee siège de manière irrégulière."
Il explique qu’une fois que les médicaments importés et destinés à la commercialisation aient atterri à Maurice, il faut obtenir le feu vert du ministère pour pouvoir en prendre possession. Il faut alors soumettre une série de documents qui doivent être validés par le Trade and Therapeutic Committee du ministère de la Santé. « Sauf que ce comité siège de manière irrégulière. Si on veut ‘bloquer’ un importateur, il suffira alors de repousser la tenue de ce comité », dit-il. Un autre importateur, plus aguerri, soutient que la bureaucratie à elle-seule suffit. « On vous fait comprendre qu’il y a plusieurs dossiers à traiter et qu’il faut patienter », déplore-t-il tout en dénonçant le manque de transparence.
La petite bête
Un distributeur, relativement « nouveau » dans le business d’importation de médicaments, fait lui valoir que le ministère peut aussi chercher la petite bête. L’objectif étant de retarder la livraison des médicaments, en faveur d’un autre importateur, par exemple. « Ils vous demandent des informations additionnelles. ‘Zot fer lipoupoul.’ Il faut alors rechercher ces informations auprès du laboratoire pour les transmettre au ministère. ‘Si 2-3 fwa zot fer sa ek ou pou enn prodwi, be plizir semenn kav fini pase. Letan-sa ou konkuran so prodwi fini rantre, fini met lor marse, pe vande’ », dit-il.
« Guidelines »
Un avis que ne partage cependant pas un autre importateur, qui affirme qu’il est difficile de « bloquer » un importateur. Selon lui, il s’agirait d’importateurs « frustrés ». « Si tous vos papiers sont en regle et que vous avez suivi scrupuleusement les ‘guidelines’ à l’intention des importateurs et qui sont en vigueur depuis quelques années, il n’y a aucune raison pour que votre demande ne soit pas agréée », soutient-il. Au sujet de la bureaucratie, il s’interroge sur l’intérêt d’un tel acte qui serait supposément « malveillant ». « Fonksioner sa, ki li ena a geynie ? », demande-t-il.
En cas de refus ou de « retard », notre interlocuteur soutient qu’il y a plusieurs recours possibles. « Vous pouvez transmettre une lettre officielle au ministère en ce sens », indique cet importateur qui soutient que le fournisseur pourrait lui-aussi « lev beze ».
Médicaments destinés au marché local : les procédures en 5 étapes
1. Faire enregistrer le médicament auprès du Pharmacy Board
2. Se faire enregistrer comme importateur auprès du ministère de la Santé
3. Importer les médicaments
4. Rechercher le feu vert du ministère de la Santé pour obtenir la livraison des médicaments des services de douane
5. La fixation du prix se fait à la Price Fixing Unit du ministère du Commerce
Approvisionnement en urgence
Dans le cas d’approvisionnement en urgence par le gouvernement pour les besoins de la Santé publique, un importateur explique que contrairement à un médicament destiné au marché local, aucun enregistrement n’est recherché. Il suffit au gouvernement de lancer l’exercice d’appel d’offres et de préciser les spécifications ainsi que les conditions. « Vous pouvez ne pas être enregistré comme importateur ou distributeur de médicaments. Si vous pouvez fournir les médicaments d’après les spécifications à un prix raisonnable, vous avez alors toutes vos chances de décrocher le contrat. D’où le terme ‘urgence’, car il y va de la vie de la population », dit-il. Notre interlocuteur soutient que la compagnie locale devra toutefois fournir les documents nécessaires émanant du fabricant.
Or, là encore, certains importateurs dénoncent la façon dans laquelle se déroulent les exercices d’appel d’offres pour l’acquisition des médicaments, déplorant un manque de transparence. « Si vous espérez obtenir un contrat, il faut alors vous assurer que vous avez quelqu’un de l’intérieur qui vous indiquera le montant à inscrire pour que vous soyez le ‘lowest bidder’. Au cas contraire, c’est extrêmement compliqué », allègue-t-il.
Notre interlocuteur, qui a été membre du Pharmacy Board, indique qu’il y a aussi des « astuces » pour s’assurer qu’un importateur ne décroche pas un contrat. « Si, par exemple, vous avez fourni la dizaine de documents qui ont été recommandés, ils vous demanderont alors de fournir un document supplémentaire, puis un autre et encore un autre, jusqu’à ce que vous jetiez l’éponge », ajoute-t-il.
Ou plus surprenant encore, notre interlocuteur explique qu’il arrive qu’on demande « l’impossible » aux importateurs. « Ils vous demandent de fournir un document qu’il est impossible d’avoir, comme par exemple un document qui atteste qu’un générique corrobore avec un produit original. Or, le plus important c’est d’avoir le Certificate of Pharmaceutical Product (CPP), de connaitre la bioéquivalence, s’assurer que le produit ne soit pas un ‘fake’ et que le dosage soit respecté, entre autres », considère notre interlocuteur.
Special request
Le ministère de la Santé peut aussi autoriser un particulier ou une société qui n’est pas enregistré comme importateur/distributeur de médicaments. On parle alors de « special request ». Cette requête spéciale peut émaner, par exemple, d’un établissement de santé privé qui doit se procurer un médicament spécifique et qui n’est pas disponible sur le marché pour un patient. Il s’agit généralement de petite quantité.
Surfacturation : pour des marges de profit plus importantes
C’est une combine qui n’est un secret pour personne, que ce soit les importateurs ou les autorités. Il s’agit de la surfacturation de produits pharmaceutiques, permettant aux importateurs d’engranger des profits plus importants. Explications…
Selon un courtier maritime qui connait bien les rouages dans le domaine de l’importation de médicaments, il est parfois question de surfacturation du produit importé. « C’est parce que les médicaments sont ‘zero rated’, exemptés de la taxe et que les prix sont fixés », dit-il.
Il explique que si un importateur souhaite obtenir une marge de profit plus importante, sachant que cette marge est fixée aux alentours de 11 % pour les importateurs, il s’arrange alors pour faire gonfler le prix depuis son fournisseur. « Bizin konplisite vander pu kapav fer sa », dit-il. Pour cela, ajoute notre interlocuteur, une des astuces consiste à passer à travers un agent et non le fabricant du médicament directement. Car, selon ses dires, les fabricants, du moins ceux qui ont une certaine éthique, seraient peu enclins à s’adonner à de telles pratiques. « Or, à travers l’agent, l’importateur peut justifier la hausse du prix affiché à la base par le fabricant. ‘Admeton fabrikan dir Rs 100. Importater dir ki acoz linn pas par enn agent, linn pei sa Rs 130. Lerla Moris, so marz profi kalkile lor Rs 130. Seki konn fer matematik pu kone ki 11 % lor Rs 130 pu fer plis ki 11 % lor Rs 100 », dit-il.
Étant donné que l’importateur devra néanmoins montrer une facture, notamment par virement bancaire, à l’agent au prix de Rs 130, le courtier maritime indique que l’importateur s’arrangera ensuite avec l’agent pour récupérer l’excédent qu’il a payé, dont une partie reviendra à l’agent.
Quatre moyens de récupérer son « surplus »
Il existerait plusieurs moyens pour un importateur qui a volontairement fait surfacturer un produit de « récupérer » le surplus qu’il a fait parvenir à son fournisseur ou à son agent.
- Astuce 1. Une façon consiste à se rendre dans le pays d’exportation pour le récupérer. « Cela peut se faire en cash, s’il s’agit d’un montant pas très conséquent. Ou encore, l’importateur peut s’y rendre avec la famille, pour des vacances, par exemple. ‘Li kone li ena enn kass laba, li pa bizin amenn buku avec li », fait ressortir un courtier maritime.
- Astuce 2. Un autre moyen consiste à récupérer l’argent lors d’une prochaine importation. S’il s’agit d’un produit frappé par la taxe et la TVA, l’importateur peut demander à son fournisseur de lui faire parvenir un « pro forma invoice » avec un montant réduit, ce qui lui permettra de payer moins de taxe à Maurice. « Admettons que l’importateur dispose d’une ‘réserve’ de Rs 200 000 auprès du fournisseur et que sa prochaine marchandise coute Rs 1 000 000, l’importateur lui demandera de lui faire parvenir un pro forma invoice de Rs 800 000. L’importateur paiera ainsi la taxe sur Rs 800 000 au lieu de Rs 1 000 000. ‘Li pa pey tax lor Rs 200 000’ », explique un douanier à la retraite. Et d’ajouter : « Lor bann kontra par milyon, pey 25 % tax en mwin (ndlr : 15 % VAT et 10 % de Duty Tax), li fer enn gro benefis pu importater », souligne-t-il.
- Astuce 3. Un importateur, engagé également dans l’importation de produits alimentaires, parle lui de « triangular deal ». « Si un importateur dispose d’un surplus avec un agent A, mais qu’il doit s’approvisionner auprès d’un agent B, il peut demander à l’agent A de transférer son surplus à l’agent B. ‘Azan-azan negosie, lerla ek prosedir-la res parey, setadir azan avoy enn ‘pro forma invoice’ avek enn montan dedwi ki linn deza fini touse atraver sirplis-la », soutient cet importateur.
- Astuce 4. Le « surplus » dont dispose un importateur auprès d’un agent dans un pays étranger peut aussi être « alloué » à un autre importateur. « Si j’ai un ami importateur qui se rend dans ce pays, je peux demander à mon agent de lui restituer mon surplus pour qu’il puisse faire ses achats. ‘Li pu pran sa kas-la li pu fer enn depo dan bann magazin, anou dir 10 %. Lerla pro forma vinn lor enn montan ki mwin, setadir 90 % pri reel. Mo kamarad ranbours mwa kas-la ici lerla. Li kav an kas mem ou lezot fason », poursuit l’importateur.
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