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Ils ont fait l’Histoire - SSR et SGD : destins mêlés, destins croisés

SSR et SGD

Deux hommes ont incontestablement dominé l’histoire moderne de Maurice. L’un est né un 18 septembre, l’autre un 9 octobre, mais à trente ans d’intervalle. Avant de passer à la postérité comme d’indéfectibles alliés, sir Seewoosagur Ramgoolam, le père de l’Indépendance, et sir Gaëtan Duval, l’artisan du développement, ont d’abord été de féroces adversaires…

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Rien ne prédisposait le petit Kewal, issu d’un petit village agricole de l’est, à devenir un jour un grand homme, si ce n’est une certaine ténacité et le soutien indéfectible de proches et d’amis. Avant d’être consacré père de la Nation à l’Indépendance de Maurice en 1968, sir Seewoosagur Ramgoolam (SSR) a effectué une lente, mais inexorable ascension dans le paysage politique local.

Né le 18 septembre 1900 dans une famille modeste de Belle-Rive (aujourd’hui Kewal Nagar), il s’était rendu à Londres en 1921 pour poursuivre ses études. En 1926, la famille, qui le soutenait, connut des difficultés financières et le jeune Ramgoolam dut suspendre ses études. C’est à ce moment qu’il rencontra Goolam Mamode Dawjee Atchia, conseiller municipal de la ville de Port-Louis, politicien respecté et homme d’affaires réputé. En visite dans la capitale britannique, ce dernier lui proposa de le financer. Seewoosagur Ramgoolam put terminer ses études de médecine en 1935 et rentrer dans son île natale.

Cette année-là, Gaëtan Duval n’avait que cinq ans. Celui qui allait devenir sir Gaëtan Duval (SGD), être plusieurs fois vice-Premier ministre, ministre, lord-maire de Port-Louis, maire de Curepipe et chef de file du Parti mauricien social démocrate (PMSD) était né le 9 octobre 1930 au sein d’une famille de la petite bourgeoisie créole de Rose-Hill. Très tôt, il eut la douleur de perdre son père et, comme SSR, dut compter sur le soutien familial (celui de sa tante) pour poursuivre son éducation. Il fit de brillantes études à Londres et à Paris. De retour au pays, ses prestations au barreau ne laissèrent pas la classe politique indifférente. Jules Koënig, homme de loi et leader du Parti Mauricien, le prit sous sa protection.

On était alors dans les années 50, Londres lâchait du lest et proposa aux Mauriciens un gouvernement plus représentatif avec droit de vote élargi. À cette époque, Ramgoolam, l’enfant des campagnes, commençait son ascension politique. Honni de ses adversaires, craint par l’oligarchie et respecté par l’administration, il était adulé des masses laborieuses et était devenu le champion des Indo-mauriciens. Et c’est finalement lui qui accéda à la direction du Parti Travailliste en 1959, dans une île sur le point de devenir indépendante.

En 1959, le processus de décolonisation de l’empire britannique était en marche. Cette année-là, le Parti Travailliste fit table rase lors des élections législatives. Le Parti Mauricien, perçu comme le parti des capitalistes, n’obtint que trois sièges. Pour sa première tentative, Gaëtan Duval fut battu à Curepipe. Mais l’élection de son principal adversaire fut invalidée par la Cour suprême pour vice de forme. À la suite de l’élection partielle qui s’ensuivit, il fit son entrée au Parlement le 25 mars 1960.

Dans les années 60, Maurice étant durement frappé par le chômage, le contrôle des naissances était devenu un enjeu national et le sucre était à la merci des taux en vigueur sur le marché mondial. Tout cela avait fait un éminent économiste britannique, le professeur James E. Meade dire que « Mauritius was doomed »…

Duval décida de combattre la popularité du Parti Travailliste en établissant une relation de proximité avec ses mandants. Il défendit la cause des nombreuses victimes du cyclone Carol de 1960 et obtint les faveurs des minorités ethniques qui craignaient pour leur avenir. Pour la première fois, aux élections de 1963, le Parti Mauricien réussit à voler la vedette au Parti Travailliste. Il fit élire dix membres sur une chambre de 40 députés et partagea le pouvoir avec les travaillistes. Duval devint ministre du Logement en 1964.

Mais Seewoosagur Ramgoolam, devenu Chief Minister en 1961 était devenu incontournable. Anobli par la reine d’Angleterre en juin 1965, c’est tout naturellement lui qui fut pressenti pour devenir le premier Premier ministre de l’île Maurice indépendante.

À partir de 1965, le PMSD réclama l’autonomie de Maurice avec une forme d’association à la Grande-Bretagne jusqu’au moment où celle-ci se joindrait au Marché Commun (devenu Union Européenne), suivant le même principe appliqué par la France pour l’île de La Réunion. Les dirigeants travaillistes, eux, ne pensaient pas une seconde que l’Angleterre intègrerait le Marché Commun et ne croyaient donc pas à la théorie avancée par le PMSD.

Seewoosagur Ramgoolam fit part au PMSD de l’intention du gouvernement anglais d’aborder la question de la cession de Diego Garcia, en marge des discussions constitutionnelles devant mener à l’Indépendance. Mais le PMSD refusa d’envisager cette option. Ramgoolam lui reprocha de ne pas vouloir partager la responsabilité collective et les discussions eurent quand même lieu. Lorsque Diego Garcia fut cédé aux Anglais, le PMSD se retira du gouvernement.

La rivalité entre Ramgoolam et Duval atteignit son paroxysme durant la campagne électorale de 1967. Ils s’affrontèrent à distance lors de joutes verbales, dans les meetings ou à travers la presse. Après les élections d’août 1967, gagnées par le Parti Travailliste, la tension entre les deux hommes fut exacerbée.

Mais au lendemain de l’Indépendance, les choses changèrent. Alors que la situation économique était catastrophique et que des affrontements ethniques menaçaient de couper le pays en deux, le Parti Travailliste et le PMSD mirent leurs différences de côté et décidèrent de faire une coalition, qui sera à la base de l’édification de l’île Maurice moderne.

Au gouvernement, Ramgoolam et Duval donnèrent le ton pour que l’économie, qui reposait entièrement sur une monoculture, se transforme en un système industriel, avec la création de la zone franche manufacturière. Les accords sucriers furent conclus dans le cadre des conventions de Lomé et de Yaoundé. Des célébrités visitèrent l’île et de grandes chaînes hôtelières s’y installèrent, faisant de Maurice une destination de rêve pour des milliers de vacanciers à travers le monde.

Mais les relations entre SSR et SGD restèrent tumultueuses. Le PMSD quitta à nouveau le gouvernement en 1973… avant de le réintégrer au lendemain des élections de 1976, puis de le quitter à nouveau en 1979, deux ans avant le séisme électoral de 1982, qui mettra un terme à la carrière politique de SSR. SGD, lui, allait connaître d’autres coalitions avec le Parti Travailliste, notamment en 1983 et 1987.

Souvent alliés, toujours adversaires, jamais ennemis, Seewoosagur Ramgoolam et Gaëtan Duval ont établi, au fil de leur carrière et de l’histoire, une entente qui est à l’image de ce qu’est l’île Maurice : un pays qui reste uni malgré ses divisions.

Sources : Road to Independence, de M.N. Varma / Le chevalier prolétaire, de Benjamin Moutou / Une certaine idée de l’île Maurice, de sir Gaëtan Duval / Crédit photos : G.I.S.

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