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Hôpitaux publics : bilan de santé

Décentralisation, super-spécialisation et modernisation des équipements. Telles sont des pistes données par les médecins pour améliorer la qualité du service public au-delà de la polémique autour du travail par équipes dans les hôpitaux.

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L’extension du shift system (rotation) dans tous les services de santé publique a été le débat de la semaine. Toutefois, au cœur de la vaste controverse se trouve une question fondamentale : la qualité du service aux patients. Outre la réduction des heures de travail des médecins, quels sont les domaines dans lesquels il faut encore progresser pour effectuer un bond qualitatif au niveau du service ? Certains médecins du public s'expliquent au Défi Plus sur l’importance de la décentralisation des services, la super-spécialisation et la modernisation des équipements.

En attendant ces changements, certains vont à l’encontre du discours ambiant en affirmant que la rotation assurera une amélioration de la qualité. «  Il faut comprendre qu’autrefois, on n’avait pas autant de travail et on pouvait enchaîner ces longues heures, tout en trouvant le temps de se reposer, explique un médecin du secteur public. Ensuite, on est entré dans cet engrenage et certains ont contracté de gros emprunts.  » La génération qui a intégré le service dans les années 90 parlait déjà de shift system, mais les anciens n’en voulaient pas. « Avec le changement, les salaires baissent automatiquement, mais c’est normal, vu qu’on touchait trop avant, ajoute notre médecin. On ne peut chercher à avoir le beurre et l’argent du beurre. » En moyenne, soutient notre intervenant, avec cinq à six nuits d'heures supplémentaires par mois, un généraliste pouvait s'attendre à toucher jusqu’à Rs 20 000 en plus.

Le Dr Bhooshun Ramtohul, président de la Government Medical Consultants Association (GMCA), se prononce également en faveur du travail par équipes. « Nous ne sommes pas contre le shift system. Par contre, nous sommes contre la façon de faire entre le ministère de la Santé et le syndicat des généralistes. Il y a eu plusieurs entretiens qui auraient pu déboucher sur un accord qui aurait bénéficié à toutes les parties au lieu d’un litige. »

Service des urgences : Des spécialistes de la  réanimation en poste

Le casualty ou service des urgences des hôpitaux fait partie de ceux qui ont connu un progrès, ces dernières années. Le service devrait être doté de spécialistes des urgences en permanence, d’ici quelques mois. En septembre prochain, 14 médecins qui auront complété leur formation d’un an dans le domaine seront assignés dans les cinq hôpitaux régionaux 24 h/24. Actuellement, ces spécialistes, appelés réanimateurs, ne sont présents que de 9 à 16 heures.

« Depuis l’année dernière, le ministère a demandé à tous les hôpitaux de prévoir quatre lits dans leur casualty avec tous les équipements de réanimation, explique un de ces 14 médecins. Ces lits sont annexés au casualty et comprennent tous les équipements que possèdent les ambulances du Service d’aide médicale d’urgence  (Samu). » En bref, des équipements high-tech à être utilisés par des spécialistes du domaine.

Cela apporte un plus au service. « Par exemple, un patient qui fait une crise, explique notre source, sera sous la responsabilité du réanimateur. Celui-ci pensera en matière d’hémorragie interne. Il fera son investigation et pourra prendre des mesures d’urgence nécessaires. » 

Après le groupe actuel de 14, 25 autres médecins seront formés à partir de cette année. Le nombre de réanimateurs dans les hôpitaux devrait donc être important d’ici 2018. Et les 14 actuels devraient ainsi opérer comme des consultants en charge du service de réanimation.


Temps Moyen 90 secondes par patient

Si plusieurs centaines de médecins ont été recrutés, le nombre de médecins présents simultanément dans les hôpitaux n’a pas pour autant augmenté, vu qu’ils opèrent par rotation. Un des problèmes du département des urgences demeure donc entier, selon le Dr Bhooshun Ramtohul. « De 9 heures à midi, le département accueille environ 125 à 180 patients. En principe, vous avez un spécialiste et deux généralistes en poste. Le médecin ne peut donc accorder plus de 1 minute 30 à chaque patient. » Il faut un protocole qui vise à limiter le nombre de patients.

Pour le Dr Dushyant Purmanan, président de la Government Medical and Dental Officers Association (GMDOA), ce protocole, c’est la décentralisation. « Il faut transformer les dispensaires en mediclinics et décentraliser. Pourquoi n’y a-t-il pas de département de gériatrie dans chaque hôpital, par exemple ? »

Le Registrar : entre généraliste et spécialiste

Le système on call des spécialistes, qui sont de garde à distance, a fait l’objet de critiques dans le passé. Certains estiment que le spécialiste doit être présent à l’hôpital. Mais le Dr Dushyant Purmanan assure que le généraliste de garde peut commencer à prodiguer un traitement sur instructions téléphoniques du spécialiste en attendant que ce dernier puisse se rendre à l’hôpital. Introduire le poste de Registrar dans le système de santé publique aiderait, selon lui. « Il se situe entre le généraliste et le spécialiste, explique le Dr Purmanan. C’est-à-dire, un médecin qui a de l’expérience dans un domaine de spécialité, qui connaît le sujet et peut prendre en charge la situation en attendant le spécialiste. »

Rodrigues : enfant pauvre en spécialistes

En matière de disponibilité de spécialistes, il reste toutefois un point noir au tableau : Rodrigues n’a pas de spécialiste attitré, dans plusieurs départements.

« Il est grand temps que Rodrigues ait un spécialiste dans chaque département, explique une source. Actuellement, un spécialiste doit s’y rendre tous les mois sur rotation et il n’y a pas de suivi convenable. » Si Rodrigues est dotée de départements de chirurgie, d’anesthésie et de gynécologie, elle n’a pas, par contre, de services d’orthopédie, de radiologie ou de cardiologie.


La super-spécialisation n'est plus un luxe

Dans un passé récent, disposer de spécialistes à l'hôpital était considéré comme un luxe. Le ministère de la Santé lançait des appels à candidatures pour recruter des diabétologues et personne ne postulait. Toutefois, les spécialistes que nous avons interrogés assurent que ce problème est virtuellement réglé : désormais il y a un manque de super-spécialistes.

« Le problème de manque de spécialistes n’en est plus un, explique un spécialiste qui exerce dans le public. Depuis plusieurs années, les médecins qui ne trouvaient pas d’emploi ont poursuivi leurs études et résolu d’eux-mêmes le problème. »  Il y a tellement de spécialistes sur le marché actuellement, selon notre intervenant, que beaucoup sont contraints d’accepter des postes comme généralistes dans le système de santé publique. 

Mais la problématique est autre désormais. « Il nous faut aller vers la super-spécialisation, explique le Dr Purmanan. En médecine interne, nous avons le département de gastro-entérologie ou la néphrologie, mais ce n’est pas assez. » Par contre, l’hôpital du Nord et celui de Victoria sont dotés d’un département de neurochirurgie et d’un autre pour la pneumologie, sinon il faut se rendre à l'hôpital Dr A. G. Jeetoo ou au centre de santé de Poudre d’Or. « Il faut tout décentraliser ! » assure le médecin.

Le Dr Bhooshun Ramtohul est du même avis. « À plusieurs reprises, nous avons proposé au ministère de la Santé de bouger vers la super-spécialisation, explique-t-il. À l’étranger, vous avez des orthopédistes qui ne s’occupent que du genou, d’autres de la colonne vertébrale ou encore de la pédiatrie orthopédique.  » Il faut que le ministère encourage ses spécialistes à s’engager sur cette voie, selon le président de la Government Medical Consultants Association. Et d’ajouter : « C’est le niveau qu’il faut atteindre pour devenir un vrai Medical Hub. »

Pour accompagner la super-spécialisation, il faut aussi décentraliser tous les départements. « La politique de décentralisation est une bonne chose, poursuit le consultant. On n’a pas à se déplacer à l’hôpital pour des problèmes chroniques, on peut prendre ses médicaments aux dispensaires. Le ministère nous a demandé d’identifier les spécialistes qui peuvent bouger. Nous allons ouvrir un département d’orthopédie à Triolet, par exemple. Il y a déjà tous les équipements nécessaires sur place. »


Équipements : les laboratoires ont « 20 ans de retard »

Si l’on note des progrès au niveau des ressources humaines, à l’échelle des équipements, certaines faiblesses sont encore bel et bien présentes, notamment dans les laboratoires.

« Nous avons au moins 20 ans de retard au niveau de nos laboratoires, révèle le Dr Purmanan. Nous ne faisons toujours pas d’analyses moléculaires et génétiques. » En fait, les analyses moléculaires se limitent à des dépistages pour l’hépatite. Pour certains cas de cancer, les laboratoires des hôpitaux mauriciens ne sont pas capables de déterminer le type exact du cancer. Des manquements qui disqualifient Maurice comme un potentiel Medical Hub,  selon lui.

Outre les laboratoires, les infrastructures sont elles-mêmes dans un piteux état. «  Le bâtiment de l’hôpital du Nord date de 1968 et il n’y a même pas de projet de rénovation, déplore le Dr Ramtohul. Les lits datent de l’époque anglaise et les trolleys de 68. » D’ailleurs, selon le Dr Purmanan, certains bâtiments comportent de gros manquements au niveau du health & safety.

« Il y a peu de ventilation et il y a de pertinentes interrogations au niveau des fire certificates, explique le Dr Purmanan. Nous avons demandé un rapport à ce sujet à plusieurs reprises, mais le ministère de la Santé se contente à chaque fois de nous dire qu’il y a des Health & Safety Officers là où il faut. » En laboratoire, par exemple, explique le syndicaliste, la situation peut être dangereuse, notamment à cause de la présence de produits inflammables. Concernant les appareils, Dushyant Purmanan explique que dans plusieurs cas, il n’y a pas de véritable contrat de maintenance. « Chaque hôpital a son biomedical engineer, mais pour certains équipements, il faut des connaissances spécifiques que n’ont pas nos techniciens », explique-t-il. L’habitude d’allouer les contrats de maintenance au soumissionnaire le plus bas serait néfaste, selon lui.  Toutefois, le Dr Ramtohul estime qu’au niveau des équipements, il en relève aussi de la responsabilité du directeur des services. « Le chef des services a le devoir de rechercher la modernisation  », explique le consultant. Il cite son propre département d’orthopédie, à titre d’exemple. « Les implants que nous avons sont de la dernière technologie, assure-t-il. Il peut arriver que le ministère de la Santé refuse l’achat de certains équipements jugés trop onéreux, mais dans l’ensemble, on s’en sort honorablement. » La clé, selon lui, c’est de ne pas avoir de «   consultants qui dorment ».


Diplômes

La solution du CHU

Le taux d’échec aux examens pre-reg ont fait polémique cette année, comme ceux du post-internat. La qualité des diplômés en médecine, provenant de facultés douteuses en Asie ou en Europe de l’Est, a notamment été remise en question.  Pour le Dr Bhooshun Ramtohul, la solution serait la création d’un Centre hospitalier universitaire (CHU).

« Ce serait un rêve, selon le Dr Ramtohul, si nous en avons la capacité. Il faudrait construire un tout nouveau bâtiment à côté de l’hôpital du Nord. Nous avons même un programme déjà prêt que nous attendons de pouvoir présenter au ministère de la Santé. » La création d’un CHU assurerait une formation adéquate aux jeunes diplômés qui ne figurent pas encore sur le registre des médecins du Medical Council, selon le consultant. Un autre élément incontournable d’un potentiel Medical Hub.


Formation continue : Impact difficile à jauger

Chaque médecin doit cumuler 12 points annuellement en participant à des ateliers de formation. L’idée est de s’assurer que tous les médecins, peu importe leur âge, puissent rafraîchir ses connaissances. Toutefois, il est compliqué d’évaluer l’impact de la formation continue.

Le Dr François Tadebois, responsable de la communication pour le Medical Council, s'explique. « Nous savons tous que nous devons lire nos bouquins. Mais personne ne peut juger de l’impact. Les médecins peuvent participer à un atelier et dormir ou se gratter la nuque aussi bien que suivre avec attention. On ne peut évaluer cela. » L’idéal, selon lui, serait d’encourager la création de sociétés qui pourraient s’organiser pour proposer un maximum de cours et de sessions de formation continue.

En attendant, les institutions qui proposent ces formations notent un intérêt grandissant. L’Open University, par exemple, comptait 41 participants à un premier atelier destiné aux médecins, organisé
en décembre 2014. Mais au total, l’Open University a compté 439 participants à une formation distillée en partenariat avec le Royal College of Physicians d’Édimbourg, de 2014 à 2017.

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