Sauvée par Sam Lauthan à l’âge de 11 ans alors qu’elle se trouvait au Rehabilitation Youth Centre, Anaëlle reprend confiance en elle. Plus question d’être rebelle ! Mais de se prendre en main pour changer le cours de sa vie. Cela en dépit d’un manque profond d’affection voire un vide laissé par son père qui l’a placé à ses 7 ans, dans un orphelinat, avant de commettre l’irréparable. Aujourd’hui âgée d’une trentaine d’année, cette jeune habitante de Port-Louis se confie au Défi-Plus.
Mariée et mère de trois enfants, Anaëlle habite un faubourg de Port-Louis. Lorsqu’on l’a rencontrée, elle était en train de travailler. Jeune entrepreneure, elle a un petit commerce qui lui permet de nourrir sa famille au jour le jour. Après avoir servi ses clients, elle prend place sur un banc pour nous raconter son histoire.
« Mon père était maçon. On habitait dans une résidence à Quatre-Bornes. Je n’ai pas connu ma mère. Elle est partie en France quand j’étais toute petite. L’environnement dans lequel je grandissais n’étant pas propice, mon père qui m’aimait tant, m’a placée dans un orphelinat. J’avais sept ans. Il venait me voir tous les jours pour coiffer mes cheveux. C’était notre moment à nous. Il venait aussi me voir à l’école à l’heure de la récréation. Je pense qu’il avait déjà pris la décision de mettre fin à sa vie. Mais avant, il s’est assuré que je sorte de l’enfer de la drogue qui gagnait mon quartier… » Et d’ajouter qu’elle avait 9 ans lorsque son père s’est suicidé.
Depuis, dit Anaëlle, elle vit dans une profonde tristesse. Celle de ne pouvoir déceler le mystère entourant la mort de son père. Mais plus particulièrement, ce manque d’affection qui la ronge depuis son enfance. « Ma mère est revenue me chercher après le décès de mon père. Elle n’était qu’une étrangère pour moi. Je ne voulais pas d’elle dans ma vie. Je me suis enfuie de l’orphelinat pour trouver refuge chez ma grand-mère paternelle. Comme, elles n’étaient pas en bon termes, ma mère a signalé ma disparition à la police. Je souffrais énormément de la soudaine disparition de mon père. Mon mal-être se manifestait sous forme de colère et de rébellion. Jugée en tant que Child Beyond Control, j’ai été placée au Youth Rehabilitation Centre », poursuit la jeune femme.
Livrée à son sort
Lorsque les portes du centre correctionnel se referment sur elle, Anaëlle se retrouve livrée à elle-même. Elle se mure dans le silence. Toutefois, elle ne se laisse pas faire lorsque les autres jeunes du centre décident de l’énerver. Chaque matin, elle se réveille aux petites heures du matin. Après la douche, elle prend une tasse de thé et mange un morceau de pain avant de s’attarder aux tâches que les officiers du RYC lui ont confiées. Si elle ne travaille pas la terre dans le jardin du centre correctionnel, elle est dans la cuisine à préparer le repas. Ou encore elle aide l’infirmière à distribuer les médicaments aux autres enfants. Pour s’instruire, elle se rend à l’école du RYC. Lieu où elle apprend l’anglais, le français et l’informatique.
Un jour, Sam Lauthan, alors ministre de la Sécurité sociale, offre un déjeuner aux enfants du RYC. Anaëlle le contemple de loin. Une question la ronge, mais elle est réticente pour la poser. Elle finit par se lancer : « Mo kapav diman ou enn zafer ? »
Surpris, l’homme lui répond : « Dir mwa … » Après quelques secondes d’hésitation, Anaëlle lui dit : « Si ou pas ti minis, ou ti enn semp dimoun, ou panse ou kav vinn mo papa ? »
Touché profondément par les paroles de l’enfant, l’ex-ministre accepte de devenir son « papi ». Au fil du temps, il l’accompagne à titre personnel pour l’aider à traverser cette étape difficile. Cela à travers l’écoute. « Il m’a redonné confiance en moi. Puis, il y a eu une travailleuse sociale et les autres officiers du RYC qui m’ont aidée à changer le cours de ma vie. Je recevais de l’affection et c’était assez pour m’en sortir », explique Anaëlle.
Toutefois à 15 ans, elle est placée dans une famille d’accueil. Si tout va bien, elle est quand même malheureuse. Après une semaine, elle décide de fuguer pour rester avec ses amies. Elle passe uniquement une journée avec elle. À voir leur train de vie, Anaëlle ne veut pas y sombrer. « Je ne voulais pas de cette vie », dit-elle.
La jeune femme retourne chez sa sœur qui contacte le RYC pour la reprendre. « La vi deor pa ti korek, mo ti pe anvi retourn RYC. Ti pli bon laba. » Anaëlle y reste jusqu’à ses 18 ans. Elle renforce sa foi en Dieu, apprend à danser tout en essayant d’être une meilleure personne.
Recouvrant la liberté, elle tombe amoureuse d’un garçon. Son histoire d’amour ne dure pas. « Je n’avais personne. J’ai compris qu’il fallait trouver quelqu’un pour faire ma vie et me chercher un emploi pour survivre. » C’est ainsi qu’elle atterrit dans un établissement hôtelier à l’Ouest de Maurice. Elle y travaille pour un temps comme animatrice. Faute de n’être pas payée par son employeur, elle démissionne aux bons conseils de son « papi » qui l’accompagne toujours dans son cheminement.
Puis la travailleuse sociale avec laquelle elle était toujours en contacte lui déniche quelques jours plus tard, un boulot dans une usine. Anaëlle y travaille pendant six mois. En cours de route, elle se met en couple avec un pécheur. « Sa pann marse. »
Ensuite, elle accompagne, assiste et vit avec une vieille dame chinoise. Celle-ci décède peu de temps après et Anaëlle se retrouve de nouveau sur le pavé. Elle refait sa vie avec un technicien. Elle donnera naissance à un premier fils. Et 18 mois plus tard, elle se retrouve à nouveau seule. « Pour des raisons évidentes, j’ai dû me séparer de lui. »
Bonheur retrouvé
Son bébé sur les bras, Anaëlle loue une maison et trouve un autre emploi dans la fabrication des calendriers. Son salaire lui permet de nourrir et grandir son enfant. Quand les temps sont durs, elle frappait à la porte de Sam Lauthan toujours présent pour l’aider.
Il y a six ans, elle rencontre une nouvelle fois l’amour. Anaëlle raconte son vécu avec l’homme qui lui demande par la suite de l’épouser. « C’est Papi qui m’a offert mon gâteau de mariage », dit-elle arborant un magnifique sourire. De cette union sont nés deux autres enfants. La petite famille vit depuis tranquillement dans une maison à Port-Louis.
Si son mari s’occupe pour subvenir aux besoins de la famille du mieux qu’il peut, Anaëlle tente, elle, d’apporter sa contribution au revenu familial. Cela tout en étant une mère présente pour ses enfants. Leur éducation est sa priorité, dit-elle. « Je n’ai pas eu la chance d’avoir de l’affection de mes parents. Je ne veux pas que mes enfants vivent la même chose. J’essaie de faire de mon mieux pour leur offrir un meilleur avenir », conclut-elle avec des larmes qui s’échappent de ses yeux.
Sam Lauthan, le sauveur d’Anaëlle
En 2000-2005, Sam Lauthan est ministre de la Sécurité sociale. En parallèle, il devient le seul non-Premier ministre à avoir sous son aile, la responsabilité des prisons du pays. En sillonnant les centres pénitenciers, Sam Lauthan note que les adultes qui y sont détenus ont des antécédents au RYC. Ainsi, il a voulu aller à la base pour discuter avec les adolescents du centre de réhabilitation. Lieu où il organisait des repas tout en mangeant avec les enfants. Et c’est là, qu’il rencontre pour la première fois Anaëlle. « Lorsqu’elle m’a posé cette question, j’ai été vraiment touché. J’ai dit oui, je peux être son Papi. Après, elle a pris ses camarades pour témoins de ce que j’ai dit. Depuis, on partage une relation père et fille et je l’aide pour s’en sortir dans la vie. » Et d’ajouter que cette rencontre avec Anaëlle a marqué sa vie et qu’il est content que la jeune femme s’en sort petit à petit.
Toutefois, il fait état d’un rapport qu’il a commandité et rédigé par des experts, notamment des sociologues et des psychologues pour aider les jeunes du RYC. Leurs conclusions : « In so many cases, instead of talking about Children Beyond Control, it would be more appropriate to talk about children who have gone through situations beyond control. »
Sam Lauthan prenant le cas d’Anaëlle pour exemple, affirme que souvent des fois, bon nombre d’enfants du RYC ne veulent juste qu’on les écoute et qu’on les aide à s’en sortir pour reprendre le cours de leur vie.
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