La réédition de deux ouvrages de Sydney Selvon « A Comprehensive History of Mauritius », en 2019, avant les élections générales de novembre, a été un peu éclipsée par cet événement de politique majeur. Pourtant, à la lecture de ces deux ouvrages, le lecteur comprend mieux l’histoire de Maurice, de la colonisation à notre ère, grâce à une analyse des étapes majeures du développement de Maurice, dont l’esclavage et l’‘engagisme’, l’Indépendance, la politique postindépendance jusqu'au dossier Chagos.
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Il manquait aux deux tomes de ce magistral ouvrage du journaliste Sydney Selvon, l’accession de Pravind Jugnauth au ‘Premiership’ de Maurice ainsi que le dénouement dans le dossier Chagos. C’est chose faite avec cette réédition très documentée et préfacée par feux Abhimanyu Unnuth et Bhishmadev Seebaluck.
Pour qui veut comprendre l’histoire de Maurice sans visières, ces deux livres sont une précieuse référence en qu’ils se présentent comme un traité socio-économique et culturel, l’auteur ayant pris soin de puiser abondamment dans les ouvrages d’auteurs de différents horizons. Comme pour pareille démarche qui se veut ambitieuse, il fallait plonger dans une documentation pluridisciplinaire, dont celle qui remonte à la première découverte de l’île par les Arabes, toutefois les spéculations subsistent quant à ceux qui auraient longer la côte de l’Afrique ou aperçu Maurice. Ce détail a son importance lorsqu’on verra plus tard comment notre île a servi de port de ravitaillement aux Français et, aujourd’hui, les espoirs que font naître notre positionnement comme plateforme vers l’Afrique. Mahé de La Bourdonnais fut le premier à se rendre compte de la position stratégique de Maurice dans l’Océan Indien lorsqu’éclata la guerre avec les Britanniques en Inde. Il mit ainsi en garde François Dupleix, gouverneur-général de Pondichéry que sans supériorité navale, la France n’avait aucune chance de se renforcer en Inde.
« L’occupation hollandaise »
Après « l’occupation hollandaise»– longtemps accusés d’avoir décimé les dodos, aujourd’hui on sait que ce sont d’autres bêtes, notamment les rats, qui en sont aussi responsables pour avoir mangé leurs œufs -, c’est celle des Français qui jettera les bases de l’île Maurice moderne, en raison des facteurs économiques sous-tendus par le recours à l’esclavage et aux « coolis »,indispensables pour la culture de la canne, laquelle restera jusqu'à la période post-indépendante, le seul pilier économique de l’île. À cela, il faut citer les décisions majeures de Mahé de La Bourdonnais dans le domaine des infrastructures publiques, où il fit appel à la main-d’œuvre indienne de Pondichéry, déjà convertie au catholicisme et facilitant ainsi leur intégration.
Naissance d’une bourgeoisie autochtone
Toutefois, le seul facteur économique ne dessinera pas les contours futurs de l’île, car le colonialisme, comme le décrira si bien Franz Fanon, avait besoin d’aliéner les esclaves et d’autres communautés asservies pour satisfaire les besoins du « métropole ». Ce processus de transformation mentale s’accompagna, comme dans d’autres colonies, de la naissance d’une bourgeoisie autochtone qui rechercha son émancipation économique à mesure qu’elle étendait sa domination sur toutes les activités de l’île. Dès lors, on comprend les antagonismes et contradictions qui naîtront de la proximité/promiscuité entre les colons et les différentes communautés ethnico-religieuses, tant asservies que dites libres. Un détail inconnu dans l’historiographie de Maurice mérite d’être relevé : tous les colons n’étaient pas mariés, aussi a-t-il été nécessaire de faire venir des « company girls » (filles de compagnie ?) à Maurice pour les célibataires. Ce qui explique sans doute le fait que certains colons étaient loin d’être des « esclavagistes », l’auteur précisant que certains se rebellèrent contre leurs conditions de travail. Le grand écrivain Bernardin de Saint-Pierre, farouchement opposé à l’esclavage observa que des Blancs pauvres avaient aussi épousé des femmes « libres » hors de leurs communautés. Il nota aussi que des maîtres Blancs avaient eu des enfants, souvent par abus, avec des esclaves ou des femmes « libres » et que certains esclaves étaient de teint clair. L’historien Jumeer cita le cas d’un Blanc, nommé Coiffic, qui avait eu des enfants d’une une esclave indienne qu’il avait achetée, avant de l’épouser.
Communautés métissées
Ces exemples, indique Sydney Selvon, tendent à démontrer que la communauté blanche n’était pas constituée d’une classe socialement homogène, seuls ceux qu’on désigna comme l’oligarchie et dont la richesse provenait de leurs emplois au sein de la Compagnie des Indes ou liée à l’industrie sucrière, étaient véritablement des bourgeois.Cette précision revêt de nos jours plus de pertinence lorsqu’on en vient à l’exercice de la politique, au rapport des forces économiques dites antagonistes, bref lorsqu’on examine l’identité des communautés et classes sociales qui détiennent le véritable pouvoir.
Une autre partie de l’ouvrage qui mérite qu’on s’y attarde a trait à la naissance des communautés métissées. C’est à l’époque de l’esclavage, suivie de celle où les colons recourront aux Indiens de Pondichéry, que l’on voit apparaître des individus issus des communautés blanches, noires et indiennes. C’est, encore une fois à Bernardin de Saint-Pierre que l’on doit une description fiable du regard que portèrent les Blancs sur les autres communautés, regard nuancé à la fois déterminé par l’aspect physique et l’habilite au travail. Si certains Indiens avaient la peau plus sombre que les Noirs d’origine malgache, ils se ressemblaient sur d’autres aspects. Certains Indiens devinrent aussi ou sinon plus riches que des colons et possédaient eux-aussi des esclaves indiens et africains. Cette émancipation sociale des anciens travailleurs engagés peut être attribuée à deux facteurs, d’une part leur aptitude à travailler dans les champs de cannes du fait que la plupart d’entre eux étaient des laboureurs pauvres au service des propriétaires terriens en Inde (les zamindar) et leur regroupement autour des chefs religieux et le maintien de leur pratique culturelle et, d’autre part, leur volonté de rester à Maurice, afin de fuir leurs conditions de vie extrême dans leurs régions. Il est intéressant de relever que c’est une poignée de Blancs qui furent les premiers à réfléchir à la création d’une société socialiste inspirée des idées de Fourier.
Ces deux tomes révisés de « A Comprehensive History of Mauritius » se présentent comme une véritable boîte à outils pour comprendre la complexité de la société mauricienne, ses contradictions et, déjà, ses compromissions à des moments importants de son histoire.
“A New Comprehensive History of Mauritius”, en deux volumes de Sydney Selvon
Publié par Les Éditions de l’Océan Indien-2019
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