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Forum-débat - Éducation citoyenne : la clé face à une classe politique déphasée

Nawaz Noorbux, Malenn Oodiah et leurs quatre invités ont décortiqué le système politique mauricien pendant deux heures le mercredi 6 février, à l’hôtel Labourdonnais. Le thème de la soirée : refondons la politique.  

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Olivier Précieux : « Le processus électoral est truqué »

Le processus électoral à Maurice est « rigged », selon l’enseignant Olivier Précieux. « Il ne faut pas se leurrer. Les rapports Sachs et Carcassonne démontrent un déséquilibre dans les circonscriptions. Le processus électoral est truqué. Il faut être réaliste », a-t-il expliqué. 

Au sujet des nominations politiques, Olivier Précieux s’est toutefois prononcé contre les modèles anglais et américains où celles-ci sont examinées par des comités mixtes. « Je crois que c’est normal de nommer des personnes à des postes clés. C’est le processus qui doit être plus transparent. Les dirigeants peuvent installer leurs proches, mais ces derniers doivent être compétents. Dans ces pays où il y a une commission, cela devient un show mais au final, c’est la décision du Président qui compte. » 

Olivier Précieux a une position similaire sur la question des dynasties en politique : si l’enfant d’un politicien présente des aptitudes pour la politique, on ne devrait pas l’en priver en raison de son patronyme. L’enseignant s’est également montré sceptique quant à la possibilité de changer le fonctionnement des partis existants tant que l’écosystème dans lequel ils évoluent ne change pas. 

« Si l’électorat vote pour ces partis, cela signifie qu’il estime qu’ils sont bons », a-t-il déclaré. « On plante un cocotier et on s’attend à y cueillir des pommes. Le système que nous avons créé donne ses fruits. Si nous changeons de système, nous changerons aussi les fruits. » Un système faisant davantage de place à la proportionnelle aurait plus de chances de réussir, selon lui.

 


Bhawna Atmaram : « L’école doit faire l’éducation politique des jeunes »

L’enseignante Bhawna Atmaram s’est référée à l’actualité récente pour critiquer le manque de crédibilité des institutions. « C’est une farce. Il y a une enquête sur les recrutements du temps où Roshi Bhadain était ministre. Pourquoi n’y a-t-il pas eu d’enquête à l’époque de ces recrutements et aujourd’hui c’est le cas quand il n’est plus au gouvernement ? Cela démontre la perversion des institutions. » Cette « perversion », selon l’enseignante, fait que la population a perdu toute confiance en ces institutions. 

Bhawna Atmaram s’est également attardée sur la responsabilité des citoyens eux-mêmes par rapport à cette situation. « On parle de démocratie participative, mais je crois qu’il faut l’étendre jusqu’aux jeunes dans les écoles. Beaucoup disent que la politique ne les intéresse pas. C’est l’éducation qu’il faut leur donner à l’école. » Les connaissances générales et la maîtrise des enjeux politiques importants devraient avoir une place centrale à l’école, selon elle. En d’autres mots, quand on parle de réforme de l’éducation, il faut surtout songer à façonner des esprits vifs et critiques.  

Bhawna Atmaram a aussi critiqué les dynasties en politique, regrettant le fait que les leaders politiques ne se retirent que par mort naturelle, quand ils sont forcés à la sortie ou quand ils cèdent leur place à leur progéniture. De surcroît, dit-elle, cette classe politique ne respecte pas sa parole : « L’Alliance Lepep avait promis de ne pas prononcer de discours à des fonctions socioreligieuses, mais elle n’a pas tenu parole. » 

La relève est-elle pour bientôt ? « Pas dans l’immédiat, mais je reste optimiste », a ajouté l’enseignante. Les prochaines élections seront toutefois une bonne occasion pour les partis émergents de faire connaître leurs idées.


Marie-Noëlle Elissac : « Une classe politique déconnectée de la réalité mauricienne » 

Il existe une déconnexion entre la classe politique mauricienne et la population, selon l’entrepreneure Marie-Noëlle Elissac. « Nous avons une classe politique totalement déconnectée de la réalité mauricienne. Nous avons une génération de Mauriciens qui émerge, consciente de l’impact que nous avons sur notre environnement. On ne sent aucune prise de conscience de nos politiques sur un futur que nous devons construire. » 

Marie-Noëlle Elissac rappelle qu’il est possible de demander des comptes à la classe politique et aux élus. Il s’agit surtout d’une question d’éducation citoyenne. « J’ai le droit de demander des comptes à mon député et à mon conseiller de village. Beaucoup de Mauriciens oublient cela. » 

L’entrepreneure donne l’exemple de son travail avec Women In Politics : « Il faut mobiliser la réflexion citoyenne. Les samedis, nous nous rendions dans les quartiers pour parler aux habitants en période d’élections. Nous les aidions à savoir quelles questions poser. » Il s’agit de refuser d’accepter les discours axés sur les critiques personnelles. « C’est quand la société changera que les politiciens suivront le mouvement. C’est à nous de poser les bonnes questions », conclut-elle.

Marie-Noëlle Elissac a également fait référence à la culture qui prévaut dans d’autres pays où les entreprises n’ont pas peur de révéler quels partis politiques elles ont financés. « À Maurice, le financement est lié à la peur. On gouverne par la peur à Maurice. Nous ne sommes pas encore au point où nous pouvons affirmer notre préférence politique sans avoir peur des représailles. »


Avinaash Munohur : « La lutte contre la corruption c’est une lutte pour la transparence »

Avinaash Munohur, politologue et fondateur du think tank The Institute for Policy Studies, estime que depuis la fin des années 70, la politique mauricienne a vu la fin des guerres idéologiques. « Nous avons basculé dans une guerre d’identités, avec une notion de représentation entièrement assimilée à la religion », a-t-il expliqué. 

« Si nous abordons la question de l’offre et de la demande en politique, clairement il y a une demande qui ne trouve pas d’offre à Maurice », a-t-il ajouté. Dans ce contexte, l’éducation politique du citoyen revêt une importante capitale, selon le politologue. Si cette éducation ne se fait pas par l’école ou les institutions officielles, elle peut l’être par les ONG, voire les partis politiques : « Le changement veut dire tout et n’importe quoi. C’est là que les nouveaux partis politiques ont une responsabilité d’expliquer ce qu’ils entendent par le terme changement. » 

Sur la question de nominations politiques, Avinaash Munohur a souligné l’importante de la transparence : « La lutte contre la corruption c’est une lutte pour la transparence, mais aussi pour la modernisation des fonctions de l’État. Pourquoi la promotion des fonctionnaires est laissée aux politiciens ? Pourquoi pas des examens ou un comité indépendant ? » Il a donné l’exemple anglais où l’indépendance des institutions n’est pas garantie, mais les gens nommés sont compétents.

Parlant du renouveau au sein des partis existants, le politologue a souligné le fait qu’ils sont « organisés comme un petit État ». Il estime que si la corruption existe dans le système politique, elle se retrouvera aussi à l’intérieur des partis. « Refonder la politique passe par une modernisation de l’État, tout comme une modernisation de la forme même des partis », a-t-il avancé.

 

 

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