Maurice est passée de la 45e à la 50e place sur 175 pays au dernier classement de Transparency International sur l’indice de perception de la corruption.
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Comment sortir le pays des affres de la corruption ? Les citoyens sont-ils prêts à changer de mentalité ? Une loi et une commission anticorruption suffisent-elles à venir à bout de ce mal endémique ?
Blanchiment d’argent, pot de vin, trafic d’influence, entente délictueuse… Maurice en fait les frais au quotidien. Selon les dernières statistiques de l’Independent Commission against Corruption, 1 588 cas allégués de corruption ont été enregistrés en 2015. « Plus de 1 000 cas n’ont pas eu de suite et le reste a mené à 29 condamnations. Ces chiffres reflètent la manière dont est abordé le problème à Maurice », explique Rajen Bablee, directeur de Transparency Mauritius. « Nous parlons de Petty Corruption et de grande corruption.
Les cas considérés comme étant insignifiants sont relégués au second plan, alors que les cas de grande corruption impliquent des complications et des technicités importantes », ajoute-t-il.
Les gros coups, précise-t-il, concernent généralement des personnes haut placées pouvant s’offrir les services des ténors du barreau. « Ces avocats se servent des points de droit et des failles du système pour permettre à leurs clients de passer à travers les mailles du filet. »
Peut-on alors aspirer à une île Maurice où le taux de corruption est très faible ? Certes, Maurice figure parmi les premiers pays africains où la corruption est la mieux gérée, mais les réalités du terrain sont tout autres, constate le syndicaliste Jack Bizlall. « Pour venir à bout de ce fléau, il faut d’abord s’attaquer à la corruption chez le citoyen lambda », dit-il. « La corruption populaire ouvre la voie à la corruption structurelle, voire plus grave, par la suite.
Un enfant, qui voit son père graisser la patte à un policier pour éviter une contravention ou qui assiste à toute la procédure visant à fausser son adresse pour obtenir une place dans une meilleure école, grandit avec la perception que sans corrompre, on n’arrive à rien. »
Ainsi, le syndicaliste préconise l’adoption d’une nouvelle Constitution basée sur quatre codes : pénal, civil, social et administratif. « Une Constitution qui permettrait aux citoyens d’avoir ce dont ils ont besoin légalement, avec des moyens solides de se battre pour le respect de ses droits. Il faut aussi éduquer le Mauricien à ne pas vivre au-dessus de ses moyens. »
Vanessa Napal, chargée de cours en éthique à l’Université de Maurice, abonde dans son sens. Pour elle, la traque des corrompus, les institutions régulatrices ou un durcissement de la loi ne serviraient pas à grand-chose sans un code éthique, assimilé par tous les citoyens. « La lutte anticorruption doit aller au-delà de la loi. Il s’agit avant tout de changer l’état d’esprit et la manière de voir les choses des Mauriciens. Sans un bon leadership d’ordre éthique, le citoyen lambda ne sera pas motivé à mettre de côté les pratiques corrompues. »
Me Preesha Bissoonauthsing : « La PoCA a besoin d’être réactualisée »
L’Independent Commission against Corruption (Icac) travaille sur des amendements qui seront apportés à la Prevention of Corruption Act (PoCA). « Il s’agit d’une analyse globale, tant au niveau des pouvoirs de l’Icac qu’à celui des domaines dans lesquels nous enquêtons, des nouveaux cas de figure auxquels nous sommes confrontés et des recours que nous pouvons avoir », explique Me Preesha Bissoonauthsing, conseil légal de l’Icac.
L’objectif est de remédier aux anomalies pour que la loi soit renforcée et puisse être appliquée avec plus de précision. « La PoCA a fait son temps et l’Icac a un mandat qui date de 10 ans. Comme toute chose évolue, la loi anticorruption, en dépit des sections qui fonctionnent très bien, a besoin d’être actualisée. Car aujourd’hui nous sommes confrontés à des actes de corruption plus sophistiqués. Nous sommes aussi invités à brasser plus large, alors qu’au départ, la PoCA ciblait principalement les fonctionnaires », souligne l’avocate.
Preesha Bissoonauthsing estime que la lutte contre la corruption doit être l’affaire de toutes les composantes de la société. « L’Icac à elle seule n’y arrivera pas. La corruption empêche toute la population de bien vivre et de bien respirer. Je ne pense pas que quelqu’un puisse trouver un intérêt à ce que ce combat ne soit pas mené à bien, car n’importe qui peut en être victime. Il faut donc un engagement général et une volonté politique, sociale et économique. »
Par ailleurs, la légiste annonce pour bientôt un Code de conduite pour les parlementaires. Parallèlement, la commission anticorruption multiplie les campagnes de sensibilisation et d’éducation à l’intention des jeunes, des fonctionnaires et du grand public.
Me Yousuf Mohamed : « L’exemple vient d’en haut »
Si à la tête même du pays les dirigeants sont Morally Corrupted comment prêcher le contraire à la population, s’interroge Me Yousuf Mohamed. « La corruption est un sujet vaste et la Prevention of Corruption Act (PoCA) dans sa forme actuelle est loin de servir la lutte contre ce mal qui pourrit notre société », affirme l’avocat.
Sans tomber dans la démagogie, il fait ressortir que la PoCA donne trop de pouvoir aux politiciens. L’article 2 de la PoCA stipule que le Premier ministre peut étendre le « meaning of corruption offence ».
L’article 87 fait aussi état de règlements que peut passer le Chef du gouvernement.
« Cela signifie que le Parlement donne au Premier ministre le droit de légiférer. Ce n’est pas normal ! Il faut absolument revoir ce cadre légal », insiste Me Yousuf Mohamed.
D’autant que dans son interprétation, la PoCA ne couvre pas tous les types d’actes de corruption.
« Il est impératif d’élargir le cadre légal dans le domaine de la corruption pour mettre fin à cette pourriture qui sévit dans le pays. À titre d’exemple, la PoCA comporte une section sur le conflit d’intérêts dans les cas où sont impliqués deux époux. Mais qu’en est-il des situations impliquant deux personnes entretenant une relation extra-conjugale ou même un couple, et qui ne sont pas mariés ? Bref, il y a comme cela plusieurs lacunes à combler. Et pour venir à bout du problème de la corruption, j’insiste sur le fait que l’exemple vient d’en haut », conclut Me Yousuf Mohamed.
Catherine Boudet : « La corruption, c’est comme l’huile qui fait tourner le moteur politique »
À Maurice, la lutte contre la corruption passe obligatoirement par la PoCA et l’Icac. D’emblée, la socio-politologue Catherine Boudet relève l’absence d’une définition claire et nette de la corruption dans le texte de loi. « Détournement à des fins privées d’un pouvoir reçu en délégation. » C’est la définition qu’en donne Transparency International citée par cette docteure en Sciences politiques.
Saluant la démarche de la commission anticorruption en faveur d’une amélioration de la PoCA, Catherine Boudet plaide pour un cadre légal renforcé et efficace. « Le plus important, c’est l’esprit de la loi : une loi pour combattre sérieusement le mal de la corruption ou une loi passoire au service de ceux qui la font – je parle là des politiciens ? Car il ne faut pas oublier que les lois sont votées au Parlement, qui n’est constitué que de politiciens et pour une bonne partie, de légistes ! »
Pour la socio-politologue, une loi anticorruption ne devrait pas s’arrêter à une seule composante de la société – soit les fonctionnaires – dans le cas de la PoCA. « La ‘loi Bhadain’ sur la bonne gouvernance est censée venir compléter la PoCA pour lutter contre la corruption et l’enrichissement frauduleux, et elle épargne les principaux détenteurs de richesses inexpliquées : les partis politiques. »
Ainsi, pour venir à bout du fléau de la corruption, Catherine Boudet préconise une réelle volonté politique. Que le secteur privé, les conseillers, les candidats aux élections et même les partis politiques ne restent plus hors d’atteinte. Car, dit-elle, le financement occulte des partis politiques est à la racine de la corruption dans le pays. « La corruption à Maurice, c’est comme l’huile qui fait tourner le moteur politique ! »
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