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Droits et libertés de la femme à Maurice : trop de discours, peu d’actions

La situation de la femme à Maurice et l’autonomisation (empowerment) de celle-ci sont fondamentalement tributaires des décisions politiques, mais celles-ci se heurtent elles-mêmes aux problématiques de nature religieuse qui souvent légitime une domination patriarcale. Dans une publication lancée le mardi 2 février 2021 et intitulée ‘The Gender Divides of the Mauritian Society : Re-appropriating the Empowerment and Citizenship Discourse’, les auteurs de l’ouvrage abordent cette thématique au terme d’une approche pluridisciplinaire.

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L’ouvrage, publié sous l’égide du Council for the Development of Social Science Research in Africa (CODESRIA), vient à point nommé, à un moment où des études ont démontré que la pandémie de la Covid-19 affecte davantage les femmes qui se sont retrouvées sans emploi.  Cette donnée empirique n’est pas fortuite, elle vient mettre de l’avant une situation qui perdure, malgré un arsenal législatif destiné à promouvoir l’égalité de droits aux femmes, accompagné de respect. Certes, il n’y a pas régression mais les avancées ne sont pas notables. Cet ouvrage collectif recense des ‘obstacles’ qui expliquent pourquoi un pays comme Maurice, encensé par MoIbrahim régulièrement, ne parvient toujours pas à adhérer complètement à l’ensemble des traités et protocoles dont il est signataire, à commencer par la CEDAW (Convention on the Elimination of all Forms of Discrimination against Women), jusqu’au Protocol to the African Charter on Human and Peoples’ Rights on the Rights of Women in Africa, en 2005. Par ailleurs, même si l’île Maurice a adhéré à la SADC Declaration on Gender, notre pays ne parvient toujours pas à promouvoir la parité à l’Assemblée législative. « The actions should go beyond déclarations and should involve gender-oriented actions », écrit Verena Tandrayen-Ragoobur, éditrice de l’ouvrage dans son introduction. 

Sept problématiques

livrePour mieux cerner les thématiques liées à l’intitulé de celui-ci, les auteurs ont identifié sept problématiques, qui se déclinent comme suit : (1) une analyse des mouvements de libération des femmes à Maurice, (2) le nombre de femmes dans les médias mauriciens et leurs places dans la hiérarchie de ceux-ci (3) l’état de la violence à leur égard dans le secteur privé dans un contexte de changement des rapports de force (4) l’islam et les droits des femmes dans une île Maurice pluriethnique (5) la place citoyenne dans l’économie du point de vue du genre, la place des femme dans des emplois précaires (6) l’examen à la loupe ‘genrée’  du monde de l’entrepreneuriat et le monde des affaires et (7) une étude de la vie des Rodriguaises à Maurice.

Subordination de la femme

Dans son introduction au premier chapitre, Ramola Ramtohul fait ressortir que la subordination de la femme à l’homme reste profondément ancrée dans la conscience de l’homme et de la femme. Une situation que l’auteure attribue aux croyances religieuses, pratiques culturelles, une culture héritée des institutions et l’insuffisance de l’arsenal législatif pour consolider les droits des femmes ainsi que la citoyenneté.  A ce sujet, Ramola Ramtohul fait observer que cette situation impacte négativement la qualité de citoyenneté que les femmes sont en droit d’attendre à Maurice. Elle fait remonter l’origine des inégalités de genre à l’époque coloniale, où le Code Napoléon de 1804, soutenue par l’église catholique, traitait la femme mariée de « mineure », confinée à la sphère privée. Le Code napoléon classait sous le même chapitre les personnes suivantes comme politiquement incompétentes : la femme mariée avec des enfants, l’individu aliéné et le criminel. Au moment d’accéder à l’indépendance, poursuit-elle, l’île Maurice avait hérité du modèle britannique, où l’hégémonie masculine s’exprimait à tous les niveaux des structures, l’« idéologie » ambiante étant de promouvoir les privilèges et pouvoirs des hommes tout en consolidant la subordination des femmes. 

Mouvement ‘arya samajiste’

Dans le domaine religieux, elle souligne le travail colossal abattu par le mouvement ‘arya samajiste’ et consistant à s’attaquer au mariage des enfants, à dénoncer le système de la dot et à promouvoir l’éducation des filles. Alors que cette éducation était plutôt axée sur l’étude des textes sacrés de l’hindouisme, le mouvement ‘Jan Andolan’, des frères Bissoondoyal, centrait son action pédagogique destinée aux filles sur l’alphabétisation. L’Église avait, elle, mis sur pied les ‘écoles ménagères’ destinées aux filles des familles modestes et qui avait pour mission de leur faire devenir des épouses et mères exemplaires en accord avec l’enseignement chrétien. Plus tard, ces cours devaient s’élargir à la littéracie, l’éducation civique, l’histoire et la culture mauricienne, le jardinage et l’entrepreneuriat, entre autres. 

La problématique de l’avortement fait toujours l’objet d’une profonde controverse, fait observer l’ouvrage, les gouvernements successifs devant se plier devant la résistance de l’Église catholique et des groupes islamiques. Quelques organisations de femmes, dont le Muvman Liberasyon Fam (MLF), ont fait du lobbying afin de soutenir la dépénalisation de l’avortement. Dans le sillage du décès d’une photographe de presse des suites d’un avortement clandestin, un front commun avait même vu le jour, regroupant le MLF, la Mauritius Family Planning Welfare Association et Women in Networking.

Presse ‘people’

Au chapitre de la place des femmes dans les médias, ainsi que les reportages qui sont consacrés au genre, Christina Chan-Meetoo note que la tendance à la concentration entre les mains d’un seul propriétaire, et la réduction du personnel et des recettes n’aident pas à produire la diversité des sujets dans les médias. Cette situation est devenue plus compliquée avec l’apparition de nouvelles plateformes. Elle note également la tentation de reproduire les codes culturels simplistes afin d’atteindre un plus grand nombre de lecteurs. En bon élève d’une démarche mondiale chère à la presse ‘people’, dont l’exemple typique est le groupe de presse Sun, les rubriques locales consacrées aux femmes font rarement place aux femmes de couleur alors que ces dernières constituent la majorité de la population. « Ces publications préfèrent montrer en ‘vitrine’ des femmes au teint très clair, même des mannequins blonds alors qu’on sait que ce type de personnes est très exceptionnel dans l’ile. Même un supplément consacré aux hommes adopte cette pratique », fait remarquer Christina Chan-Meetoo.

Religion musulmane

La place des femmes dans la religion musulmane fait l’objet d’une thématique entière dans le livre, traduisant les rapports parfois conflictuels entre l’observance de la lettre dans le Coran et l’interprétation qui y varie selon les pratiques culturelles dans des pays où l’islam est présent.  Aussi, au chapitre ‘Islam and Women’s Rights in Multi-ethnic Mauritius’, Firozah Cadinouche et Allia Syed Hossen-Gooljar tentent-elles de restituer certains faits, en se référant à la vie du prophète Mohamed. Pour dire que déjà de son vivant ce dernier énonçait des droits fondamentaux aux femmes mais expliquent aussi comment les femmes musulmanes ont été contraintes au port du voile et confinées aux harems. Les deux auteures rendent également compte du combat des premiers musulmans de Maurice pour obtenir leur lieu de culte dans un pays où la religion dominante phagocytait était aussi celle des colons. Elles évoquent aussi dans le détail la problématique du divorce dans le contexte de la loi coranique.

Cet ouvrage collectif, qui a valeur de document, en ce qu’il dresse un bilan des avancées dans les droits des femmes à Maurice, permettra aux pouvoirs publics, au secteur privé et aux organisations citoyennes de mieux définir leurs actions. Il est également utile aux enseignants dont une des responsabilités premières est d’inculquer le respect citoyen aux apprenants.

The Gender Divides of the Mauritian Society: Re-Appropriating the Empowerment and Citizenship Discourse. 

Auteurs: Firozah Cadinouche, Christina Chan-Meetoo, Deepa Gokulsing, Harshana Kasseeah, Fabiola Ramsamy, Ramola Ramtohul, Pallavi Sharma, Allia Syed Hossen-Gooljar et Verena Tandrayen-Ragoobur

Publié par Editions Le Printemps

 

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