Le Programme Coordinator, HIV and AIDS auprès de l’United Nations Office on Drugs and Crime, est basé à Nairobi. Le Dr Fayzal Sulliman est rentré, la semaine dernière, pour déposer devant la commission d’enquête sur la drogue.
« Dommage que le traitement à la méthadone ait été stoppée. Si on a un problème avec la gestion du programme, ce n’est pas le médicament qu’il faut blâmer. »
En quoi consistent exactement vos nouvelles responsabilités ?
Je suis responsable d’un projet spécifique au Kenya sur la prévention, le traitement et les soins prodigués à ceux qui se droguent par voie intraveineuse. Ma principale responsabilité est de concevoir un programme de traitement à la méthadone. Mon expérience mauricienne m’aide beaucoup dans mes nouvelles fonctions, car j’ai mis en place et suivi le programme de substitution à la méthadone à Maurice, de 2006 à 2011.
Quelle est la situation au Kenya ?
Au Kenya, on estime qu’il y a environ 18 000 personnes qui se droguent par voie intraveineuse, dont quelque 10 000 se trouvent dans des zones côtières. Dans le cadre de ce projet, je facilite la mise sur pied de cliniques qui sont attachées à des hôpitaux. Le travail se fait en collaboration avec le service hospitalier public, la société civile et l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC). Ces cliniques fonctionnent comme des one-stop shops, où l’équipe médicale travaille avec les patients non seulement pour l’administration de la méthadone, mais aussi afin de dépister et traiter les infections sexuellement transmissibles, les hépatites B et C, la tuberculose, le VIH et d’autres problèmes de santé liés à la prise de drogues.
Vous n’êtes pas sans savoir que le programme que vous reproduisez au Kenya a été stoppé à Maurice…
C’est dommage. La méthadone est recommandé par les instances des Nations unies, dont l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Onusida et l’ONUDC, comme evidenced-based pour combattre le VIH parmi les usagers des opiacés par voie intraveineuse. La méthadone a été classifiée comme médicament essentiel par l’OMS en 2005.
Si l’on a un problème avec la gestion du programme, ce n’est pas le médicament qu’il faut blâmer. L’utilisation de la méthadone comme traitement de substitution aux opiacés a eu des résultats probants tant à Maurice qu’ailleurs. Des données scientifiques le prouvent. Personnellement, je n’ai aucun intérêt à favoriser ce médicament par rapport à un autre. D’ailleurs, Maurice est cité comme modèle dans toute l’Afrique en ce qui concerne ce programme.
Pensez-vous que la situation est embarrassante maintenant ?
Ce qui s’est passé est malheureux. Mais en toute humilité, on peut toujours rectifier le tir.
Avez-vous essayé d’en discuter avec les autorités concernées ?
Je ne suis pas en position de le faire. Je pense qu’il faut rétablir le dialogue avec tous les partenaires, dont la société civile et les bénéficiaires, avant que le mal ne devienne irréparable. Vous voulez lancer un nouveau programme ? Fine. Mais qu’il ne soit pas au détriment du patient ou du programme déjà en place.
Le programme doit-il être revisité, selon vous ?
Ce qui est important, c’est que ceux qui interviennent dans le programme aient de meilleurs outils à leur disposition, afin de travailler de manière efficace. Ce n’est non seulement la méthadone qu’il faut mais aussi l’accompagnement psychologique et social. La réintégration sociale du patient est tout aussi importante pour qu’il devienne un membre productif de la societé.
Que préconisez-vous dans ce cas ?
Idéalement, il faudrait que les parties concernées se concertent, analysent les failles de l’ancien programme et trouvent des solutions. Kill the snake, do not break the stick. Il ne faut pas oublier que la toxicomanie est une maladie mentale. Mais la bonne nouvelle, c’est qu’elle peut être prévenue et surtout soignée.
Quid du pourcentage de rechute ?
L’abus de drogues est une maladie chronique, où la rechute est inévitable. Elle fait partie intégrante du traitement. Un taux de rechute de 60 % est considéré comme normal. La rechute est étroitement liée à une dépendance psychologique sévère. Cela ne signifie pas que la personne est de mauvaise foi. C’est pour cela que l’accompagnement social et psychologique est important.
Quelle est la teneur de votre déposition devant la commission d’enquête sur la drogue ?
J’ai exposé l’aspect du traitement en me fondant sur la disponibilité des traitements de substitution en opposition à leur accessibilité. J’ai aussi souligné la nécessité de la réintégration sociale. L’ONUDC souhaite que Maurice évalue l’impact du nouveau programme de traitement mis en place, en début d’année, par le ministère de la Santé sur la prévalence du VIH parmi les usagers de drogues par voie intraveineuse.
Maurice a l’obligation de soumettre son rapport national sur les drogues à la Communauté de développement d’Afrique australe, à l’Union africaine et aux Nations unies, surtout en ce qui concerne les statistiques. Malheureusement, cela n’a pas été fait pour les deux à trois dernières années, notamment en ce qui concerne les données sur la Demand Reduction. Ce fait est vérifiable dans le World Drug Report 2015, où aucune donnée de la police n’a été soumise.
Les actions de Maurice pour la réintégration des drogués dans la société sont-elles suffisantes ?
Il faut davantage sensibiliser le secteur privé, afin de l’informer que la toxicomanie est un problème de santé publique et non un crime. Il faut donner une chance à ces personnes pour qu’elles redeviennent productives. Pour cela, les autorités devront elles aussi apporter leur contribution.
Quoi, par exemple ?
Je pense au certificat de caractère qui est réclamé pour certains emplois. Il faudra trouver une solution. Car si ces personnes ont une chance d’être réhabilitées, ce sont leurs familles qui seront les premières bénéficiaires et la société en sortira gagnante à terme.
Quelle est votre lecture de la situation à Maurice ?
J’ai peur parce que la population des toxicomanes se rajeunit, surtout depuis l’apparition des drogues de synthèse. La negative peer pressure est responsable des ravages parmi les jeunes. Il faut attaquer le problème à la racine, aller dans les écoles et sensibiliser les jeunes.
Les autorités envisagent la fermeture de la NATReSA. Est-ce une bonne décision ?
La National Agency for the Treatment & Rehabilitation of Substance Abusers (NATReSA) est dépassée. Il est temps de revoir ses objectifs. Le contexte était différent quand elle a été mise sur pied en 1996. La situation a évolué. Cela dit, fermer la NATReSA pour la remplacer par quoi ? Il faut redéfinir ses objectifs. Il faut une institution nationale avec des objectifs qui collent aux besoins du jour. Là aussi, il faut se concerter et trouver des solutions. C’est la responsabilité de tous, des politiques, des fonctionnaires, des ONG et plus important, des usagers de drogues. Il n’y a pas de place pour la judgemental/criminalising approach. Tout le monde mérite une seconde chance.
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Un spécialiste en la matière
Ancien Clinical Coordinator à l’hôpital Apollo Bramwell et ex-bénévole au Centre Idrice Goomany, le Dr Fayzal Sulliman est, depuis novembre 2015, Programme Coordinator, HIV and AIDS auprès de l’United Nations Office on Drugs and Crime (UNODC). Il a aidé à la rédaction du Rapid Situation Assessment sur la drogue, en 2004, et sur le National Drug Control Master Plan 2004-08. Il a été plusieurs fois consultant auprès de l’UNODC en Afrique sur la drogue et le VIH. Marié, il est père de deux enfants. <Publicité
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