Le Dr Babita Thannoo, candidate de l’Alliance du Changement pour Rezistans ek Alternativ aux élections générales, explique pourquoi elle s’engage en politique et souligne que son parti n’a pas vendu « Lalit travayer ». Elle affirme que les idées ainsi que les femmes ont pleinement leur place en politique.
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Vous serez très probablement la candidate de Rezistans ek Alternativ (ReA) dans la circonscription n° 8, Quartier-Militaire/Moka. Qu’est-ce qui vous a motivée à vous lancer dans la politique ?
La politique est le fondement essentiel pour enclencher le changement systémique et mettre en œuvre les mesures nécessaires afin de résoudre les problèmes qui nous rongent à tous les niveaux : écologiques, sociaux, économiques, politiques et culturels. Nous vivons dans un contexte très grave, très difficile et très dangereux. Nous nous soucions sérieusement de l’avenir de nos enfants, de chaque citoyen, de notre île, et de notre monde dans son ensemble, lorsqu’on assiste à un génocide en Palestine. S’engager dans une politique éco-socialiste et féministe pour amener des solutions tangibles et concrètes est le devoir de chaque citoyen.
Le changement se fera avec la détermination de ReA et le projet de société qui nous est cher»
Comment vous vous êtes-vous retrouvée aux côtés de ReA ? Pourquoi ce choix ?
ReA est le parti qui m’a permis d’élargir ma compréhension du contexte de crise climatique dans laquelle nous vivons. J’ai eu l’occasion de travailler avec la branche de recherche et de dissémination de connaissances écologiques et politiques de ReA, CARES (Center for Alternative Research and Studies), pendant plusieurs années. Cette collaboration a renforcé mon engagement dans les luttes menées avec mes camarades de gauche et fervents écologistes.
L’activisme de ReA, basé sur des valeurs humanistes, m’a permis de me retrouver avec mes propres convictions et idéaux dans une conjoncture d’espoir, de lutte et d’engagement ancrée dans l’éco-socialisme et le féminisme contemporain, qui allie le combat pour les droits de la femme avec le combat pour les droits sociaux, économiques et écologiques.
ReA s’est engagé à plusieurs niveaux, tels que le domaine culturel, les droits de la nature ainsi que les droits humains. Notre programme politique est solide ; nous cherchons à amener des changements fondamentaux pour instaurer la justice sociale, économique, culturelle, politique et écologique. Nous nous sentons redevables envers les enfants de notre île. Nous sommes l’exemple même des Mauriciens faisant face à tous les défis pour pouvoir assurer la protection de la vie dans notre île, dans l’océan Indien, ainsi que dans le monde.
Vous participez depuis plusieurs années à l’éducation politique et écologique au sein du Centre for Alternative Research and Studies Mauritius (CARES) de ReA. En quoi consiste ce travail ?
Je donne des cours sur l’éco-féminisme, l’économie bleue, ainsi que sur les sujets connexes tels que les communs. Je suis principalement responsable d’expliquer la pratique éco-féministe, qui consiste à dénoncer l’assujettissement de la femme à travers l’instrumentalisation du patriarcat par le système néolibéral.
Le système néolibéral est fondé sur l’État soumis aux diktats du grand capital. Dans ce système qui fonctionne à l’échelle mondiale, l’humain et les ressources naturelles sont soumis à une exploitation sans relâche pour l’enrichissement d’une élite dévastatrice et criminelle. Dans cette conjoncture, la femme est doublement exploitée.
Le patriarcat qui perdure fait que la femme est majoritairement responsable du travail du soin, c’est-à-dire qu’elle s’occupe des enfants, de la maison, de la famille et des personnes âgées. Le travail du soin contribue entre 10 à 39 % du PIB d’après l’Organisation mondiale du travail. Mais ce travail non rémunéré est central pour la reproduction sociale. Dans le système capitaliste, où la femme se retrouve à travailler jusqu’à 60 heures par semaine, le travail du soin est une charge mentale et physique extrêmement lourde à porter. À travers le patriarcat, le capitalisme tue la femme à petit feu.
L’éco-féminisme nous permet non seulement de prendre conscience de cette atrocité banale et légale, mais aussi d’analyser comment faire pour protéger la vie et la santé des femmes. La crise écologique a énormément de répercussions sur le corps et le vécu de la femme. Les microplastiques sont présents dans le lait maternel et c’est un fait que les femmes sont plus touchées par le cancer du sein que les hommes. Donc, en tenant compte de l’éco-féminisme, on peut mettre en place des structures afin de mieux protéger l’être humain, la nature et la vie.
S’engager dans une politique éco-socialiste et féministe pour amener des solutions tangibles et concrètes est le devoir de chaque citoyen»
Comment réagissez-vous à l’arrestation d’Ashok Subron pour sa prétendue participation à une manifestation qui remonterait à 12 ans ?
Les tactiques d’intimidation ne fonctionnent pas, surtout avec un militant chevronné comme Ashok. Le régime actuel creuse sa propre tombe en agissant ainsi. Nous les remercions, car nous nous retrouvons plus solidaires, plus forts et plus confiants avec le soutien d’un peuple intelligent qui comprend très bien ce qui se passe.
Le défi s’annonce de taille, car la circonscription Moka/Quartier-Militaire est celle du Premier ministre Pravind Jugnauth. Quels arguments comptez-vous mettre en avant pour contrer une éventuelle vague orange dans cette circonscription ?
Dans la circonscription, on ressent l’amertume et le dégoût profond d’un peuple qui ne sait comment combattre la cherté de la vie ainsi que les défis écologiques, économiques et sociaux qui nous affectent en ce moment. Une circonscription qui a vécu la pire des horreurs est sans doute l’espace exemplaire où l’on verra certainement un mouvement de masse intelligent et nécessaire pour le changement, c’est-à-dire un gouvernement qui servira le peuple.
Aviez-vous émis le souhait de vous porter candidate aux élections, ou est-ce le choix du parti ?
C’est un choix de mon parti qui m’a sensibilisée et rendue bien plus responsable envers nos idéaux et notre île. En tant qu’intellectuels, il est de notre devoir de travailler vers une amélioration de notre condition de vie tout en respectant l’écologie. On ne peut se contenter d’analyses et de critiques. L’urgence est là : nous vivons un moment critique où il faut changer de système pour la sauvegarde de notre société et de la nature.
Que répondez-vous à ceux qui disent qu’au n° 8, face principalement à Pravind Jugnauth, on vous envoie « à l’abattoir » ?
Je pense qu’ils doivent réfléchir plus précisément à ce que ressent le peuple en ce moment. Dans la circonscription n° 8 vit toute une famille et une grande communauté meurtrie et traumatisée par la perte atroce de l’un des leurs. C’est bel et bien dans cette circonscription où, en tant que candidate, je trouve le courage et la résistance d’une communauté contre la tyrannie.
En tant qu’intellectuels, il est de notre devoir de travailler vers une amélioration de notre condition de vie tout en respectant l’écologie»
Parlons des moyens financiers pour mener une campagne. Sans aucun doute, l’alliance dirigée par le MSM déploiera de gros moyens, tant financiers qu’en termes logistiques, pour faire élire ses trois candidats dans cette circonscription. Quelle approche comptez-vous adopter ?
Avec le mouvement de masse qu’a été le Wakashio, on a vu qu’on n’a pas besoin de grands moyens pour mobiliser un peuple pour protéger son île, la nature et la vie. Le Mauricien est un être intelligent et sensible qui ressent profondément les impacts sociaux, économiques et écologiques dans le vécu quotidien. Cependant, nous sommes aussi très pragmatiques. Afin de disséminer notre pédagogie sur le pourquoi et le but de notre combat, nous allons prendre les mesures nécessaires tout en restant fidèles à nos principes.
Dans la course aux votes dans une campagne électorale, y a-t-il vraiment de la place pour les idées et pour le programme ? Les gens ne sont-ils pas plutôt habitués à des arguments faciles, voire basiques ?
Les gens sont épuisés. Il y un désenchantement sidérant face aux mesures populistes du gouvernement en ce moment. Les fausses promesses ne passent pas. En revanche, un parti qui lutte avec acharnement pour le respect des droits des travailleurs, pour la protection de nos zones humides, de nos plages, de notre forêt indigène et nos enfants, répond à l’attente d’un peuple qu’on saigne à blanc.
Alors que certains apprécient l’arrivée de ReA au sein de l’Alliance du Changement, qui comprend aussi le Parti travailliste, le Mouvement militant mauricien et Nouveaux Démocrates, d’autres estiment que ReA a « vann lalit travayer ». Comment réagissez-vous à ces critiques ?
Nous ne vendons pas notre lutte. Au contraire, nous transcendons nos limites. Le combat se fera au Parlement, ce qui nous permettra d’amener des changements fondamentaux. Nous parvenons à dialoguer avec les grands partis, à influencer leur programme et à leur faire comprendre les mesures clés telles que le congé parental et le congé menstruel. Travailler avec les autres afin qu’ils comprennent nos combats et deviennent nos alliés est un moyen puissant de continuer la lutte des travailleurs.
Rassurez-vous, la bataille continuera de plus belle pour reconnaître notre identité complexe, multiple et indivisible, même après les élections»
Certains estiment que ReA s’est soumis aux diktats des grands partis politiques, notamment au niveau de la déclaration d’appartenance ethnique…
Dans une alliance, il est impératif de trouver des compromis. Notre combat pour le mauricianisme demeure d’actualité. Mais le plus important, en ce moment, c’est de changer de gouvernement afin de travailler vers un avenir plus sécurisé. Nous traversons une crise et cette crise nécessite de prendre des décisions drastiques pour le bien-être de tous. Rassurez-vous, la bataille continuera de plus belle pour reconnaître notre identité complexe, multiple et indivisible, même après les élections.
Qu’apporte, selon vous, ReA concrètement dans cette alliance ?
Nos valeurs, notre humanisme, nos combats, nos idéologies, nos rêves et nos convictions pour bâtir une société plus juste, équitable, et où le feel-good factor ne sera pas un slogan creux. Nous proposons une politique d’espoir basée sur des projets concrets. Nous apportons le soutien de nos camarades syndicalistes qui croient en notre combat, ainsi que de nos amis écologistes.
On parle beaucoup de la participation des femmes en politique à Maurice. Contrairement à beaucoup de pays de la région, Maurice connaît un faible taux de participation active des femmes. Comment expliquer cela et que faire pour renverser cette tendance ?
Le patriarcat est entièrement responsable de ce fait. Le monde politique est dominé par les hommes. Des femmes comme Jocelyne Minerve ont accompli bien des progrès pour que les femmes soient respectées dans le milieu. Mais il reste beaucoup à faire pour qu’elles ne soient pas reléguées au second plan, pour qu’elles soient écoutées et, surtout, pour que chaque décision prise au plus haut niveau soit gender-conscious.
Les femmes qui seront au Parlement portent la responsabilité d’être militantes pour les femmes qu’elles représentent, peu importe le portefeuille occupé. Il ne faut pas oublier qu’un homme, Ansgar Gabrielsen, ministre de l’Industrie et du Commerce de Norvège, avait introduit un quota pour que 40 % des membres des conseils d’administration des compagnies soient obligatoirement des femmes. Le quota n’est pas idéal en tant que mesure, mais il sert à établir un système équitable, capable de déstabiliser l’hégémonie du patriarcat.
Donc, il faut non seulement des femmes responsables et prêtes à mettre en avant les stratégies pour atteindre l’égalité des genres, mais aussi des hommes féministes, conscients des enjeux et capables d’être aussi visionnaires que Gabrielsen, qui en avait marre des « old boys’ clubs » au sein des compagnies, surtout au niveau de la prise de décision.
On a vu jusqu’ici pas mal de femmes ministres avec des bilans plutôt mitigés, voire très mitigés. N’a-t-on pas tendance à idéaliser le rôle que la femme peut avoir en politique ?
On a vu que dans les pays où un quota avait été appliqué, il y a eu beaucoup plus de femmes qui ont amené des changements structurels pour le bien-être social et économique. On peut citer l’exemple du Rwanda, où le quota de 30 % de femmes au Parlement a eu pour résultat un progrès conséquent dans l’autonomisation de la femme.
Donc, quand on analyse le contexte mauricien, vu que le patriarcat est dominant, il est regrettable de constater qu’on a eu très peu de femmes ministres jusqu’à présent. Elles ont été contraintes aux portefeuilles sociaux et genrés, comme la Sécurité sociale et l’Éducation. C’est le patriarcat dominant qui est la cause de cette situation. Si on crée l’espace pour plus de femmes dans la politique, comme au Rwanda, et surtout, si les hommes politiques mettent en avant des projets écoféministes et socialistes, le contexte actuel changera.
Vous êtes détentrice d’un PhD in Postcolonial and Cultural Studies de l’université de Leeds. En tant que docteure dans ce domaine, que pensez-vous de notre système électoral qui est un héritage direct du Royaume-Uni ?
C’est une très bonne question. Le système First past the post comporte des avantages, car c’est facile à comprendre et permet un gouvernement majoritaire capable d’amener des projets à bon escient. Néanmoins, il est certain que les limites du système électoral se font cruellement sentir. Le système donne lieu au tactical voting, qui fait qu’on choisit un candidat non pas pour ses capacités ou projets, mais parce qu’on ne veut pas de son adversaire.
Le programme de ReA préconise le changement du système électoral pour permettre plus de représentation proportionnelle, dans la lignée de plusieurs efforts accomplis dans le passé afin d’avoir un système plus fair and just. L’héritage colonial doit impérativement être revu afin de répondre à nos attentes. La décolonisation du système est primordiale.
Pourquoi semble-t-il si difficile de dessiner notre propre Constitution et notre système électoral 56 ans après l’Indépendance ? Même notre système politique ressemble en de nombreux points à une monarchie…
Je pense qu’avec cette élection, nous avons une chance de travailler sur les changements systémiques. La conférence sur les réformes constitutionnelles que ReA a organisée le 30 mars 2024 démontre l’objectif de notre parti : être une force majeure qui va catalyser les changements nécessaires, tels que l’inclusion des droits de la nature dans notre Constitution. Le changement se fera avec la détermination de ReA et le projet de société qui nous est cher. Ceux qui ont gardé le système en tant que tel en ont profité. Nous allons travailler pour changer cela, notamment pour promouvoir une vraie démocratie et une identité partagée, multiple et indivisible.
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