Le Dr Ashish Nanda, chargé de cours à la Harvard Business School, a animé un atelier à l’hôtel Labourdonnais sur la stratégie dans le monde des affaires les 29 et 30 juillet 2019. Il répond aux questions concernant les défis que doit relever la presse mauricienne, mais également la meilleure posture à adopter face au changement climatique et au protectionnisme qui se répand.
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Vous avez parlé du modèle de Paywall du New York Times, qui a été un succès. Les revenus du journal provenant des abonnements devraient dépasser les 50 % d’ici 2020. Est-ce un modèle qui peut être reproduit ailleurs ?
Le modèle du Paywall fonctionne particulièrement bien si vous avez une marque très forte. Vous vous appuyez sur votre marque pour atteindre des clients. La portée géographique s’agrandit aussi. Le Paywall fonctionne donc mieux pour les groupes de presse déjà établis. Cela a marché pour des journaux comme le Wall Street Journal ou The Economist. Si vous êtes une firme de deuxième niveau, on peut se demander si le Paywall marcherait pour vous. Le Paywall protège des géants déjà bien établis et ils deviennent encore plus grands, plus globaux. Cela ne protège pas nécessairement les firmes de taille moyenne. L’industrie des médias prend la forme d’une pyramide inversée, avec les géants globaux au sommet et des micro-journaux hyper-locaux. Ces micro-journaux sont encore largement soutenus par la publicité locale. Les journaux de taille moyenne, qui étaient les journaux régionaux, ont été éliminés des pays développés. La situation est très différente dans un pays comme l’Inde. Dans les pays en développement, cette transition majeure est encore à quelques années. Les boîtes de presse deviennent bien plus multi-plateformes. Elles publient encore des journaux, mais construisent aussi une présence en ligne, produisent des programmes radio ou télé. Elles utilisent leur marque pour atteindre le public à travers des chaînes multiples.
Qu’en est-il d’un pays comme Maurice, avec sa population d’à peine 1,3 M ?
Ce qui va se passer dans un pays comme Maurice, c’est que les gens auront accès aux grands journaux internationaux. Mais il y aura de la place pour un journal très local. Il n’a pas nécessairement à être un journal physique, il peut être basé sur le Web aussi. Le journal papier vous aide avec les recettes publicitaires. L’un des bénéfices pour un groupe de presse dans un pays comme Maurice, c’est que vous aurez des entreprises qui voudront faire de la publicité localement. Si vous pouvez agir comme une plateforme pour elles, cela peut être intéressant.
Mais il est quand même difficile de monétiser le Web…
Le Web, c’est l’avenir. Ce que vous devez faire dans les pays en développement, c’est vous assurer que votre site Web ne cannibalise pas votre journal papier. C’est ce qui vous rapporte de l’argent. Le taux de pénétration de la connexion Internet est élevé et les gens auront accès au contenu numérique. Vous devez développer une approche pour convaincre les lecteurs de payer pour de l’information numérique de qualité. C’est le challenge. En Inde, ils n’y sont pas encore parvenus. Les journaux en ligne y sont encore gratuits. Dans les pays plus petits, je crois qu’il faudra se décider à se lancer dans le tout-numérique. Mais il faudra un modèle payant. Et comme il y aura encore des entreprises locales qui voudront faire de la publicité, il faudra essayer de tisser des relations avec elles, peu importe que le journal soit papier ou numérique. Ce serait alors possible de construire un modèle de revenus.
L’une des rubriques qui rapportent le plus au New York Times, c’est la cuisine. Les gens sont prêts à payer une prime pour cela.»
La transition vers le tout-numérique est-elle inévitable, même pour un petit pays comme Maurice ?
Oui. Les gens se connectent de plus en plus et se sentent plus à l’aise en ligne. Le numérique est plus propice à la collecte de nouvelles. Vous pouvez choisir quand le faire, où le faire et aussi choisir les sujets. Cette transition arrivera. Mais quand, c’est la question qui se pose.
Vous dites qu’il est encore difficile de convaincre les gens de payer pour le contenu en ligne en Inde et dans d’autres pays en développement. Est-ce un challenge que ces pays peuvent relever ?
Ils le devront. Il y a deux voies : l’une d’elle est la publicité. Si vous développez un partenariat avec eux, les annonceurs vont apprécier le fait que vous êtes lu. Ils viendront vers vous. La deuxième voie : si vous parvenez à développer des communautés de lecteurs qui auront des discussions et vont contribuer au débat en ligne, cela peut beaucoup aider. Les gens ne se contentent pas de lire, mais de s’organiser en communauté. Puis, il y a aussi le critère de qualité. Les gens paieront pour la qualité.
Quand vous dites communauté, c’est-à-dire que le journal n’est pas qu’un simple produit, mais que le lecteur s’y identifie ?
Exactement. Par exemple, sur le site de The Economist, Washington Post, New York Times ou Wall Street Journal, ils permettent aux lecteurs de commenter, mais ils classent et annotent les commentaires et disent « Voici les commentaires que le New York Times aime ». Ou alors un commentaire peut être aimé par d’autres lecteurs. Il n’y a pas que le fait de lire, mais il y a une conversation qui a lieu autour de l’information publiée. Les gens s’y attachent. Par ailleurs, l’une des rubriques qui rapportent le plus au New York Times, c’est la cuisine. Les gens sont prêts à payer une prime pour cela. Il faut voir plus grand : que pouvez-vous apporter qui poussera les gens à créer une communauté et à payer ?
Vous avez parlé des moteurs de perturbation pour les entreprises. Le changement climatique en fait partie. En tant que petit État insulaire, Maurice sera plus affecté que la plupart des autres pays. Comment les entrepreneurs mauriciens devraient-il approcher ce problème ?
C’est vrai que le changement climatique aura un impact disproportionné sur les îles tropicales. Il faut en être conscient. Dans tout type de plan à long terme, il faut prendre en considération l’impact de ce phénomène. Par exemple, il faudrait plus de climatiseurs et être prudent quand il s’agit de construire de larges structures sur le littoral. Il faut réfléchir aux moyens de mitiger l’impact du changement climatique. S’il fait chaud, les industries qui aident à gérer la chaleur vont prospérer. Il faut mesurer l’impact et trouver des moyen de la mitiger. Ensuite, il faudrait proposer de nouveaux produits et services qui aident à relever ces défis.
Vous avez aussi abordé le recul de la globalisation. Les petits pays dépendent beaucoup du commerce international. Comment s’en sortir au milieu de géants comme la Chine et les États-Unis qui se battent ?
Cela va être très dur. Certaines petites économies ouvertes vont ressentir les chocs de ce défi. Il faut rester ouvert et ne pas répondre du tac au tac. S’ils se comportent de manière protectionniste et que vous en faites de même, tout le monde en souffrira. Il faut rester ouvert et essayer de ne pas choisir un camp.
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