
Cinq ans après la catastrophe écologique provoquée par l’échouage du MV Wakashio au large de Pointe d’Esny, le rapport sur ses impacts environnementaux et sociaux n’a toujours pas été rendu public. Joanna Bérenger, Junior Minister à l’Environnement, revient sur les leçons tirées de cette tragédie, les avancées en matière de préparation aux risques, ainsi que les zones d’ombre persistantes.
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Cela fait cinq ans que le MV Wakashio s’est échoué au large de Pointe d’Esny. Que retenez-vous de ce drame ?
Cette tragédie a mis en lumière trois choses : les lacunes dans la protection de nos eaux territoriales, notre manque de préparation pour réagir aux naufrages et surtout la fragilité de nos écosystèmes face à de telles catastrophes. D’où l’importance de mieux les protéger et de les rendre plus résilients. Mais ce drame a également fait émerger ce qu’il y a de meilleur en nous : notre capacité à nous unir et à travailler pour sauver ce qui pouvait encore l’être et reconstruire ce que nous avons perdu.
Le manque de préparation avait été fortement pointé du doigt. Est-ce que nous sommes mieux préparés aujourd’hui ? Qu’est-ce qui a été fait concrètement ?
Après l’échouage du Wakashio, sept experts mauriciens ont été formés en Oil Spill Preparedness and Response Management (OSPRM) avec l’appui de la Japan International Cooperation Agency (JICA). Ils ont ensuite, toujours en collaboration avec la JICA, mis à jour l’atlas de sensibilité et élaboré des cartes tactiques pour trois sites stratégiques : le port de Port‑Louis, la zone de Bain‑de‑Rosnay à Poste-de-Flacq et celle de Blue-Bay à Pointe-du-Diable. Ces documents serviront en cas de déversement d’hydrocarbures en mer.
Des plans similaires ont été réalisés en octobre 2023 pour les secteurs de Pointe‑aux‑Canonniers–Le Goulet et de Montagne Jacquot–Le Morne. D’ici le mois prochain, nous aurons couvert l’ensemble des côtes de Maurice ainsi que celles de Rodrigues par des cartes tactiques équivalentes.
À ce jour, plus de 400 personnes ont été formées aux différents niveaux de formation de l’OMI (Organisation Maritime Internationale ; NdlR) relatifs à la gestion des déversements d’hydrocarbures. Ces sessions se poursuivent de manière continue.
Enfin, depuis 2023, l’État a engagé l’acquisition de 8 000 mètres de boudins de confinement, de récupérateurs d’hydrocarbures, de groupes électrogènes, de conteneurs de stockage et d’autres accessoires, renforçant ainsi notre capacité de réponse et de préparation face aux risques de pollution marine.
À l’époque, les autorités avaient largement sous-estimé les conséquences possibles du naufrage qui a finalement résulté en une marée noire. Pendant plusieurs jours, elles étaient dans le déni d’un drame écologique qui se préparait.
Est-ce qu’un travail a été fait pour qu’on sache quoi faire si on se retrouve face à un problème similaire aujourd’hui ?
En sus des mesures déjà évoquées, le National Oil Spill Contingency Plan (NOSCP) a été intégré à l’Environment Act 2024 en tant que texte réglementaire devant être révisé tous les cinq ans ou à la demande du ministre. La réforme institue également la création d’un comité national chargé de planifier les mesures d’urgence et de coordonner les interventions en cas de pollution ou de menace de pollution par hydrocarbures.
Le directeur de l’Environnement doit, de son côté, rendre compte au National Crisis Committee des actions entreprises pour faire face à une éventuelle marée noire. De plus, la participation des volontaires en tant que premiers intervenants est désormais plus formalisée et structurée, notamment grâce aux différentes formations OMI dispensées et aux cartes tactiques développées. Cela renforce ainsi notre capacité collective de prévention et de réponse.
Jusqu’ici, personne au niveau des autorités n’a été « taken to task ». Comment l’expliquer ?
Il s’agit d’un problème systémique à Maurice : l’absence de conséquences pour ceux qui, par leur négligence, leur incompétence ou leur malhonnêteté, mettent en péril le bien commun. On l’a vu avec le Wakashio, les inondations meurtrières ou encore les décisions économiques désastreuses. Il n’appartient pas au nouveau gouvernement d’entamer une campagne de vengeance politique, mais il faut pouvoir situer les responsabilités.
Parfois cela peut aboutir à des sanctions administratives, des dommages financiers même des poursuites pénales. Mais il faut un cadre institutionnel indépendant et robuste qui permette ce genre d’enquête dès le départ. Ce qui n’existait pas sous l’ancien gouvernement.
Le gouvernement actuel avait promis durant la campagne électorale que le rapport serait rendu public. Comment expliquer qu’il ne le soit pas encore ?
Le rapport sur l’impact environnemental et social de l’échouage du Wakashio est aujourd’hui au niveau du bureau de l’Attorney General. Je comprends qu’il y a des considérations légales à étudier. Je n’ai aucun doute qu’une fois cette étape franchie, le rapport sera publié dans son intégralité comme promis. J’y veillerai.
Toute cette région du Sud et de l’Est portent-elles encore les traces de cette pollution ou la situation est-elle retournée à la normale ?
En décembre 2020, le ministère de l’Environnement avait lancé un programme intégré de suivi environnemental (Integrated Environmental Management Plan – IEMP ; NdlR) sur cinq ans pour la région sud‑est. Ce programme évalue la qualité de l’eau de mer et de l’eau souterraine, la contamination de la faune et des sédiments, l’état de l’écosystème marin, l’hydrologie, les courants et la santé des coraux.
Les derniers résultats, en date de juin 2025, indiquent qu’aucune trace d’hydrocarbures n’a été détectée dans les poissons, l’eau de mer et l’eau des puits d’irrigation. En revanche, des évolutions au niveau des courants et de l’hydrologie du lagon pourraient à terme perturber l’écosystème marin et les communautés riveraines, ce qui nécessite des études plus approfondies.
Les analyses de sédiments au sein de la végétation de mangrove dans la région révèlent de faibles résidus d’huile et de graisses, en constante diminution au fil des années, signe que l’écosystème se remet progressivement de la marée noire.
Au-delà de cela, il est vrai que la trace demeure dans tous les esprits : les habitants de la région, et plus généralement les Mauriciens et Mauriciennes, n’ont pas oublié ces jours noirs.

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