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Alain Malherbe : «Le MV Wakashio est un échec collectif de l’État, et un signal d’alarme que nous n’avons toujours pas su entendre»

Directeur d'une agence maritime, Alain Malherbe revient sur le naufrage du MV Wakashio, qui a eu lieu le 25 juillet 2020, et qui a provoqué la plus grande catastrophe écologique à Maurice. Il souligne que les dispositions n’ont toujours pas été prises pour éviter qu’un tel drame se reproduise. 

Le MV Wakashio a fait naufrage au large de Pointe-d’Esny il y a cinq ans. Que faut-il retenir de cet évènement qui a provoqué la plus grosse pollution environnementale à Maurice ?
Le naufrage du MV Wakashio a causé un traumatisme national. Il a mis à nu les graves carences de notre dispositif de surveillance maritime et l’incompétence flagrante de certains organismes censés veiller à la sécurité de notre zone économique exclusive. Il faut retenir qu’en 2020, un vraquier géant s’est échoué à 1,3 mile nautique d’une zone protégée sans qu’aucune alerte n’ait été déclenchée à temps. Cette inaction a conduit à une marée noire aux conséquences écologiques, économiques et sociales encore visibles aujourd’hui. C’est un échec collectif de l’État, et un signal d’alarme que nous n’avons toujours pas su entendre.

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Avons-nous appris de nos erreurs ? Avez-vous le sentiment que nous sommes mieux préparés si un tel événement se reproduit ?
Non, malheureusement. Cinq ans plus tard, il n’existe toujours pas de protocole clair de coordination interinstitutionnelle en cas de pollution marine majeure. Les centres de surveillance ne fonctionnent pas en continu, l’AIS n’est pas imposé à toutes les embarcations, les zones sensibles ne sont pas protégées par des radars côtiers autonomes, et les exercices de simulation restent rares, voire inexistants. Si un autre Wakashio devait survenir demain, nous serions pris de court exactement comme en 2020. La mémoire institutionnelle a été effacée, les responsabilités diluées, et les erreurs enfouies dans un silence coupable.

À l’époque, de multiples défaillances avaient été pointées du doigt. Parmi, le fait que le MV Wakashio n’avait pu être détecté à temps, mais aussi le fait que les autorités avaient largement sous-estimé les conséquences possibles du naufrage. Ce qui a finalement résulté en une énorme marée noire. Est-ce que les mesures correctrices ont été apportées depuis ?
Aucune réforme structurelle sérieuse n’a été apportée. Le National Coast Guard fonctionne toujours sur des horaires limités et reste rongé par un immobilisme chronique. Il suffit de relire les critiques acerbes de la Commission Lam Shang Leen envers la National Coast Guard pour comprendre la gravité du problème.

L’alerte initiale dépend encore trop souvent de citoyens vigilants ou de simples publications sur Facebook. Les mêmes organismes qui ont failli sont toujours en place, inchangés, sans réforme, sans remise en cause. Aucun audit indépendant n’a été commandité, aucun système de prévention crédible instauré. Pire : d’autres échouements sont survenus depuis (Tresta Star, chalutiers taïwanais et chinois à Saint-Brandon), tous marqués par le même amateurisme et la même opacité.

Qu’attendez-vous de la part des autorités ?
J’attends un acte fort et immédiat : la publication du rapport de la Court of Investigation, comme promis. J’attends aussi la mise en place d’une Commission nationale permanente sur la sécurité maritime, composée d’experts indépendants et dotée de moyens réels. Il faut dépolitiser la sécurité maritime, mettre fin au copinage dans les nominations, et rétablir une culture de compétence. Et surtout, j’attends qu’une enquête judiciaire indépendante soit enfin ouverte, pour que les responsables — quels qu’ils soient — soient traduits devant un tribunal. Assez d’impunité.

Et de la population ?
Elle doit rester vigilante. Il ne faut pas que cette tragédie sombre dans l’oubli. J’en appelle aux ONG, aux journalistes, aux pêcheurs, aux écologistes, aux jeunes : continuez à questionner, à dénoncer. Le Wakashio est un devoir de mémoire national. Il ne s’agit pas seulement d’un navire échoué, mais d’un système à la dérive. Si la population abdique sa vigilance, d’autres drames viendront. Et dans ces cas-là, le silence devient complice.

Il est un fait que cinq ans après le naufrage, personne au niveau des autorités n’a été « taken to task ». Comment l’expliquer ?
C’est le reflet d’une culture d’impunité profondément enracinée. Dans tout État de droit fonctionnel, des têtes seraient tombées : ministres, directeurs, commandants. Mais à Maurice, l’appareil d’État se protège lui-même. On crée des commissions fantômes, on dilue les responsabilités, on enterre les rapports. Cette absence de sanctions démontre que la médiocrité est devenue une norme tolérée, que l’administration publique n’est pas redevable, et que les citoyens n’ont aucun pouvoir coercitif sur l’État. C’est à la fois une faillite démocratique et morale.

Le rapport de la Court of Investigation n’a pas encore été rendu public. Est-ce important qu’il le soit ? 
C’est fondamental. Ce rapport a été établi dans le cadre d’une enquête publique initiée conformément à la Merchant Shipping Act. Il ne peut en aucun cas être classé comme confidentiel, secret ou privé. Il s’agit d’un acte de vérité et de justice. Refuser de le rendre public, c’est nier à la nation son droit de savoir, et entretenir un climat de suspicion. Le message envoyé est clair : il y a des choses à cacher. Tant que ce rapport restera dans un tiroir, la colère, le doute et la méfiance persisteront.

L’actuel gouvernement avait promis durant la campagne électorale que le rapport soit rendu public. Comment expliquer qu’il ne le soit pas encore ?
Il n’y a aucune explication crédible. Le rapport est finalisé, validé, archivé. Le ministre Boolell en a lui-même reconnu l’existence. Sa non-publication est soit une lâcheté politique, soit une connivence silencieuse avec l’ancien régime. Dans les deux cas, il s’agit d’un reniement grave de promesses électorales. Ce silence transforme les nouveaux gouvernants en complices d’un système qu’ils prétendaient vouloir assainir. Ce n’est pas qu’une question de transparence, c’est une question de justice, de décence, et de respect envers la nation.

 

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