Jean-Claude de l’Estrac, donné favori dans la course au secrétariat-général de l’Organisation Internationale de la Francophonie, a décidé de lever le rideau sur les agissements de coulisses dans un livre intitulé « Francophonie: de Hanoï à Dakar, le pacte brisé. »
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Il était tout près des étoiles. Après avoir écumé des capitales africaines, s’être expliqué en long et en large aux journalistes, présenté son programme et son propre parcours, croisé des chefs d’État du continent voisin dans des salons feutrés, JC de l’Estrac, candidat de la république mauricienne à la succession d’Abdou Diouf, se dit victime de la France, qui apporte son soutien à Michaelle Jean, ancienne gouverneur général du Canada. Tout cela méritait un livre.
Pourquoi donc ce choix, alors que JC de l’Estrac est un francophone avéré, servi par un patronyme idéal, politicien de gauche, ancien journaliste et maire, trois fois ministre, diplomate, co-fondateur de la Commission de l’Océan Indien (COI) ? Rien ne manque à ce palmarès ? Pas sûr. C’est oublié que la France, fut-elle de gauche, est toujours sensible à la géopolitique, aux rapports de force qui sous-tendent les relations de tout genre, mais surtout militaire, économique et politique, dans certains endroits de la planète.
La France, c’est aussi et surtout le bailleur de fonds de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). C’est elle qui, en dernier ressort, évalue les candidats, en fonction de ses propres intérêts. Compte tenu des exigences françaises, est-ce que la messe était-elle déjà dite pour le candidat mauricien ? Lui qui était face à une femme, bardée de prix et d’honneurs dont on s’est plu à mettre en exergue ses racines haïtiennes, son engagement social auprès des femmes et des enfants et son action pour rapprocher les communautés canadiennes.
Campagne à New York
Sur Internet, il est un fait qu’elle fait l’objet d’articles les uns plus dithyrambiques que les autres, tandis que ses rencontres, avec la Reine Elizabeth ou l’ex-Président Obama, contribuent à étoffer son profil de cette femme ‘noire, engagée, citoyenne du monde’. « La jeunesse, les femmes, les autochtones sont ses priorités nationales (…) », peut-on lire sur son site. Au départ, confie JC de l’Estrac dans son ouvrage, l’idée de succéder à Abdou Diouf le laisse plutôt indifférent, car le titre de chef d’État manque à son CV.
C’est son ami de longue date Dominique Wolton qui va l’encourager à postuler. Cela dit, on sait que rien, ou presque, ne peut décourager JC de l’Estrac lorsqu’il se fixe un objectif. Aussi, mène-t-il tambour battant, sa campagne, un peu à la manière d’un politicien et beaucoup comme le diplomate qu’il fut, dans la capitale française. Après avoir vérifié, à Paris et à Bruxelles, auprès de quelques personnalités, l’éventualité d’une candidature mauricienne, c’est à New York qu’il entame véritablement sa campagne où, écrit-il, « j’explique le sens de ma candidature. »
D’autres voyages suivront. Au Canada, d’abord, où dans un article consacré à Michaelle Jean et qui fait part de ‘son handicap majeur’, le journaliste écrit « dans tous les cas, l’appui de la France, principal pourvoyeur de l’OIF, demeure incontournable ». Cette phrase, lourde de sens, ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd. Le candidat mauricien sait que tout se joue à Paris. Comment faire prévaloir le Mauricien face à la toute-puissante canadienne ? Tout simplement en mettant en avant la réussite de l’île à tout niveau, surtout économique, grâce à un système éducatif qui a su accommoder ses deux langues héritées de son passé colonial, l’anglais et le français.
Mais la langue de Shakespeare est depuis longtemps en perte de vitesse et on ne connaît aucun Mauricien de l’envergure d’un Edouard Maunick, une figure éminente de la poésie de la négritude, qui ait brillé en anglais. Donc, l’île a bien adopté le français et ses sujets adorent la France, Paris, ses filles et ses garçons, ses universités, ses parfums, ses vins... Cela devrait suffire pour étoffer l’offre mauricienne. Mais la realpolitik française ne saurait s’embarrasser de ces bonnes notes d’une petite île qui, de surcroît approfondit dangereusement ses relations avec le grand frère indien.
Aux yeux d’Hollande, Maurice n’est d’abord pas véritablement un État africain, ensuite les propositions mauriciennes sont trop ambitieuses, et si d’aventure elles se révélaient payantes, tout le mérite reviendrait à ce petit candidat des îles. La francophonie ne doit pas se mêler d’économie, mais de culture. Un peu de musique, de littérature, de mode, de débats stériles sur les enjeux culturels en Afrique. Bref, de beaucoup de choses, abstraites, mais pas d’économie.
Voilà ce qui a causé la perte de JC de l’Estrac. Il se voulait sérieux, rigoureux, veillant à la dépense de chaque sou provenant de Paris. Mais à Paris, on n’en attendait pas tant que ça. La Chine, très présente en Afrique, en dépit de son Parti communiste, savoure depuis ces dix années les joies du libéralisme. L’Afrique subsaharienne, elle, se contente encore de jouer aux camps de vacances des notables et expat’ français.
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