Le coup d’envoi du premier round des négociations tripartites en vue de décider du quantum de la compensation salariale de 2023 a été donné en ce mercredi 23 novembre. Dans quelle mesure une compensation adéquate soulagera-t-elle les ménages durement affectés par la flambée des prix ? Outre l’inflation, quels sont les autres facteurs qui seront pris en compte ?
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Rattraper la perte du pouvoir d’achat
Les observateurs économiques sont unanimes sur un point : la compensation salariale est un exercice nécessaire. « Elle est importante dans la mesure où elle vise à compenser la perte du pouvoir d’achat en raison de l’inflation », souligne l’économiste Eric Ng. Il faut dire que l’inflation est à double chiffre cette année. Elle s’élèvera à 10,7 % en 2022, contre 4 % en 2021, selon les estimations de Statistics Mauritius.
Un chiffre qui ne surprend pas au vu de l’escalade des prix des produits alimentaires et de l’énergie à la suite des perturbations dans les chaînes d’approvisionnement des produits dans le sillage de la guerre en Ukraine. Pour l’économiste Rajeev Hasnah, il est primordial, dans la conjoncture actuelle, de rétablir la perte du pouvoir d’achat.
Le débat sur la capacité de paiement
La question revient sur le tapis chaque année : les entreprises sont-elles en mesure, sur le plan financier, de payer la compensation salariale ? Rajeev Hasnah fait ressortir que tous les secteurs n’ont pas la même capacité de paiement.
« Cela dépend de quel secteur on parle. Il y en a qui ont la capacité de payer davantage que le montant de la compensation, tandis que d’autres n’ont pas les mêmes moyens », souligne-t-il.
Ganessen Chinnapen précise que les coûts des opérations des entreprises ont grimpé cette année avec la hausse de prix des matières premières ou encore l’appréciation du dollar. « Le patronat a une marge de manœuvre limitée pour rester compétitif. Or, la compensation est un coût additionnel qui déstabilisera les opérations et les marges des entreprises », avance-t-il.
Mais il est un fait que la situation économique s’est améliorée cette année. Statistics Mauritius table d’ailleurs sur une croissance de 7,2 % cette année, contre 3,7 % en 2021 et une contraction de 14,6 % en 2020.
De même, les entreprises ont renoué avec la profitabilité, comme en attestent les nombreux bilans financiers positifs publiés ces derniers jours. « La reprise n’est pas pour tout le monde. Dans le tourisme, les opérateurs ont la capacité de payer une compensation de 10 %, car le secteur a connu un fort rebond. S’ils le font, ils enverront un signal fort pour inciter les jeunes à intégrer le secteur. A contrario, dans d’autres secteurs comme le textile et la construction, la croissance tourne au ralenti », nuance, cependant, Eric Ng.
Quoi qu’il en soit, le fin mot reviendra au gouvernement. Se montrera-t-il généreux ou sera-t-il mesuré face aux grandes attentes des consommateurs ? Réponse la semaine prochaine…
Ces dates à retenir
23 novembre
Ce mercredi 23 novembre 2022 marquera le coup d’envoi du premier round des négociations tripartites. C’est le ministre du Travail, Soodesh Callichurn, qui présidera la réunion du comité technique. Une rencontre au cours de laquelle les syndicats tout comme le patronat feront part de leurs propositions.
30 novembre
Le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, présidera la réunion tripartite, selon le Conseil des ministres Le montant de la compensation sera aussi dévoilé.
Quel quantum accorder ?
Eric Ng révèle qu’il y avait, dans le passé, une loi qui autorisait le non-paiement de la compensation salariale si l’inflation était inférieure à 5 %. Cependant, poursuit-il, chaque gouvernement a payé la compensation en dépit du taux en vigueur.
« Comme cette année-ci nous avons une inflation à deux chiffres, il est logique qu’il y ait un rattrapage. La question est de savoir sur quelle base la compensation sera calculée et si elle sera accordée ‘across the board’ », dit-il.
L’économiste Ganessen Chinnapen a les mêmes interrogations. « Au cours de l’année, il y a eu une baisse du pouvoir d’achat et symboliquement, le gouvernement compensera les gens pour cette perte. La question est de savoir si cet ajustement se fera par rapport au taux d’inflation ou s’il y aura un mécanisme de ciblage au lieu d’appliquer le même quantum de façon universelle », fait-il ressortir.
Sur ce point, Eric Ng soutient qu’accorder une compensation uniforme de 10 % affectera les PME. Ganessen Chinnapen abonde dans son sens : « Dans le cas de la fonction publique et des organismes parapublics, c’est l’État qui prendra en charge le coût de la compensation. Dans le privé, surtout au niveau des PME, la masse salariale augmentera. Ce sera un coût additionnel et leur compétitivité en sera affectée. Un quantum progressif serait plus approprié. »
L’idéal, suggère Eric Ng, serait d’accorder une compensation de 10 % à ceux qui perçoivent le salaire minimum et de proposer une compensation graduée en fonction du niveau des salaires. « Il faudrait aussi appliquer un plafond, soit jusqu’à Rs 25 000, qui est le seuil imposable. D’autant que la majorité des salariés touche jusqu’à Rs 25 000 par mois », recommande l’économiste. De son côté, Ganessen Chinnapen est d’avis qu’une compensation entre Rs 400 et Rs 500 serait appropriée en tenant compte de tous les paramètres.
Le chiffre 10,7 %
C’est le taux d’inflation qu’enregistrera le pays cette année. Voici l’évolution de l’inflation au cours de ces dernières années. C’est en 1993 qu’on retrouve à nouveau une inflation à deux chiffres (10,5 %).
ILS ONT DIT
Ganessen Chinnapen : « Il faudrait considérer l’option de soutenir financièrement les PME pour le paiement de la compensation salariale. »
Eric Ng : « Il faudrait être prudent. Il s’agit de trouver le juste milieu entre protéger le pouvoir d’achat des Mauriciens tout en ne mettant pas les entreprises en mauvaise posture. Si on accorde une compensation uniforme et calquée sur un taux d’inflation de 10 %, cela influera sur les prix et créera plus d’inflation l’année prochaine. »
Rajeev Hasnah : « Toutes les entreprises ne sont pas nécessairement dans la même situation et tout dépend aussi du niveau de concurrence dans leurs secteurs respectifs. Si certaines font très bien, pour d’autres, ce n’est pas forcément le cas. »
De 2010 à 2022 : La compensation salariale a oscillé entre Rs 150 et Rs 600
La compensation salariale n’a pas été forcément versée à toutes les catégories de salariés durant ces onze dernières années. Autre constat : le plus gros montant, soit la somme de Rs 600, a été versé en 2015.
Bon à savoir
• Environ Rs 4 milliards. C’est la somme totale qui a dû être allouée pour le paiement de la compensation en 2022, selon les estimations faites par le ministre des Finances. Ce montant inclut le paiement à la fois dans la fonction publique et le secteur privé (NdlR : à voir la somme décaissée uniquement par le secteur privé plus loin).
• 433 340 salariés étaient concernés par la compensation salariale de 2022, en l’occurrence 56 070 fonctionnaires, 27 270 salariés dans les organismes parapublics et 350 000 employés dans le secteur privé.
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