Actualités

Chagos - éclairage historique : Paradise Lost

chagos De 1965 à 1973, l’archipel est vidé de ses habitants.

Comment, pourquoi et dans quelles circonstances l’île Maurice a-t-elle été privée par la Grande-Bretagne d’une partie de son territoire peu avant son indépendance ? Et dans quelles conditions toute une population a-t-elle été déportée pour faire place à une base militaire ?

Publicité

Après avoir plongé ses pieds dans le lagon cristallin et fait le tour des Chagos, sir Robert Scott, Gouverneur de Maurice, décrit l’archipel comme une « dream island ». Nous sommes alors dans les années 50 et environ mille personnes, pour la plupart nées là-bas, y vivent. À ce moment précis, il n’est pas encore question du drame qui va s’y jouer quelques années plus tard : celui de la déportation de toute une population.

Tout commence en 1962 lors de la guerre sino-indienne. Elle fait prendre conscience à la superpuissance américaine qu’il lui manque une solide base arrière dans la zone Asie/océan Indien. Alors que les Chagossiens vivent paisiblement au paradis perdu, d’autres complotent dans leur dos.

Dans un premier temps, les Américains considèrent que l’endroit idéal pour leur installation militaire est l’île d’Aldabra. Mais, en fin de compte, c’est Diego Garcia, principale île des Chagos, qui accueillera les militaires. « L’île d’Aldabra était le premier choix, mais cette option a été rejetée parce qu’y aménager une base aurait dérangé les tortues géantes ainsi que d’autres animaux sauvages. Ils ont donc choisi Diego Garcia, qui était un bon compromis entre l’US Navy et l’Air Force », affirmait Robin Cook, en 2000, alors qu’il était ministre des Affaires étrangères britannique.

Mais voilà, les Chagos étaient habités alors que l’amiral américain Elmo Zumwait avait clairement dit aux Anglais, selon des documents officiels déclassifiés, que « (mon) désir personnel est qu’il n’y ait pas de population indigène sur l’île, car cela pourrait provoquer des complications politiques. C’est pourquoi je suis fortement en faveur qu’il n’y en ait pas quand nous prenons le contrôle et établissons notre base ». À partir de là, le destin des Chagossiens est scellé.

Julien Durup, ancien conservateur des Archives nationales de Mahé, aux Seychelles, écrit dans The Chagos. A short history and its legal identity : « Nous sommes ici dans un cas unique où la Grande-Bretagne est forcée par son ancienne colonie, les États-Unis, de déplacer toute une population et de l’exiler dans un pays étranger et cela, contre tous les principes des Nations unies, des Droits de l’Homme et du Magna Carta. »

Mais, avant de pouvoir déplacer la population, il faut d’abord mettre la main sur les Chagos, qui est alors encore rattaché à Maurice, toujours colonie britannique. Anthony Greenwood, Foreign Secretary britannique, se met à la tâche. En avril 1965, avant la conférence constitutionnelle pour l’Indépendance mauricienne, il en parle à Seewoosagur Ramgoolam, qui n’est pas encore anobli par la Reine. Il le sera le 12 juin 1965. Il lui dit que Maurice aura son indépendance, mais sans les Chagos. Certaines sources soutiennent que sir Seewoosagur Ramgoolam n’est pas contre l’idée de céder l’archipel. En effet, la perte des Chagos permettra à Maurice de toucher une somme de 3 millions de livres sterling.

Ce montant n’a pas été décidé par hasard. Lors d’une réunion au Colonial Office anglais le 20 septembre 1965, sir Seewoosagur Ramgoolam, accompagné d’autres ministres mauriciens, propose un bail de 99 ans à un taux de 7 millions de livres sterling pour les 20 premières années et 2 millions par la suite.

Comme le témoigne CCP Heathcote-Smith, « Ramgoolam a dit fermement que le gouvernement mauricien n’est pas intéressé par une excision et préfère un bail de 99 ans ». En fait, les Mauriciens font monter les enchères.

Mais le groupe n’aura pas ce qu’il cherche. Trois jours après, sir Seewoosagur Ramgoolam accepte la contre-proposition britannique de 3 millions de livres sterling comme compensation pour le détachement des Chagos.

Plus tard, sir John Shaw Rennie, dernier gouverneur anglais de Maurice, dira que si sir Seewoosagur Ramgoolam a cédé sur Diego Garcia, c’est parce qu’il était convaincu que s’il se montrait conciliant sur la question, le gouvernement britannique opterait pour l’Indépendance à l’issue de la conférence constitutionnelle.

En novembre de la même année, le British Indian Ocean Territory (BIOT) devient une réalité et un bail de 50 ans est concédé le 30 décembre 1966 aux États-Unis pour leur permettre d’utiliser Diego Garcia à des fins militaires. En 1973, la base militaire est pleinement opérationnelle, selon SR Ashton, chercheur à l’Université de Londres, et Roger Louis, professeur d’Histoire et culture anglaise de l’Université de Texas, à partir de documents britanniques couvrant la fin de l’empire britannique. Le bail est renouvelé en décembre 2016 malgré les protestations du gouvernement mauricien, impuissant.

De 1965 à 1973, l’archipel est vidé de ses habitants. Si dans un premier temps, on les « encourage » à quitter les îles par petits groupes, dans un second temps, quand le temps presse, l’on parle carrément de déportation.

Ainsi, le premier gros contingent de déportés arrive aux Seychelles le 30 septembre 1971 sur le Nordvaer avec 146 personnes à son bord alors que le navire était légalement censé transporter 12 passagers dans ses cabines. Officiellement, le 27 avril 1973, plus aucun îlois ne se trouve dans l’archipel.

Combien de ces Chagossiens se retrouvent à Maurice ? Selon les sources, les chiffres varient. Mais, en 1972, le Royaume-Uni et Maurice tombent d’accord sur le chiffre de 426 familles d’îlois, soit 1 151 individus, qui ont quitté les Chagos volontairement ou involontairement pour l’île Maurice de 1965 à 1973. Mais, en 1977, le gouvernement mauricien fait un nouveau recensement qui démontre qu’il y a 557 familles, soit 2 323 personnes.

Depuis l’Indépendance, presque chaque gouvernement a indiqué vouloir récupérer l’archipel. Mais en vain.


Fiche identitaire des Chagos

chagosArchipel riche de 55 îles réparties en sept atolls, les Chagos se situent à 1 174 km de Male au sud des Maldives et à 1 832 km à l’est de Victoria, qui appartient aux Seychelles. Par rapport à l’île Maurice, l’archipel se situe au Nord-est. Depuis les années 70, Diego Garcia, son île principale, est occupée par une base militaire américaine où travaillent et résident quelque 4 000 personnes. Plusieurs nationalités y cohabitent, mais les Chagossiens y sont persona non grata. Administré par le British Indian Ocean Territory (BIOT), entité appartenant à la Grande-Bretagne, l’archipel est revendiqué par l’État mauricien en insistant sur le fait que l’archipel avait été détaché le 8 novembre 1965. Trois ans avant que Maurice ne devienne indépendante. Maurice étant encore une colonie britannique, elle n’a, par conséquent, pas vraiment eu son mot à dire. Pour Maurice, cette excision va à l’encontre des conventions des Nations unies.

Notons que le BIOT a vu le jour en 1965 et que Maurice ne l’a jamais reconnu. Dans les documents officiels, Maurice le nomme « the socalled BIOT ». La surface émergée des Chagos est de 60 km2. À elle seule, Diego Garcia fait 40 km2. Le réchauffement climatique avec la fonte des glaces qu’il entraîne est un danger immédiat, car le relief des îles n’est pas très élevé, avec une altitude moyenne de moins de deux mètres. Le point le plus haut se situe à Diego Garcia et culmine à 15 mètres. Le littoral fait 698 kilomètres de longueur et la zone économique exclusive conférée à l’archipel est de 636 600 km2.


Ces articles ont été publiés dans le magazine souvenir du Défi Media Group à l’occasion des 50 ans de l’Indépendance du pays.

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !