
Ils ont de 7 à 11 ans et sèment la peur dans les salles de classe et les cours de récréation. Depuis le début de l’année, 52 cas de harcèlement scolaire ont été recensés par le ministère de l’Éducation. Mais ce chiffre cache une sombre réalité : des enfants violents, des établissements impuissants et des familles à bout. Trois témoignages révèlent l’urgence d’agir…
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Le ministère de l’Éducation a enregistré 52 cas de bullying depuis janvier. Ce chiffre reflète une partie de la réalité, selon les professionnels du secteur. Car derrière les murs des établissements scolaires, certains enfants vivent dans la peur de leurs camarades devenus des agresseurs. Certains agissent en meute, d’autres seuls, mais tous mettent à mal le climat scolaire. Des cas récents illustrent l’ampleur du phénomène.
La semaine dernière, en voulant séparer des élèves après les heures de classes, un enseignant a été pris à partie. Il a reçu un coup violent à la tête. Ces derniers se demandent s’ils doivent intervenir en cas de bagarre.
Dans une école primaire de Quatre-Bornes, un garçon de 11 ans, inscrit en Grade 6, multiplie les comportements inappropriés. Il fume en classe, harcèle ses camarades en leur baissant leurs shorts et tourne en dérision son enseignante. La situation dégénère : l’enfant devient violent, frappant ses camarades. Une mère, dont deux enfants fréquentent l’établissement, lance un appel désespéré. « Il faut agir avant qu’un drame ne survienne. »
Fracasser des têtes
Depuis avril, une école primaire du sud est confrontée à un cas extrême. Un élève de Grade 4, déjà expulsé d’un autre établissement, terrorise les élèves et les enseignants. Il aurait agressé plusieurs camarades, lancé une chaise sur son institutrice et blessé des enfants avec une lame de taille-crayon. Il menace régulièrement ses pairs, promettant de « leur fracasser la tête avec un marteau ». Il aurait même coupé les cheveux d’une fillette pour la punir.
Malgré les interventions de la direction, de la Child Development Unit (CDU) et de psychologues, les mesures prises ne suffisent pas. Une réunion le 24 mai avec les autorités a débouché sur des ajustements : surveillance accrue, activités encadrées, transfert de classe. Mais à la reprise, les violences ont recommencé.
Le ministère, limité par la loi, ne peut exclure l’enfant. Il tente de concilier droit à l’éducation et sécurité des autres élèves. Des consultations sont en cours avec l’Attorney General pour combler le vide juridique et créer des structures adaptées.
Agression et hospitalisation
Dans une école à Beau-Bassin, un écolier est régulièrement agressé par un camarade depuis l’année dernière. Coups dans les parties intimes, blessures au genou et menaces. Le 14 juillet, il reçoit un violent coup de pied dans les toilettes. Une visite à l’hôpital révèle une inflammation de l’appendice nécessitant une opération en urgence.
La mère est convaincue que le coup a aggravé l’état de son fils. Elle dénonce l’inaction des autorités malgré ses multiples alertes. « On me dit que l’enfant est suivi par un psychologue, mais il continue de frapper. » Elle évoque un épisode glaçant : l’élève aurait brandi un couteau pris dans la salle des employés pour menacer ses camarades.
« Mon fils a failli y laisser la vie. Je veux qu’il soit en sécurité. Ce n’est pas à moi de le retirer, c’est aux autorités d’agir », indique la mère. Dans ce cas, des parents ont manifesté devant l’enceinte de l’école, réclamant une prise en charge des autorités.
Face à cette montée de violence, le ministère de l’Éducation a lancé une série d’ateliers à Phoenix, le 19 août, pour bâtir un cadre national de prévention. Recteurs, psychologues, enseignants et administrateurs sont invités à réfléchir aux meilleures pratiques.
Un guide de référence, élaboré par des spécialistes, sera distribué pour adapter les interventions aux réalités du terrain. Le ministère vise 10 000 membres de la communauté éducative formés et une rencontre avec les parents est prévue pour le 13 septembre.
« Nous avons les moyens d’agir, mais chaque cas est unique », rappelle Preetam Mohitram, porte-parole du ministère.
Réforme
Pour le Dr Anjali Boyramboli, psychologue et universitaire, il est urgent de revoir les postures collectives. « Un seul enfant a tout bouleversé, mais qui est réellement en faute ? », demande-t-elle. Elle propose une réflexion qui dépasse le cadre individuel pour questionner l’ensemble des structures en place.
Depuis plusieurs mois, des enseignants, des parents, des camarades, des psychologues et des éducateurs et la Child Development Unit (CDU) tentent de répondre à une situation qui ne cesse de se détériorer.
Malgré les efforts déployés, aucune solution durable n’a émergé. « Faut-il pointer du doigt un seul enfant ? Ou devons-nous interroger nos lois, nos pratiques, nos institutions, et même nos propres aveuglements collectifs ? », ajoute le Dr Anjali Boyramboli.
Selon elle, les causes sont profondes et s’inscrivent dans une décennie de fragilisation du système. Elle évoque :
• Des lacunes dans la législation et la politique éducative, sans dispositions claires pour gérer les cas extrêmes.
• Un manque de coordination entre les secteurs de l’éducation, de la justice et de la protection de l’enfance, qui fonctionnent encore trop en silos.
• Une surresponsabilisation de l’école, devenue le seul lieu de prise en charge, sans relais spécialisés.
Professionnels sous pression
Les psychologues, travailleurs sociaux et éducateurs de la CDU sont en première ligne. Mais leurs moyens et leurs formations sont-ils à la hauteur des défis actuels ? Dr Anjali Boyramboli pose une question dérangeante. « Ces professionnels bénéficient-ils d’une formation continue, de supervision et d’un accompagnement adapté à la complexité croissante des situations ? »
Elle insiste sur l’importance du développement personnel et professionnel constant pour répondre aux besoins des enfants en souffrance.
Solutions
Face à ce constat, plusieurs pistes d’action sont proposées.
1. Réformer la législation pour introduire des mesures flexibles : retrait temporaire, scolarité alternative, unités spécialisées.
2. Créer des centres adaptés aux enfants présentant des troubles de comportement sévères.
3. Mettre en place un suivi pluridisciplinaire permanent.
4. Renforcer le soutien aux enseignants : assistants pédagogiques, surveillants formés, protocoles de crise.
5. Développer la prévention et le dépistage précoce avec un accompagnement familial.
6. Rechercher un nouvel équilibre entre les droits de l’enfant et la sécurité des autres élèves.
Pour le Dr Anjali Boyramboli, l’affaire dépasse largement le cas d’un seul enfant. Elle révèle un vide systémique. « Lorsque nos structures échouent à accompagner un enfant en détresse, c’est tout un écosystème éducatif qui s’effondre. »
« L’enfant est-il le problème ou est-ce que c’est nous : adultes, institutions et société qui avons failli à notre mission de protection et de guidance ? »
Tant que l’approche ne change pas, chaque enfant en crise viendra mettre à l’épreuve notre système.

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