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Au-delà de la précarité : les rêves des enfants brisés

Habitant les quartiers de Roche-Bois, Sainte-Croix, Résidence La Cure et Petite-Rivière, ces enfants ne sont pas à l’abri des fléaux sociaux. Ils sont aussi souvent victimes de stigmatisation, de préjugés et de violence. Mais derrière leur situation de précarité et de détresse, se cachent des rêves qui ne demandent qu’à éclore. 

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Deux ados rêvent de devenir chauffeurs de taxi. Une adolescente se voit devenir pâtissière, une autre souhaite devenir coiffeuse et la troisième aspire à travailler dans l’hôtellerie. Ces cinq enfants fréquentent l’école du jour de l’ONG Future Hope, à Sainte-Croix, qui leur offre un soutien scolaire et social essentiel pour un meilleur avenir. Parmi les bienfaiteurs financiers de cette ONG, on retrouve Les Moulins de la Concorde, Lottotech, ENL et le groupe Beachcomber Hotels, entre autres. 

Ces enfants, malgré les obstacles auxquels ils sont confrontés dans leur environnement familial, ne cessent de croire en leur potentiel. Leurs rêves sont modestes mais pleins d’espoir et de détermination. Malgré leur jeune âge, ils ont compris que leur situation actuelle ne doit pas définir leur avenir et qu’ils ont le pouvoir de changer le cours de leur vie et celle de leur famille. Et que pour y arriver, ils doivent apprendre à gérer leurs émotions. Et leurs souffrances.

Le temps d’un cercle de parole élargi, quelques enfants bénéficiaires de l’ONG Future Hope nous partagent leurs histoires. Cette activité leur permet de s’exprimer librement en présence de leurs accompagnateurs. 

En premier, nous faisons la connaissance d’un adolescent. Il a 14 ans. Lorsque nous lui demandons son nom, il ne répond pas. Workshop Facilitator pour l’ONG, Jamel Colin nous explique que cet enfant a des difficultés à comprendre nos questions à cause d’une infection à l’oreille qui affecte son ouïe. Nous apprenons qu’il a été renvoyé de son ancien établissement scolaire après une bagarre et que sa mère l’a placé à l’école du jour de Future Hope en janvier 2023. 

« Des efforts considérables ont été déployés pour comprendre le vécu de cet enfant et l’aider à vaincre sa timidité », indique l’animateur. À l’école du jour de Future Hope, il apprend les alphabets et a récemment développé un intérêt pour les mathématiques. « Quand il sera plus grand, il souhaite devenir mécanicien », poursuit Jamel Colin. 

Cependant, la situation de cet enfant n’est pas unique. De nombreux enfants qui fréquentent l’ONG Future Hope ont des histoires similaires de difficultés scolaires, sociales et familiales. 

« Si dir sa la, mo pou plore… »

À son tour, une adolescente de 15 ans partage son vécu. Elle avait deux ans lorsque ses parents se sont séparés. « Je me cachais sous le lit lorsque mon papa battait ma maman. Il lui donnait des coups de poing et des coups de pieds. Parfois, je courais pour aller chercher quelqu’un pour sauver ma maman », confie-t-elle. 

Elle est convaincue que c’est la violence qui a détruit sa famille. « Mon père est en prison. Depuis que je suis petite, les problèmes n’en finissent pas et je ne réussissais jamais dans mon apprentissage à l’école. J’échouais à mes examens. » 

Face à la souffrance, l’adolescente raconte qu’elle a plusieurs fois essayé de mettre fin à sa vie. Elle retire son pull et nous montre ses bras remplis de cicatrices. « Je me suis fait ça avec la lame de mon aiguisoir. » Des larmes perlent dans ses yeux. « Ankor kiksoz inn ariv mwa me si mo dir sa la, mo pou plore », dit-elle d’une voix brisée par la douleur. 

Nous ne lui en demandons pas plus. Son accompagnateur nous apprend qu’elle a été victime d’un viol lorsqu’elle avait 10 ans. 

Lorsque nous lui demandons comment se passe la classe ici, elle répond : « Je me sens à l’aise. Je peux m’exprimer et mieux gérer mes émotions. » Cette fille qui fréquente l’ONG Future Hope depuis 2019 confie que son plus grand rêve est de devenir coiffeuse. 

La rebelle de la classe 

Cheffe de meute, tant pour les plaisanteries que pour lutter contre les injustices, cette autre jeune fille est la rebelle de la classe. Elle a 15 ans. En fréquentant l’ONG Future Hope, elle a développé un intérêt pour le slam. « Tu nous en fait un ? » lui demandons-nous. « Surtout pas ! » réplique-t-elle en feignant un air timide. 

Comment a-t-elle atterri à l’école du jour ? Elle explique que son école était trop loin et qu’elle était fatiguée de voyager tous les jours. « C’est vraiment la raison pour laquelle tu as quitté l’école ? » l’interrogeons-nous. Elle sourit et enchaîne en disant qu’après les heures de classe, elle ne rentrait pas à la maison mais descendait à un arrêt d’autobus pour quelques minutes, avant de reprendre un autre autobus pour rentrer chez elle. « C’était pour voir des garçons ? » taquinons-nous. Elle éclate de rire et lance : « Bien sûr que non. » 

Nous n’insistons pas, elle n’a clairement pas envie d’en parler. Son rêve est de travailler dans le monde de l’hôtellerie. Quel métier ? « Ninport ki zafer me pouvi dan lotel. » 

« Mo pa anvi res lor sime ek vinn fou… »

Nous rencontrons un autre adolescent de 15 ans. Il a une bague au doigt. « Tu es marié, toi ? » plaisantons-nous. « Non », dit-il, tout timide. Pourquoi cette bague ? « C’est celle de ma mère. Elle l’a enlevée avant de prendre sa douche. Je l’ai trouvée et je l’ai mis à mon doigt puis j’ai oublié de la retirer », avoue-t-il. 

« Ouais, c’est ça. Avoue que tu as une copine », insistons-nous. Il secoue la tête et sourit, puis admet qu’il a une petite amie. Nous éclatons tous de rire. 

L’adolescent explique qu’il a atterri à l’ONG Future Hope après une bagarre dans son ancienne école, lors de laquelle il a blessé son enseignante qui était enceinte. En raison de la gravité de la situation, il a été suspendu. « J’ai présenté des excuses, je ne voulais pas la blesser », confie le gamin dont le père est en prison pour trafic de drogue. 

Son rêve ? « Mo pa anvi res lor sime ek vinn fou. Mo anvi vinn mekanisien ek al travay Dubai. » Nous apprenons que lorsqu’il a débarqué à l’ONG Future Hope, il utilisait un langage « fleuri ». « Nous avons travaillé avec lui pour qu’il apprenne le respect. Cela se passe bien depuis. Bref, il dit toujours des gros mots ici et là, mais contrairement à avant, il s’excuse par la suite. Nous l’aidons aussi pour gérer sa colère en lui donnant l’espace pour s’exprimer et comprendre la source d’un tel comportement », affirme Jamel Colin. 

Ce ne sont que quelques exemples du vécu de ces enfants brisés par les aléas de la vie. N’empêche, malgré les défis, ces enfants ont un immense potentiel et des rêves qui ne demandent qu’à se concrétiser. Selon Jamel Colin, leur offrir un accompagnement scolaire et social est crucial pour les aider à atteindre leur plein potentiel.

Saviez-vous que ?

  • L’accompagnement scolaire et social des enfants vivant dans la précarité ainsi que de leur famille est crucial pour plusieurs raisons : 
  • Les enfants issus de milieux défavorisés ont souvent un accès limité à l’éducation et aux ressources pédagogiques.
  • Un accompagnement scolaire leur permet de combler ces lacunes et de bénéficier d’un soutien individualisé pour réussir leur scolarité.
  • L’accompagnement social leur permet de trouver des solutions à leurs problèmes et de développer leur confiance en eux.
  • Un accompagnement scolaire et social peut aider à briser le cercle vicieux de la pauvreté en fournissant aux enfants les outils et les compétences nécessaires pour réussir leur vie future. 
  • En offrant des opportunités égales et un soutien adéquat, nous pouvons aider les enfants vivant dans la précarité à réaliser leur plein potentiel et à devenir des membres productifs et épanouis de la société.

Marie-Noëlle Ramdeen, directrice de l’ONG Future Hope : «Pa akoz zot res dan site ki sa bann zanfan-la pena enn lavenir»

marieIl est important de ne pas stigmatiser mais d’offrir des opportunités égales aux enfants vivant en situation de précarité afin de leur permettre d’atteindre leur plein potentiel. C’est ce qu’affirme Marie-Noëlle Ramdeen, directrice de l’ONG Future Hope. 

Depuis sa création en juin 2013, l’ONG accompagne des enfants âgés entre 5 et 18 ans dans ses quatre centres à Roche-Bois, Sainte-Croix, Résidence La Cure et Petite-Rivière. Elle accompagne aussi leurs familles. À ce jour, les bénéficiaires sont au nombre de 185 enfants et 110 familles. 

L’ONG a pour mission d’offrir à ces enfants un environnement sûr et stimulant pour apprendre et grandir, ainsi qu’une aide pour développer leurs compétences sociales et émotionnelles. « Ces enfants méritent notre respect, notre attention et notre aide. Il est de notre devoir de les soutenir et de les aider à réaliser leurs rêves. Leur avenir est notre avenir. »

Même si ces enfants sont brisés par les fléaux de la vie, ils ont des rêves qui les maintiennent en vie, souligne Marie-Noëlle Ramdeen. « Stigmatiser ces enfants vivant en situation de précarité peut avoir des effets néfastes sur leur estime de soi, leur confiance en eux et leur développement émotionnel et social. Ces enfants ont des rêves, des aspirations et des talents qui méritent d’être nourris et encouragés. Il est de notre responsabilité collective de veiller à ce qu’ils aient les mêmes chances et opportunités que les autres enfants, indépendamment de leur milieu social ou de leurs origines », fait-elle ressortir.

Ces enfants ont des rêves simples, comme avoir une maison décente, manger à leur faim tous les jours, fonder une famille et avoir un métier pour subvenir aux besoins des leurs. « Ils sont une source d’inspiration pour nous tous. Leur courage, leur détermination et leur résilience sont des exemples de ce que l’humanité a de meilleur à offrir. » 

Il est important de comprendre que les enfants vivant en situation de précarité ne sont pas responsables de leur situation, ajoute la directrice de l’ONG. « Ils ne choisissent pas de vivre dans la précarité et ne devraient pas être blâmés ou jugés pour cela. Nous devrions plutôt travailler ensemble pour lutter contre les inégalités sociales et trouver des solutions pour améliorer leur vie. Nous devons les encourager à réaliser leurs rêves et à contribuer positivement à la société. » 

L’accompagnement scolaire 

Du lundi au vendredi, l’école du jour de l’ONG Future Hope, qui a ouvert ses portes à Sainte-Croix en 2019, se tient de 9 à 14 heures. Les enfants bénéficiaires se rendent sur place dès 8 heures ; un petit-déjeuner leur est offert tous les matins. 

L’accompagnement scolaire se fait en fonction des difficultés des bénéficiaires, indique Marie-Noëlle Ramdeen. Le premier break est à 9 h 15. À 9 h 30, ils suivent des classes d’alphabétisation ou participent à des activités pédagogiques jusqu’à 11 h 15. 

Puis, ils préparent la table pour le déjeuner qui leur est servi tous les jours. Pour remercier les personnes qui ont cuisiné le repas, ils disent la prière en chanson. À 12 h 30, ils font la vaisselle. Chacun lave son plat, sa cuillère et son gobelet. 

Après, ils passent aux activités extra-scolaires jusqu’à 14 heures. Les mardis, ils font du sport avec une équipe du Mauritius Sports Council sur un terrain synthétique à Résidence Briqueterie. Après le déjeuner, Lansley Henri, dit Kong, leur apprend à jouer de la musique. Les vendredis, ils regardent des films choisis par leurs accompagnateurs. Tout juste après, ils participent à un débat axé sur le film visionné. De temps en temps, dépendant des moyens financiers, ils font aussi des sorties pédagogiques. 

Le soutien scolaire pour les enfants de la région se tient de 16 heures à 17 h 30 en été et de 16 heures à 17 h 10 en hiver. Les bénéficiaires sont sur place à 15 h 30 pour le goûter. « Nous aidons aussi des familles à trouver une école adaptée à leurs enfants. Nous les canalisons, d’autre part, pour les démarches administratives pour s’enregistrer au Social Register of Mauritius (SRM) ainsi que pour avoir accès aux services de l’État dont les familles vivant dans la précarité ne connaissent pas l’existence. Nous les accompagnons aussi pour des suivis médicaux etc. »

#MeTooCoséFami230 à Maurice 

À la suite de l’affaire Harvey Weinstein, un ex-producteur déchu d’Hollywood, le mouvement social Me Too a débuté en 2017. Il encourage la prise de parole des femmes victimes de viol et d’agression sexuelle. Depuis le 15 avril 2023, le mouvement #MeToo à Maurice est connu sous le nom de « Cose Fami 230 ». 

Le projet a été présenté au centre de l’ONG Future Hope. L’objectif est d’encourager les victimes de violences intrafamiliales et d’inceste à briser le tabou autour de ce sujet. « Il s’agit d’une première qui pourrait aider de nombreuses personnes à libérer la parole. Nous menons ce projet avec le soutien de l’association réunionnaise Ecoute-moi, Protège-moi et Aide-moi (EPA), qui aide les enfants en danger dans le cadre de violences intrafamiliales », indique Marie-Noëlle Ramdeen. Il s’agit d’un outil de libération de la parole anonyme – écoute, orientation et accompagnement en message privé – qui sera porté par l’ONG Future Hope. Plus de détails sur la page Facebook Me Too Cose Fami 230.


Makadam Phylozophy - Jamel Colin, Workshop Facilitator à l’ONG Future Hope : «La vie ne doit pas leur briser les ailes»

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Chaque problème a une solution si l’humain dispose des meilleurs outils et des opportunités pour la trouver. Jamel Colin, facilitateur d’ateliers à l’ONG Future Hope depuis 2018, en est convaincu. L’habitant de Sainte-Croix affirme qu’étant issu d’un milieu modeste, il a été grandement influencé par des « role models » pour réussir son parcours de vie. À travers la « Makadam Phylozophy », il aide les enfants de l’ONG Future Hope à avancer. 

C’est une philosophie de vie selon laquelle chaque problème a une solution, il ne tient qu’à nous de la trouver. Elle est enseignée de façon ludique aux enfants, dit-il. Comme les enfants ont des difficultés avec les alphabets, des icônes et des images indiquant plusieurs aspects de la vie, tels que l’estime de soi et la gestion des émotions etc. sont utilisées. 

L’atelier « Makadam Phylozophy » a été étalé sur toute l’année pour permettre aux enfants d’en bénéficier dans son intégralité. Avec les mêmes outils, Jamel Colin forme également les autres encadreurs de l’ONG afin qu’ils puissent aider davantage les bénéficiaires dans leur apprentissage.

Pour gérer les conflits, Jamel utilise l’art comme arme, son domaine de compétences. Pour travailler avec ces enfants, il souligne l’importance de gagner leur confiance, d’être à leur écoute et de répondre aux questions des « teens » qui semblent être perdus dans ce monde où le numérique gagne du terrain et où un simple clic permet de voyager d’un point à l’autre pour consommer tout ce qui nous tombe sous la main : amitié, amour etc. 

« Nous faisons aussi des jeux avec eux pour leur rappeler l’importance du respect et d’autres valeurs, tels que le fait d’attendre son tour avant de parler etc. Nous faisons des jeux de mémoire comme l’abécédaire ou le Tic-Tac-Boom pour les aider au niveau de la concentration et pour réveiller le côté créatif de l’enfant. »

Et en cas de situations difficiles ? « Nous organisons des séances individuelles ou en groupe. La confiance des parents est également bénéfique pour obtenir des résultats concrets. »

Les ateliers « Makadam Phylozophy » ont été une évolution majeure des ateliers de slam et d’expression. Fin 2017, après six années de collaboration avec une passionnée de slam diplômée en sociologie de l’université de Maurice, Jamel Colin a décidé de poursuivre sa voie seul afin d’initier d’autres personnes à la « Makadam Phylozophy ». 

Pourquoi Makadam ?

poisson

Jamel Colin explique que le terme « Makadam » est familier au monde de la construction. Makadam est un proverbe qui signifie problème. Ainsi chaque caillou transformé est une victoire sur les maux de la vie, dit-il. Il déclare également que comme nous avons tendance à nous approprier des problèmes qui ne nous appartiennent pas, c’est ce qui peut rendre la vie difficile. En utilisant l’art comme outil, nous pouvons ainsi briser les murs qui nous séparent du monde extérieur et améliorer la communication avec soi-même et les autres. La solution, fait-il ressortir, se trouve souvent dans le problème lui-même. 

Mission humanitaire à Maurice  - Lena de France : «Une magnifique aventure humaine»

lenaLena, étudiante en Sciences politiques venue de France, a choisi de faire une année internationale différente en s’engageant en tant que bénévole auprès de l’ONG Future Hope à Maurice. Après deux mois passés sur place, elle est ravie de l’expérience qu’elle vit. 

Lena travaille à donner une visibilité internationale à l’ONG en se concentrant sur les relations internationales et la communication. Elle travaille également avec les enfants de l’ONG, qui lui apprennent beaucoup sur leur culture et leur façon de fonctionner, dit-elle. En retour, elle leur apporte sa propre culture et ses connaissances.

Les débuts n’ont pas été faciles, confie Lena. Les enfants n’avaient pas confiance et cherchaient à la tester. A force de douceur et de persévérance, elle a su créer des liens avec eux. Ils rigolent ensemble en dehors des temps de classe et Lena apprécie particulièrement cette aventure humaine. 

Elle ne prétend pas changer leur vie, mais espère leur apporter quelque chose de différent en plus du soutien solide et bienveillant quotidien de l’équipe de l’ONG Future Hope. « Nous sommes tous différents dans notre manière d’être et de faire les choses. C’est une expérience qui restera à vie même si nous allons faire quelque chose de différent comme métier », dit Lena. 

Les autres jeunes bénévoles qui sont actuellement en mission humanitaire à l’ONG Future Hope sont Clara, Nicolas, Joséphine et Théodore. 

 

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