Interview

Anushka Virahsawmy: «Il y a un gros travail à faire pour changer les mentalités»

Elle estime qu’il ne faut pas se limiter à faire amender et voter des lois. Pour Anushka Virahsawmy, Country Manager de Gender Links, il faut renforcer le partenariat entre le gouvernement et les Ong, mais aussi sortir des systèmes de pensée « hyper-archaïques ».

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Le gouvernement compte bientôt amender la Protection from Domestic Violence Act pour que la violence domestique soit considérée comme un aggravated offence. Qu’en pensez-vous ? J’ai d’abord pensé que c’était une bonne décision. Mais ensuite, en y réfléchissant, je me suis posé des questions sur la façon dont cela va se faire. Qui va être emprisonné et qui ne le sera pas ? Il y a la loi et l’esprit de la loi. À Maurice, nous avons de très bonnes lois qui ont été votées dans un contexte donné. Mais ces lois sont-elles appliquées ?

Il faut bien commencer quelque part ? Je suis d’accord. Mais soyons réalistes. À Maurice, combien de femmes ont été agressées alors qu’elles bénéficiaient d’un protection order ? Combien sont mortes alors qu’elles étaient censées être sous protection ? Il ne faut pas se limiter à faire amender et voter des lois. Il faut aussi réfléchir sur les procédures mises en place pour que la loi, quelle qu’elle soit, soit appliquée dans toute sa rigueur.
[blockquote]« La féminisation de la pauvreté est un fait. On ne peut se voiler la face »[/blockquote]

Est-ce que Gender Links peut aider dans cet exercice de réflexion ? Nous sommes une Organisation non gouvernementale (Ong) et, en tant que telle, nous sommes libres de nous exprimer. Et nous avons dit ce qu’il fallait. J’estime qu’il est du devoir des autorités de prendre en considération l’avis de tous les partenaires concernés par ce problème. Nous avons une responsabilité collective. Le ministère a tellement à faire et les employés sont pris dans la paperasse. Nous, nous sommes sur le terrain et nous voyons ce qui se passe. Vous doutez de la capacité du ministère de changer la donne ? Seul, le gouvernement ne pourra combattre la violence domestique. Il faut une structure appropriée. Déjà, Gender Links travaille beaucoup avec le ministère de tutelle sur des questions spécifiques. Mais il faudrait davantage de réunions. Il faut arrêter de dire « on va faire, il faut faire ». Entre dire et faire, il y a une grosse nuance. Dans le cas d’une loi, il faut un suivi constant pour évaluer son efficacité. Ceci étant dit, quelle est la situation de la Mauricienne valeur du jour ? Nous sommes dans une société patriarcale et certaines femmes pensent toujours qu’elles doivent rester soumises. Il y a un gros travail à faire pour changer les mentalités. Je table beaucoup sur la jeunesse, car elle réfléchit, elle donne de la voix et elle va ouvrir la voie. Je ne peux m’empêcher de penser aux Népalaises, qui sont un exemple pour toutes les sociétés. Elles sont présentes à plusieurs niveaux et ont une intégrité qui interpelle. C’est pourquoi je dis qu’il y a de l’espoir pour la Mauricienne. Quid du rapport de la Banque mondiale sur la situation de la femme ? C’est un rapport qui m’a fait froid dans le dos. Cela a été un choc. Il y a un problème immense. Pourquoi ? Parce que la femme n’est considérée comme bonne qu’à faire les travaux les plus bas ! On ne crée de l’emploi que pour les femmes au bas de l’échelle. On ne peut continuer à penser que les femmes ne valent rien. Pourtant, c’est un fait que les jeunes filles font mieux que les garçons au collège. Mais très peu d’entre elles vont au-delà d’un certain niveau. Elles font des choix souvent non-informés. Dans un couple, l’aspiration de chacun compte. Il y a devoir, oui. Mais il y a aussi le respect de l’aspiration de l’autre, le mari ou la femme. Maurice fait très pâle figure dans le rapport annuel du Forum économique mondial, étant notamment à la 120e place. Elle doit sa très mauvaise place principalement à la maigre participation économique et les opportunités des femmes dans ce domaine… Pour que les femmes arrivent au Top Management, il faut faire l’éducation des décideurs. Il faut plus de transparence dans l’exercice de sélection. La femme n’est pas moins méritante qu’un homme. Mais on pense qu’elle coûte davantage qu’un homme, car elle a aussi des responsabilités familiales. Une femme qui accouche est un liability plutôt qu’un asset pour une compagnie ! Tout n’est qu’une question d’attitude. Que faut-il faire pour changer cette mentalité ? Il faut de la discrimination positive. Il faut donner l’encadrement approprié à la femme pour qu’elle puisse s’épanouir dans son travail. Une femme n’est pas moins performante qu’un homme. Ce n’est pas une question d’égalité mais de différence. Il faut sortir des systèmes de pensées hyper-archaïques. À travail égal, salaire égal. Pourquoi le secteur privé résiste toujours à la mise en place de ce principe ? C’est là où le bât blesse. C’est une situation injuste pour les femmes. Heureusement, il y a des instances telles l’Equal Opportunities Commission. Les femmes doivent élever la voix. Si elles restent dans leur coin, leur situation ne changera pas. Au final, l’égalité entre l’homme et la femme ne serait qu’un slogan creux ? C’est une réalité qui devient de plus en plus problématique à Maurice. C’est un problème d’attitude et d’éducation. Parfois, ce sont les femmes elles-mêmes qui jettent les armes ; elles deviennent défaitistes. Il faut sortir de ce cycle malsain. Concernant la politique, êtes-vous pour un système de quota qui permettrait à davantage de femmes de se jeter dans l’arène ? Oui, je suis pour un quota. Mais je pense aussi qu’il y a un travail à faire en amont pour assurer la qualité des candidates. Ce principe s’applique aussi aux hommes. Il y a tout un travail à faire pour changer la mentalité des hommes à l’égard des femmes qui entrent en politique. La féminisation de la pauvreté est un phénomène qui prend de l’ampleur… C’est un fait. On ne peut se voiler la face. On doit crever l’abcès et soigner la plaie même si on hérite d’une cicatrice. Pourtant la tendance ici, c’est de cacher cet abcès avec du sparadrap pour ne pas montrer la laideur du problème. Ce n’est pas une solution. La pauvreté ne se limite pas à un mot, c’est une situation. Il faut travailler ensemble pour trouver des solutions. La semaine prochaine, nous célébrons La femme… Y a-t-il de bonnes raisons pour le faire ? La femme doit être célébrée tous les jours. Mise dans son contexte historique, cette célébration a beaucoup d’importance. Je pense qu’il faut rappeler et comprendre pourquoi on célèbre cet événement.


 

Riche carrière

Agée de 44 ans, Anushka Virahsawmy est Country Manager et Regional Training Manager de Gender Links. Elle a succédé à sa mère, Loga Virahsawmy, à la tête de cet organisme qui milite pour l’égalité des genres et contre la violence domestique et la violence basée sur le genre. Durant sa carrière, Anushka Virahsawmy a travaillé en Angleterre, en Grèce, au Burkina-Faso, en Côte d’Ivoire ainsi qu’en Afrique du Sud.

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