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Algues envahissantes : nos plages au bord d’un précipice écologique

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Mont-Choisy, Palmar et Flic-en-Flac ont été gravement touchées par l’eutrophisation causée par une surcharge en nutriments dans nos lagons. Les excès d’algues Ulva Reticulata, comme des tapis verts géants, envahissent nos plages et étouffent l’écosystème côtier. Dans une interview accordée à Le Dimanche/L’Hebdo, le Dr Nadeem Nazurally, Professeur associé en Sciences maritimes à l’Université de Maurice, nous éclaire sur les causes, conséquences et solutions face à cette crise environnementale.

Questions au…

Dr Nadeem Nazurally, expert en sciences maritimes : « Réduire la pollution est crucial pour stopper l’eutrophisation » 

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Le Dr Nadeem Nazurally, Professeur associé en Sciences maritimes à l’Université de Maurice.

Qu’est-ce qui explique ce phénomène d’algues envahissantes sur nos plages ?
Les récentes proliférations d’algues sur les plages de Mont-Choisy, Palmar et Flic-en-Flac peuvent être expliquées par plusieurs facteurs. Premièrement, des niveaux élevés de nutriments dans l’eau peuvent favoriser la croissance des algues. Les changements saisonniers et les températures plus chaudes de l’eau peuvent également encourager une croissance rapide des algues. De plus, des modifications des courants océaniques ou des vents peuvent transporter des algues d’autres zones vers ces plages. 

Des facteurs locaux tels que la sédimentation due au développement côtier ou à l’érosion peuvent également contribuer au problème. Par exemple, les récentes activités de construction massive dans la région de Mont-Choisy pourraient avoir contribué à cette prolifération d’algues.

Les changements climatiques sont une autre explication ?
Des températures océaniques plus élevées dues aux changements climatiques créent des conditions idéales pour la prolifération des algues. Les événements météorologiques extrêmes liés aux changements climatiques peuvent également entraîner un ruissellement accru de nutriments dans l’océan. 

L’eutrophisation cause la prolifération des algues. Est-ce dangereux ?
Oui, elle peut être dangereuse. L’eutrophisation est l’enrichissement excessif des masses d’eau en nutriments tels que l’azote et le phosphore, entraînant une croissance rapide des algues. Dans les écosystèmes marins, elle provoque une croissance excessive des algues, ce qui peut réduire la clarté de l’eau et bloquer la lumière nécessaire aux autres plantes aquatiques. Lorsque les algues meurent et se décomposent, elles consomment de l’oxygène dans l’eau, créant des conditions à faible teneur en oxygène qui peuvent nuire ou tuer les poissons et d’autres formes de vie marine. 
De plus, certaines algues produisent des toxines qui peuvent être nocives à travers les fruits de mer ou l’eau contaminée. Cette perturbation affecte l’ensemble de l’écosystème, pouvant entraîner une réduction de la biodiversité et des effets néfastes sur les organismes marins et sur la santé humaine.

Les récentes activités de construction massive dans la région de Mont-Choisy pourraient avoir contribué à cette prolifération d’algues»

Quels sont les principaux facteurs contribuant à l’eutrophisation ?
Le ruissellement excessif de nutriments provenant des engrais agricoles et des eaux usées non traitées, les domaines de golf ainsi que les activités de construction massive qui détournent l’eau vers la mer, introduisent des niveaux élevés d’azote et de phosphore dans les environnements marins. La pollution urbaine, l’érosion côtière, la déforestation et les changements climatiques sont également des facteurs. Les activités liées au tourisme et une gestion inadéquate des déchets peuvent encore aggraver le problème, entraînant des proliférations excessives d’algues qui impactent la qualité de l’eau et les écosystèmes côtiers.

Comment les nutriments comme l’azote et le phosphore affectent-ils la croissance des algues dans nos océans ?
Ces nutriments agissent comme des engrais pour les algues, favorisant leur croissance rapide et leur prolifération. Lorsque l’excès d’azote et de phosphore pénètre dans l’eau, il stimule les algues à croître plus rapidement et plus densément.

Quels sont les impacts écologiques de l’eutrophisation sur les écosystèmes marins ?
L’eutrophisation impacte les écosystèmes marins et les plages en réduisant la biodiversité car la croissance excessive des algues bloque la lumière du soleil et nuit aux plantes aquatiques. La décomposition de ces algues épuise l’oxygène dans l’eau, ce qui peut tuer les poissons et d’autres formes de vie marine. Certaines algues produisent des toxines nocives pour les organismes marins et pour les humains. 

Sur les plages, les proliférations d’algues peuvent altérer les habitats et dégrader la qualité des zones récréatives tant visuellement qu’à cause de leur mauvaise odeur. De plus, l’eutrophisation perturbe les chaînes alimentaires marines, affectant l’équilibre entre les producteurs, les herbivores et les prédateurs.

Comment la mer rejette-t-elle ces excès d’algues sur nos plages ?
Les vagues et les courants déplacent physiquement les algues du fond marin ou d’autres surfaces et les emportent au large, tandis que les marées hautes entraînent les algues sur le rivage. Ce phénomène est généralement observé lors des proliférations d’algues.

Les activités humaines telles que l’agriculture et l’industrie, influencent considérablement l’eutrophisation des algues»

Comment les activités humaines influencent-elles l’eutrophisation ?
Les activités humaines telles que l’agriculture et l’industrie, influencent considérablement l’eutrophisation des algues. En agriculture, l’utilisation d’engrais riches en azote et en phosphore peut entraîner un ruissellement de nutriments vers les rivières et les océans, favorisant une croissance excessive des algues. L’érosion des sols provenant des terres agricoles peut également transporter des nutriments et des sédiments supplémentaires vers les eaux côtières. Les activités industrielles contribuent en déchargeant des déchets et des polluants contenant des nutriments dans les systèmes aquatiques. Ces excès de nutriments stimulent une croissance rapide des algues, entraînant des proliférations qui perturbent les écosystèmes marins.

Quels sont les signes visibles d’eutrophisation sur les plages ?
Les signes visibles d’eutrophisation sur les plages incluent des proliférations algales importantes qui peuvent apparaître sous forme de tapis verts, bruns ou rouges flottant sur l’eau ou échoués sur le rivage. L’eau peut devenir trouble en raison de la densité des algues, et il peut y avoir des accumulations d’algues mortes ou en décomposition le long de la côte. De plus, des odeurs désagréables provenant des algues en décomposition et la présence de poissons ou d’autres formes de vie marine mortes peuvent indiquer une déplétion d’oxygène dans l’eau.

Quels effets l’eutrophisation peut-elle avoir sur la qualité de l’eau et la santé humaine ?
Certaines proliférations algales produisent des toxines nocives qui peuvent contaminer l’eau potable et les produits de la mer, présentant des risques pour la santé humaine. Ces toxines peuvent provoquer divers problèmes de santé, notamment des troubles gastro-intestinaux, des problèmes respiratoires et des effets neurologiques. De plus, le processus de décomposition des proliférations algales peut libérer des gaz dangereux comme le sulfure d’hydrogène, qui a une odeur nauséabonde et peut être toxique à des concentrations élevées.

Quelles sont les méthodes actuelles pour contrôler l’eutrophisation ?
On utilise des technologies de télédétection, telles que les satellites et les drones, pour détecter et évaluer les proliférations algales. Des capteurs de qualité de l’eau en temps réel mesurent les niveaux de nutriments et les concentrations en oxygène pour identifier les signes précoces d’eutrophisation. Une gestion efficace des nutriments en agriculture, comme l’agriculture de précision, et l’utilisation contrôlée des engrais ainsi que la modernisation des installations de traitement des eaux usées pour réduire les décharges de nutriments, sont également essentielles. 

De plus, les technologies de contrôle des algues, y compris l’élimination physique et les traitements biologiques, aident à gérer les proliférations, tandis que la sensibilisation du public et les réglementations sur les décharges de nutriments soutiennent la prévention à long terme.

Un rendement élevé de biogaz peut être produit en utilisant des algues marines grâce aux techniques de digestion anaérobie»

Y a-t-il des mesures spécifiques que les communautés côtières peuvent adopter pour freiner l’eutrophisation ?
Les communautés côtières peuvent adopter des plans de gestion des nutriments pour l’agriculture afin de réduire les ruissellements. La modernisation des installations de traitement des eaux usées pour éliminer les nutriments en excès, et créer des zones tampons végétalisées pour filtrer les nutriments avant qu’ils n’entrent dans les masses d’eau, sont importants. 

L’amélioration de la gestion des eaux pluviales pour minimiser le ruissellement, l’application des réglementations pour limiter les décharges de nutriments, et la promotion de l’éducation publique sur la réduction de la pollution par les nutriments sont également cruciales. Ces actions aident collectivement à minimiser les apports de nutriments et à atténuer le risque d’eutrophisation. Les terrains de golf devraient être interdits près des zones côtières ou limiter leur utilisation d’engrais.

Quels sont les projets de recherche en cours pour mieux comprendre et gérer l’eutrophisation dans les zones côtières ?
Les projets de recherches et les initiatives actuels pour aborder l’eutrophisation des algues dans les zones côtières incluent des programmes de surveillance utilisant la télédétection et des capteurs in situ pour suivre les niveaux de nutriments et les proliférations algales. Les études de modélisation avancées visent à prédire les charges de nutriments et les modèles de croissance des algues, tandis que la recherche sur les technologies innovantes de réduction des nutriments se concentre sur l’amélioration du traitement des eaux usées et l’efficacité des zones tampons. Les projets de restauration des écosystèmes travaillent à restaurer les habitats côtiers tels que les herbiers marins et les zones humides pour améliorer la qualité de l’eau.

Comment les algues peuvent-elles devenir des nuisances ?
Les algues peuvent devenir des nuisances lorsqu’elles croissent de manière excessive, souvent en raison de niveaux élevés de nutriments, formant des tapis épais qui couvrent les plages et les zones côtières. Cela peut affecter l’attrait esthétique des plages et entraver les activités récréatives, impactant ainsi le tourisme et le loisir local. Lorsque les algues se décomposent, elles peuvent produire des odeurs désagréables et consommer de l’oxygène, créant des conditions hypoxiques nuisibles à la vie marine. De plus, les algues en décomposition peuvent libérer des toxines ou des substances nocives qui posent des risques pour la santé des humains et des animaux.

Comment se débarrasser de ces tapis d’algues envahissantes ? 
Les algues excédentaires peuvent être récoltées et, lorsque cela est approprié, compostées ou utilisées comme engrais dans des environnements contrôlés. Mais il est préférable, si possible, de les placer dans des trous creusés dans les plages de sable, ce qui est beaucoup plus efficace pour stabiliser l’érosion. La stabilisation du sable est cruciale pour prévenir l’érosion et maintenir l’intégrité des zones côtières. 

Un sable stabilisé aide à protéger les plages contre les dommages causés par les tempêtes et réduit la perte de sol/sable, préservant ainsi à la fois l’habitat naturel et les infrastructures humaines. Il soutient également les écosystèmes côtiers en fournissant un environnement stable pour les plantes et les animaux. Une bonne stabilisation assure la santé et la durabilité à long terme des environnements de plage et côtiers.

L’excès d’algues peut donc être utilisé comme fertilisants ?
Les algues excédentaires peuvent être utilisées comme fertilisant par compostage ou application directe après avoir suivi certaines étapes pour éliminer le sel. Le processus consiste à recueillir les algues, les préparer en les nettoyant et laisser l’eau de pluie éliminer l’excès de sel. Puis, les hacher. Ensuite, elles peuvent être soit compostées avec d’autres matériaux organiques, soit appliquées directement sur le sol. Le compostage crée un matériau riche en nutriments en décomposant les algues avec des microorganismes, ce qui peut ensuite être répandu sur le sol pour améliorer sa fertilité. 

L’application directe des algues comme paillis ou amendement du sol enrichit également le sol avec des nutriments essentiels. Cette approche permet de recycler les nutriments, de soutenir la croissance des plantes et d’aider à gérer les déchets de manière efficace. Une autre option est d’utiliser les algues pour produire du biogaz. Un article que j’ai publié en 2018 intitulé « Anaerobic Digestion of Fish Waste and Seagrass/Macroalgae: Potential Sustainable Waste Management for Tropical Small Island Developing States » révèle qu’un rendement élevé de biogaz peut être produit en utilisant des algues marines grâce aux techniques de digestion anaérobie.

L’utilisation des algues excédentaires comme fertilisant est pratiquée à Maurice ?
À Maurice, l’utilisation des algues excédentaires comme fertilisant n’est pas largement pratiquée. Seules des études à cet effet ont été réalisées.

Si nous n’agissons pas face à la prolifération des algues en excès liée à l’eutrophisation, que risquons-nous ?
Si aucune mesure n’est prise pour traiter les proliférations algales et l’eutrophisation, cela peut entraîner une dégradation sévère de la qualité de l’eau, nuire à la vie marine et perturber les écosystèmes. Les récifs coralliens peuvent être étouffés, entravant leur croissance et leur biodiversité. Cette situation peut également avoir des impacts négatifs sur le tourisme et les économies locales dépendantes d’environnements marins sains. L’inaction comporte des conséquences écologiques, économiques et sanitaires significatives.

Pour conclure cet entretien, quelles solutions, selon vous, face à cette crise environnementale ?
Pour traiter efficacement les proliférations algales et l’eutrophisation, il est nécessaire de réduire la pollution par les nutriments en améliorant les pratiques agricoles et en modernisant les installations de traitement des eaux usées. Améliorer la gestion des déchets pour prévenir le ruissellement des nutriments, restaurer les habitats naturels tels que les zones humides, et utiliser des technologies de surveillance pour suivre les niveaux de nutriments, sont également essentiels. La mise en œuvre et l’application de réglementations, la sensibilisation du public aux impacts de la pollution par les nutriments, et l’intégration de stratégies d’adaptation au climat pour gérer les effets des changements météorologiques peuvent aider à atténuer ces problèmes et à protéger les écosystèmes marins.

Les algues et leur rôle dans les écosystèmes marins

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Les algues appelées Seaweed.

Les algues Iva Fasciata ou Ulva Reticulata (Ribbon Seaweed) sont des organismes photosynthétiques diversifiés qui jouent un rôle crucial dans les écosystèmes marins. En tant que producteurs primaires, elles forment la base de la chaîne alimentaire marine, générant de l’oxygène et de la matière organique grâce à la photosynthèse. Ce processus fournit de la nourriture à une large gamme de vie marine, allant du zooplancton microscopique aux grands animaux marins. 

De plus, les grandes algues, telles que le varech (Sea Kelp), créent des forêts sous-marines complexes qui offrent habitat et abri à de nombreuses espèces marines, y compris les poissons, les invertébrés et les mammifères marins. 

Les algues participent également au cycle des nutriments, en particulier du carbone et de l’azote. En absorbant le dioxyde de carbone de l’atmosphère et de l’eau, les algues contribuent à la séquestration du carbone et à l’atténuation des effets des changements climatiques. Grâce à la photosynthèse, les algues produisent une part importante de l’oxygène de la Terre. De plus, elles améliorent la qualité de l’eau dans nos océans en absorbant les nutriments en excès, les polluants et les métaux lourds.

Différence entre les algues et les herbiers marins 

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Les herbiers marins appelés Seagrass.

Il est important de faire la différence entre les algues (Sea Weed) et les herbiers marins (Seagrass). Contrairement aux algues dites laitues de mer, un herbier marin est une plante à fleurs qui vit dans des environnements marins peu profonds, formant souvent des prairies denses sous l’eau. 

Les herbiers marins jouent un rôle essentiel dans la biodiversité marine en fournissant un habitat et de la nourriture à une variété d’organismes marins, notamment des poissons, des invertébrés et des tortues marines. Elles contribuent également à stabiliser le fond marin, à améliorer la qualité de l’eau en filtrant les polluants et à capturer ainsi que stocker le carbone. C’est ce qui favorise la santé et la résilience globales des écosystèmes marins. Ils participent également à la séquestration du carbone bleu, contribuant ainsi à la réduction du niveau global de dioxyde de carbone. 

Quel est l’impact de la prolifération des algues sur les herbiers marins ? Une croissance excessive des algues peut bloquer la lumière du soleil nécessaire à la photosynthèse des herbiers marins, réduisant ainsi leur développement et leur survie. Des tapis d’algues épais peuvent se former à la surface ou sur le fond marin, étouffant les herbiers marins. 

De ce fait, la prolifération d’algues empêche les échanges de gaz et de nutriments. Cela peut, à son tour, affecter la faune marine qui dépend des herbiers marins pour son habitat et sa nourriture. De plus, la décomposition des algues en excès peut libérer des toxines et consommer de l’oxygène, affectant les herbiers marins et la biodiversité marine dans son ensemble. 

Le concept « ce qui vient de la mer doit retourner à la mer » expliqué

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L’utilisation des ressources océaniques de manière responsable permettra de maintenir un environnement marin sain.

Le concept « ce qui vient de la mer doit retourner à la mer » signifie que les ressources prises dans l’océan, comme le poisson ou autres, devraient être retournées ou utilisées de manière à ne pas nuire à la mer. Ce concept souligne l’utilisation et la gestion durables des ressources maritimes. Il s’agit de veiller à utiliser les ressources océaniques de manière responsable et de maintenir un environnement marin sain. 

Est-ce le cas à Maurice ? Malheureusement, dans le pays, ce principe n’est pas toujours pleinement appliqué. Bien qu’il y ait des efforts pour gérer les ressources maritimes de manière durable, des défis subsistent. 

Des problèmes tels que la surpêche, la pollution et une gestion des déchets inadéquate peuvent perturber l’environnement marin. 

Le développement massif le long des zones côtières sur une courte période avec peu ou pas de travaux de surveillance pour évaluer les impacts de ces développements sur les lagons, est un exemple. À Mont-Choisy, les développements récents ont été significatifs et ces activités auront sûrement un impact sur l’environnement marin.

 

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