De nombreux projets majeurs identifiés par le gouvernement nécessitent l’acquisition obligatoire de plusieurs centaines d’arpents à travers le pays. Derrière ces développements se trouvent plusieurs familles meurtries, déracinées et qui n’ont presque pas la possibilité de défendre leurs droits.
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Azam Rajabali : « Ma famille et moi vivons dans le doute depuis trois ans »
Il a reçu une lettre d’évacuation à la veille du mariage de son fils en 2014. Azam Rajabali habite depuis plus de 35 ans à la rue Mgr-Leen à Port-Louis, un des chemins qu’empruntera le Metro Express. Il affirme ne pas être contre ce projet. Mais ce qui l’inquiète surtout c’est le fait de ne pas savoir ce qu’il adviendra de sa famille. « Personne ne s’est déplacé pour me rencontrer, négocier ou m’expliquer clairement ce qu’ils ont l’intention de faire. Il y a seulement un arpenteur qui est venu pour tracer la route du métro dans ma cour. J’ai tenté de me renseigner auprès de lui mais il m’a répondu qu’il ne pouvait rien me dire. »
Azam Rajabali déplore l’attitude des initiateurs du projet. « On va nous arracher nos souvenirs, nos habitudes et nos biens. On nous ôte même la tranquillité d’esprit et on le fait à travers une lettre ! Je ne sais même pas le montant de la compensation que je vais obtenir. On évalue la valeur de votre maison et on vous donne une compensation. Mais qu’en est-il de la valeur de notre moral ? Mon fils s’est marié et je n’ai pas pu faire de projet de construction pour sa famille et lui. Nous n’avons pas repeint la maison pour le Nouvel an.
Nous ne savons pas quoi faire. C’est dur de vivre dans le doute… ». D’autres questions taraudent le père de famille. « Le public n’est pas ou est mal informé . Nous ne savons rien du coût du projet. Quelle hausse appliqueront-ils sur le prix du lait, du sucre, du gaz, de la nourriture, de l’électricité ou de l’eau pour pouvoir rembourser cette dette ? Pourquoi faire tout cela au risque d’appauvrir encore plus la population ? » se demande Azam Rajabali.
Laval Ah-Qune : « Je souhaite faire prôner la justice »
Laval Ah-Qune est un ancien Land Evaluator du gouvernement. Il a cessé son activité pour faire du social. Il aide plusieurs personnes, dont les terres ont été acquises de manière obligatoire, à y voir plus clair. « Les évaluateurs commettent beaucoup d’injustices, sans le savoir. Ils ne font pas leur travail correctement. Ce sont eux qui sont en contact avec les personnes qui perdent leurs terrains. Ils ont le devoir de les informer de leurs droits. C’est justement cela que je souhaite faire. Je ne fais pas cela pour avoir de l’argent. Je le fais gratuitement pour faire connaître la vérité. Je n’ai pas peur de représailles », explique Laval Ah-Qune.
Il déplore notamment le fait que les évaluateurs n’expliquent pas aux propriétaires les facilités auxquelles ils ont droit : « À titre d’exemple, on ne leur explique pas qu’ils n’ont pas besoin de dépenser l’argent de la compensation pour faire les démarches administratives pour une autre maison. L’enregistrement, le notaire et l’arpenteur bref, tous les frais que cela engendre sont pris en charge par le gouvernement. »
Selon Laval Ah-Qune, ces fonctionnaires craignent les autorités. « Les fonctionnaires sont censés travailler pour le gouvernement au service du public. Ils sont payés avec l’argent des contribuables. Mais c’est évident qu’ils ont peur des autorités. Ce que je trouve dommage, car s’ils avaient vraiment une conscience professionnelle et s’ils croyaient aux valeurs de la justice, ils auraient agi différemment. »
Raj Behari : « On nous a déracinés de Mare-Chicose sans nous rendre de terrain »
Depuis cinq ans déjà, Mare-Chicose a été vidé de ses habitants, compte tenu des ennuis causés par la présence du centre d’enfouissement dans ce village. La plupart des habitants ont accepté de partir, même s’ils y vivaient depuis des lustres.
C’est le cas de Raj Behari. « Ma famille et moi avions accepté de partir, car c’était bien pour nous. On nous avait promis que nous n’allions pas perdre nos biens, qu’on aurait une compensation ou d’autres terres ailleurs. Nous avons accepté de partir parce que j’avais confiance en ce gouvernement. Je pensais que ma famille serait en sécurité. »
Mais voilà, après plus de trois ans, l’État doit à Raj un lopin de terre. « J’avais deux terrains mais on ne m’a rendu qu’un seul. J’ai des enfants et je voulais donner cette terre à ma fille. Quand j’ai contacté les autorités concernées, on m’a dit que le terrain que je réclame est déjà perdu et qu’on n’y peut rien. » Raj est engagé dans l’événementiel.
À Mare-Chicose, il avait tous ses permis pour exercer son activité. Depuis qu’il a été relogé à Belle-Rose, ses permis ne lui ont pas été rendus. « Tous mes papiers étaient en règle. Là où je suis maintenant, je n’ai pas le droit d’exercer car je suis dans une zone résidentielle. Comment vais-je gagner ma vie ? »
Suraj Fowdar : « La compensation reçue est dérisoire »
Le calvaire des Fowdar a commencé en 2011. Leurs terres avaient été acquises dans le cadre de la construction de l’autoroute Terre-Rouge–Verdun–Trianon–Valentina. « Nous les utilisions pour la plantation. C’était notre gagne-pain. Quand le gouvernement les a acquises de force, il nous a offert une compensation de Rs 600 000 par arpent », explique Suraj Fowdar.
C’est le montant de cette compensation qu’il conteste. « C’est injuste, quand on sait que certaines familles ont reçu une compensation 16 fois plus élevée. Nous n’avons eu que des miettes, en sus d’avoir perdu notre gagne-pain, car on nous a supprimé l’accès à nos terres. »
La famille Fowdar a investi toutes ses économies pour faire une demande d’injonction contre l’État. « La compensation que nous avons reçue est dérisoire. Nous avons dû dépenser presque Rs 500 000 par famille en frais d’avocats, d’avoués, d’arpenteurs et autres agents d’évaluation, sans compter les frais administratifs », se lamente Suraj Fowdar.
Cependant, il ne baisse pas les bras. Il a recueilli des preuves pour s’élever contre ces injustices. « Nous avons fait des recherches et mené une enquête. Ce qu’on a trouvé est choquant. Les autorités dupent ceux qui ne connaissent pas la loi. Nous n’allons pas garder ces informations pour nous. Nous divulguerons tout lors d’une conférence de presse », lance-t-il.
Me Bala Mukan : « On ne peut pas lutter contre la ‘Compulsory land Acquisition’ »
Tout ce qu’il y a à savoir sur les acquisitions obligatoires des terres se trouve dans la Compulsory Land Acquisition Act. « L’article 8 de cette loi concerne l’acquisition obligatoire des terres et elle est très claire. C’est tout à fait légal qu’un gouvernement décide de déposséder quelqu’un de ses biens (ici, nous parlons de terres), pour le développement du pays dans un but d’utilité publique », explique Me Bala Mukan.
Selon l’avocat, si tout est conforme à la loi, on ne peut rien contester. Il parle aussi de l’article 10. « Elle permet à quelqu’un d’aller en Cour suprême s’il n’est pas d’accord. Mais dans la plupart des cas, c’est l’État qui obtient le plus souvent gain de cause. » Il est aussi possible de contester la compensation offerte pour céder ses terres. « La compensation est obligatoire après l’évaluation de la valeur du terrain sous l’article 12 de la loi. Toutefois, si l’exproprié estime que la somme n’est pas à la hauteur de la valeur de ses biens, il peut en débattre en Cour suprême sous l’article 24. Un Board of Assessment sera établi pour se pencher sur la question. Mais une fois que la Cour a pris sa décision, il n’y rien d’autre à faire », conclut Me Bala Mukan.
Ruquyya Kurreembokus, du ministère du Logement et des Terres : « Nous agissons uniquement sous les ordres des Infrastructures publiques »
Depuis 2014, plusieurs portions de terrains ont été acquises par le ministère du Logement et des Terres dans le cadre du projet Metro Express.
Ruquyya Kurreembokus, attachée de presse du ministre Showkutally Soodhun, explique les procédures entourant l’acquisition des terres. « Avant de procéder à toute acquisition, le ministère publie un communiqué dans les journaux. Puis une lettre est envoyée aux propriétaires des terrains afin de les informer de l’acquisition et du délai d’évacuation. »
Ruquyya Kurreembokus affirme que tout est fait dans la légalité. « Nous suivons toutes les instructions d’après les provisions légales. Il y a des lois et nous les respectons. Bien entendu, si une personne n’est pas d’accord, nous avons un board qui s’en occupe. Puis vient la phase de la compensation. »
Ce sont des agents et des arpenteurs qui sont les premiers contacts physiques entre les propriétaires et le ministère.
« Par la suite, la valeur des terrains est évaluée par un arpenteur. C’est d’après son rapport que le gouvernement calcule le montant de la compensation qui sera offerte. Nous comprenons que certaines familles ne sont pas d’accord pour partir, mais il y a des instances où elles peuvent se faire entendre. Il faut aussi savoir que nous agissons seulement sous les ordres du ministère des Infrastructures publiques. Ce n’est pas nous qui choisissons les terres dont nous faisons l’acquisition », précise Ruquyya Kurreembokus.
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