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250e anniversaire de la presse mauricienne : quand l’avenir des journaux fait débat

Le 13 janvier 1773, il y a 250 ans, Nicolas Lambert, un Parisien, imprimeur du roi et de la colonie, publie ce qui est considéré comme le premier journal de Maurice et de l’hémisphère Sud. Celui-ci se nomme Annonces, affiches et avis divers pour les colonies des Isles de France et de Bourbon. Rencontre avec des spécialistes de la presse dans le cadre de cet anniversaire.

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Roukaya Kasenally, Associate Professor en système politique et média à l’Université de Maurice : «La presse se caractérise par son dynamisme et sa vivacité»

roukayaPour Roukaya Kasenally, Maurice a « une tradition bien établie de la presse écrite ». « C’est une culture profondément ancrée dans la société mauricienne. C’est quelque chose de très important».

La professeur associée en système politique et média à l’Université de Maurice indique que la presse a connu des moments extrêmement difficiles, mais aussi des heures de gloire. 

« Les médias sont souvent aux avant-postes. Et quand les autorités essaient de serrer les boulons, ce sont les médias et la presse qui prennent les coups en premier. C’est le cas depuis au moins une dizaine d’années. La presse et les médias sont attaqués. »

La presse mauricienne se caractérise par son dynamisme et sa vivacité. Mais « un gros souci est le modèle financier. La presse indépendante dépend énormément de la publicité. Quand on dépend de la publicité, il y a des soucis en termes de viabilité. C’est surtout le cas quand le marché est petit comme à Maurice. L’expansion de la presse devient un peu problématique ».

Elle constate qu’on assiste à « une situation de plus en plus tendue et même journalist non-friendly ». Elle avance qu’une presse indépendante et balancée est très importante pour discerner le vrai du faux et le bon du mauvais.


Yvan Martial, journaliste et ancien rédacteur en chef : «J’appréhende la fin de cette belle histoire»

yvanYvan Martial est le directeur d’Yvan Martial Publications et un ancien rédacteur en chef de l’express. Il se montre plutôt pessimiste quant à l’avenir de la presse papier à Maurice.

« J’appréhende la fin de cette belle histoire. Le nombre de journaux diminue. De grands vendeurs de journaux ferment boutique et ne sont pas remplacés. La Covid-19 a compliqué la situation des groupes de presse. Les dangers qui menacent la presse écrite sont multiples. Les gens pensent qu’ils n’ont plus besoin de la presse et de journalistes. Certains pensent qu’ils sont leurs propres journalistes. »

Est-ce que le régime en place menace l’avenir de la presse ? « La presse mauricienne a vécu sous l’état d’urgence. La censure de la presse de 74 à 78 était bien plus sérieuse. Il fallait apporter aux Casernes centrales les épreuves de chaque parution et avoir le feu vert de la police avant de publier. Les informations sur le fils du commissaire de police, comme on le voit aujourd’hui, n’auraient, par exemple, pas pu paraître à cette époque. Nous avons certainement connu des moments plus difficiles. »

Le journaliste est-il aujourd’hui contraint de retenir sa plume ? « Un journaliste peut écrire tout ce qu’il veut à condition de savoir l’écrire. C’est quand on ne sait pas écrire qu’on est embarrassé. Il y a toujours le moyen de faire passer l’information. D’ailleurs, l’Europe a été sous la botte d’Adolphe Hitler pendant quatre ou cinq ans et la presse n’est pas morte pour autant. »

Selon lui, la presse locale est d’une richesse inouïe et inestimée. « Cette presse mauricienne qui a pris la peine de raconter ce qui se passe du jour au jour à l’île Maurice pendant toutes ces années m’émerveille. Ceux qui se donnent la peine de lire les journaux d’autrefois peuvent beaucoup apprendre sur l’île Maurice d’antan. »


Jean-Luc Mootoosamy, journaliste et directeur de Media Expertise : «Une institution qui maintient la conscience des Mauriciens éveillée»

jean« En 250 ans, la presse a pris une place essentielle. C’est une institution qui maintient la conscience des Mauriciens éveillée. Notre pays lui doit beaucoup, particulièrement durant les moments les plus sensibles de notre récente histoire », explique Jean-Luc Mootoosamy. Il est journaliste et le directeur de Media Expertise.

Il rappelle que durant la campagne pour ou contre l’indépendance, « la presse a permis de débattre plutôt que de se battre ». « Elle a offert un espace d’expression qui a provoqué des réflexions, des discussions – parfois des disputes. Celles-ci ont ensuite mené les Mauriciens à prendre des décisions qui ont donné une direction à notre pays. Plus récemment, en février 1999, la presse a maintenu un lien avec les Mauriciens, alors que le pays était sur une poudrière. Elle a montré la situation dans laquelle nous étions, a donné la parole à des voix qui ont favorisé l’apaisement. »

Mais il est d’avis que la situation est cependant difficile aujourd’hui. « Ce n’est pas un scoop et pas unique à Maurice. La presse doit absolument trouver le chemin pour redevenir attractive. Pour y parvenir, il faut investir dans des talents, toutes générations confondues. L’accent doit être sur la jeunesse pour viser un renouvellement de son public. Les patrons de presse doivent aussi investir dans ces talents, avec des salaires à la hauteur des enjeux pour la presse. La convergence des médias – papier/pdf et électronique – doit aussi être une réalité pour permettre une variété de produits et augmenter la force de frappe. » 

« Car même si le lectorat potentiel est bas, à cause de la taille du pays, il y a moyen de maintenir une presse vivante. Il faudrait une discussion ouverte et des ponts entre les patrons de presse et l’État. Il faut des états généraux de la presse mauricienne. C’est une urgence. Ce qui permettrait d’apporter des réponses aux difficultés économiques de la presse écrite. Car le format numérique et les plateformes en ligne qui se développent captent les contenus de journaux, mais aussi la publicité. »


Alain Gordon-Gentil, journaliste-écrivain : «La presse est à un tournant de son histoire»

alainJournaliste et écrivain, Alain Gordon-Gentil fait observer que la presse mauricienne c’est « 250 ans de parution sans interruption ». « Malgré les deux grandes guerres et toutes les calamités naturelles qui ont frappé notre île. C’est un exploit sur le plan mondial. Qu’un si petit pays ait eu une presse vivante et vivace qui a toujours joué son rôle, malgré des excès çà et là. »

Certes, ajoute-t-il, « personne n’a dit que la presse mauricienne est parfaite ». « Mais essayez seulement d’imaginer le pays avec comme seul médium d’information la télévision nationale (MBC). Aucun des scandales qui éclaboussent notre pays depuis quelques années n’aurait été rendu public. La population serait restée dans l’ignorance. Qui aurait su que la mort de Kistnen n’était pas un suicide ? Qui aurait su ce qui s’est passé à Angus Road ? Qui aurait su que Rs 400 millions ont été dilapidées avec Liverpool ? Qui aurait su que la SBM a perdu Rs 12 milliards en deux ans ? Qui aurait pris connaissance de l’affaire Bet 365, qui a poussé l’ex-Attorney General, Ravi Yerrigadoo, à la démission ? Et on pourrait ainsi allonger encore la liste. »

Alain Gordon Gentil estime que la presse locale est « à un tournant de son histoire ». « Pas de son fait, mais à cause des velléités autocratiques du pouvoir en place. » dit-il. 

Pour lui, « les relations entre le pouvoir et la presse ne sont pas conçues pour être harmonieuses. Le pouvoir veut cacher, alors que le rôle de la presse est de révéler. Il est donc normal que les relations soient tendues entre les deux. Mais qu’un gouvernement veuille la mort de la presse, ce qui est clairement le cas, est un pas vers un avenir dans lequel la démocratie serait un vain mot ».

 

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