
Bébés oubliés à l’hôpital, enfants déposés dans l’indifférence : depuis 2021, 233 abandons ont été recensés. Derrière ces chiffres, une réalité brutale : l’enfance sacrifiée faute de moyens, de soutien ou d’attention. Le récent cas d’un nourrisson prématuré, toujours bloqué à l’hôpital, en est le triste symbole. Pendant que les autorités parlent de réformes, les abandons, eux, continuent.

Un bébé prématuré, né en mars 2025 à l’hôpital Victoria, attend toujours de quitter l’établissement. Sur le plan médical, tout est prêt depuis le 19 juillet. Pourtant, l’enfant reste hospitalisé. Il n’y a personne pour l’accueillir. La mère, partie quelques jours après l’accouchement, n’est revenue qu’une fois, en avril, pour des démarches administratives. Depuis, plus aucun signe de vie. Les autorités, malgré plusieurs tentatives, n’ont pas réussi à la retrouver ni à joindre d’autres membres de la famille. Le nourrisson est donc sous la responsabilité des services sociaux. Son dossier a été confié à la Child Development Unit.
Ce cas n’est pas isolé. Il s’inscrit dans une réalité plus large : 233 enfants ont été abandonnés à Maurice entre 2021 et avril 2025, selon les chiffres officiels. Un chiffre qui alerte et interroge : comment expliquer cette montée silencieuse ? Et pourquoi la société semble-t-elle s’y habituer ?
Entre 2021 et 2023, les chiffres restent relativement stables : 55 enfants abandonnés en 2021, 45 en 2022, puis 49 en 2023. En revanche, 2024 marque un tournant inquiétant : 71 enfants ont été abandonnés cette année-là, un record. Parmi eux, 38 filles et 33 garçons. Et déjà, entre janvier et avril 2025, 13 nouveaux cas ont été signalés. À ce rythme-là, l’année 2025 pourrait encore afficher un chiffre élevé.
Il s’agit de nourrissons, de bébés et parfois d’enfants un peu plus âgés, laissés pour compte à l’hôpital, déposés dans des lieux publics ou confiés à des proches qui finissent par contacter les autorités lorsqu’ils sont dépassés par la situation. Derrière les statistiques, il y a des histoires bouleversantes. On y retrouve des parcours brisés, marqués par la précarité, l’isolement, les violences domestiques, les grossesses non désirées ou encore l’exclusion familiale. Ces enfants, souvent très jeunes, sont privés dès leurs premières semaines de repères, d’affection et de stabilité.
Délit sévèrement puni
Rattan Jhoree, Child Welfare Officer au ministère de l’Égalité des genres et du Bien-être de la famille, suit ces dossiers de près. Il rappelle que l’abandon d’un enfant constitue un grave délit sévèrement puni par la loi. La Children’s Act de 2020 prévoit jusqu’à 30 ans de prison et une amende pouvant atteindre Rs 1 million pour les parents qui se rendent coupables d’un tel acte.
« L’abandon d’un enfant n’est ni un oubli, ni une simple négligence. C’est un délit grave. La loi est très claire sur ce point », insiste-t-il. Lorsqu’un cas est signalé, un protocole est enclenché en urgence. La première étape est médicale : l’enfant est transféré à l’hôpital pour un examen complet, tant sur le plan physique que psychologique, selon son âge.
Ensuite, les services sociaux, épaulés par la police, mènent une enquête pour comprendre les circonstances de l’abandon. En attendant, l’enfant est placé dans un « Shelter », une structure d’accueil temporaire reconnue par l’État. Ce placement vise à garantir sa sécurité, le temps que les démarches administratives et judiciaires avancent.
Chaque cas est suivi individuellement, selon Rattan Jhoree. Si un proche souhaite récupérer l’enfant, une demande officielle doit être formulée devant un tribunal. Le retour en famille ne peut se faire qu’avec une décision de justice. Un magistrat doit approuver la demande après avoir vérifié que toutes les conditions sont réunies pour garantir la sécurité de l’enfant. L’intérêt supérieur de l’enfant est la seule boussole qui guide les décisions.
Rattan Jhoree rappelle que la loi ne s’arrête pas aux parents biologiques. Toute personne qui incite un parent à abandonner son enfant, même indirectement, peut être poursuivie. Les arrangements privés, souvent conclus avant la naissance, sont également illégaux s’ils ne passent pas par une procédure légale. Autre exemple : une femme enceinte qui accepte de confier son bébé à une autre personne, sans déclaration légale, enfreint la loi.
Ces pratiques, bien que souvent tues, sont pourtant une réalité dans certains milieux. Pour Rattan Jhoree, l’abandon d’enfant est un phénomène à la fois social, économique et juridique. La réponse ne peut donc pas être uniquement répressive : il faut renforcer l’accompagnement des familles vulnérables, améliorer les structures d’aide et briser le tabou.
Un système de protection encore fragile
À Maurice, le dispositif de protection de l’enfance reste insuffisant. Plusieurs voix s’élèvent au sein de la société civile, des organisations non gouvernementales (ONG) et des institutions publiques pour réclamer une réforme en profondeur. Elles demandent une meilleure coordination entre les services sociaux, les structures de santé, la police et les associations. Mais elles rappellent aussi que chaque citoyen peut – et doit – jouer un rôle.
Face à l’urgence, le ministère de l’Égalité des genres a relancé un projet-clé : le programme de familles d’accueil. Lors de la première célébration du World Foster Day à Maurice, le 31 mai 2025, la ministre concernée, Arianne Navarre-Marie, a mis l’accent sur la nécessité d’offrir un cadre familial plutôt qu’un placement institutionnel.
« La famille est un refuge et un lieu de sécurité », a-t-elle déclaré.
Actuellement, 88 familles d’accueil sont officiellement reconnues par l’État et hébergent 110 enfants. En parallèle, 51 autres familles attendent une validation pour intégrer le programme. Le ministère souhaite élargir ce réseau à travers des campagnes de sensibilisation et un meilleur encadrement des familles volontaires. Le projet repose sur plusieurs piliers : sélection rigoureuse, formation adaptée, soutien psychosocial constant et suivi personnalisé des enfants accueillis.
En complément, un projet de loi sur l’adoption (Adoption Bill) devrait bientôt être présenté à l’Assemblée nationale. Il vise à simplifier les procédures, encadrer les démarches légales et offrir une alternative pérenne aux placements prolongés en foyer. À travers ce dispositif, le ministère espère bâtir un réseau solide de familles d’accueil mauriciennes, capables de répondre avec humanité et responsabilité à une urgence trop souvent ignorée : celle des enfants laissés sans repères.


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