
- Un barème de 10 % sur la valeur de drogue saisie privilégié
Le système de Reward Money, censé récompenser les informateurs pour leur contribution dans des affaires criminelles majeures, fait aujourd’hui l’objet d’un examen sans précédent. Au cœur d’une enquête menée par la Financial Crimes Commission (FCC), ce dispositif est soupçonné d’avoir été détourné de sa mission initiale au profit d’un enrichissement illégal. D’anciens cadres de la police, notamment de la brigade antidrogue (Adsu), dénoncent un système opaque, contrôlé par une poignée de hauts gradés, sans cadre réglementaire clair, ni traçabilité des fonds.
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S’il est indéniable que les informateurs jouent un rôle crucial dans les opérations policières, les témoignages recueillis par Le Défi Plus révèlent un profond malaise interne. Montants non versés, demandes tronquées, gestion discrétionnaire, partage officieux des primes… le Reward Money apparaît tantôt comme une nécessité opérationnelle, tantôt comme une source d’abus organisée. Dans le cas des saisies de drogue, un barème officieux de 10 % est parfois appliqué, mais sans garantie ni cohérence.
Face aux dérives alléguées, certains appellent à une refonte totale du mécanisme, d'autres réclament simplement plus de transparence. Tous, cependant, s'accordent à dire qu’on ne peut faire sans. Mais à quel prix ?
Ranjit Jokhoo : « Un gros business pour les chefs de la police »
« Le système ‘Reward Money’ est un gros business pour les chefs de police. » C’est une affirmation franche de Ranjit Jokhoo, ancien inspecteur de police. Il explique que la formule ‘Reward Money’ a été instaurée sous l’ère du Commissaire de police Anil Kumar Dip, suite à un amendement du Standing Order de la police.
Ranjit Jokhoo ne mâche pas ses mots, dénonçant une « wrong formula ». Selon lui, à l’origine, le système reposait sur le ‘Reward to Informer’, mais il reconnaît l’importance de cette prime pour le travail des policiers. « Okenn detektiv pa kapav fonksione san informater », insiste-t-il. Sur le terrain, selon l’ex-inspecteur, les policiers doivent souvent acheter des denrées, de l’alcool ou des cigarettes pour leurs informateurs, ce qui justifie, selon lui, « la nécessité d’un système de contrôle rigoureux et transparent ».
Se remémorant un cas précis, Ranjit Jokhoo raconte qu’un informateur avait reçu Rs 50 000, mais réclamait Rs 100 000. L’informateur avait alors directement approché le Commissaire de police, qui avait accepté de lui verser la somme demandée. « CP ti dakor pou donn li so Rs 100 000. Informater ti panse nou finn donn li mwins. » Finalement, il avait obtenu les Rs 100 000.
Un ancien haut gradé de l’Adsu : « Kouma dir zot vann ladrog ar gouvernman »
« Bef travay, bourik manze. » C’est ainsi que cet ancien homme fort de l’Adsu décrit la situation. Il se dit « profondément choqué » par les révélations de l’enquête de la FCC concernant l’affaire du ‘Reward Money’, mais tient à souligner qu’il serait « injuste de diaboliser l’ensemble de la force policière à cause des agissements d’une minorité ».
Commentant la récente saisie de plus de Rs 2 milliards de drogue, il compare le système à un « puzzle » complexe : « De fwa ou gagn bout bout linformasion ar diferan sours pou enn sel ka, se ki vedir ki plizir informater atann enn rekonpans. » Selon lui, il est donc logique qu’il y ait plusieurs demandes de primes (‘claims’) dans le cadre du ‘Reward to Informer’.
Cet ancien cadre de l’Adsu rappelle qu’il existait autrefois un système de primes destiné aux policiers, le ‘Reward to Police Officer’. Ce système a cependant été supprimé, et aujourd’hui seuls les informateurs sont officiellement récompensés. Il reconnaît toutefois que, dans bien des cas, un partage informel se fait entre policiers et informateurs : « Sa kass ki lapolis pran-la, se pou couver zot depans– manze, bwar, telefonn, ou transpor pou loperasion. »
Il ne cache pas son étonnement après avoir appris qu’une somme de Rs 3 millions aurait été validée comme Reward Money dans une affaire de saisie de drogue. « Kouma dir zot vann ladrog ar gouvernman », déplore-t-il. L’ancien haut gradé conclut en affirmant que, s’il avait procédé de la même façon à son époque à la tête de l’Adsu, il serait aujourd’hui multimillionnaire aux côtés de ses ex-collègues. « Sa manyer zot inn fer la, si mo ti an post, be boukou milyon mo ti pou bizin gagne. »
Un sergent de l’Adsu :« Dan enn semenn kapav fini Rs 150 000 ek enn informater pou enn ‘case’ »
Les informateurs sont traités avec la plus grande précaution. Confiance et discrétion sont les maîtres-mots. Un sergent de carrière au sein de l’Adsu explique : « Dimounn-la pa pou vinn donn ranseyman pou nanie ». Il précise que dans certains cas, il a eu affaire à de véritables patriotes, soucieux d’une société plus saine, qui n’ont rien demandé en retour. Mais d’autres exigent que leurs frais soient pris en charge.
Depuis un certain temps, au sein de l’Adsu, les agents de terrain ne reçoivent plus rien en guise de Reward Money. Selon l’intervenant, les officiers responsables d’unité font la demande, mais empochent l’argent sans qu’aucune transparence ne soit assurée. « Zame nou kone sir sir komie sef inn dimande ek inn gagne », lance-t-il. Le montant alloué est presque toujours inférieur à la somme réclamée, selon lui. « Nounn deza gagn Rs 200 000. Me ladan ena kas informater, me ousi depans personel bann polisie ki dan loperasion », ajoute le sergent.
Il rappelle que les opérations peuvent s’étaler sur plusieurs semaines, et qu’il faut nourrir les équipes, louer des véhicules ou encore acheter des téléphones portables pour les remettre à l’informateur. « Tousala koute. Ena semenn kapav fini Rs 150 000 pou enn sel informater pou enn sel ‘case’ », dit-il. Et dans certains cas, une fois l’argent remis, le responsable d’équipe reçoit une somme bien inférieure à celle attendue. Quant à l’informateur, il coupe tout contact une fois payé. « Li zwe mor , li aret donn nou travay », conclut notre source.
Hector Tuyau : « Mem pa enn santiem sa bann montan ki pe evok la ti ena kan mo ti dan Adsu »
Vendredi après-midi, sur Radio Plus, lors de l’émission « Au cœur de l’Info », Hector Tuyau, ancien Assistant de Police (ASP), a réagi sur le sujet du « Reward Money ». Il a affirmé : « Mem pa enn santiem sa bann montan ki pe evok la ti ena kan mo ti dan Adsu ».
Cet ex-haut gradé, qui a passé la majeure partie de sa carrière au sein de l’Adsu, explique que c’est cette unité qui était principalement concernée par le « Reward Money ». Il réagit ainsi aux montants évoqués par le Directeur Général par intérim, Sanjay Dawoodarry. Selon lui, les chiffres avancés depuis le début de l’enquête de la FCC sont largement exagérés. Il s'agit plutôt de sommes dérisoires perçues dans le passé, en comparaison aux montants d’argent évoqués jusqu’ici. De plus, il affirme n’avoir jamais touché ne serait-ce qu’un pour cent des montants mentionnés. « Zame nou ti koz milyon, kav par lane ti zame nou koz milyon, kav san milier par an », a-t-il ajouté.
Pour Hector Tuyau, ce sont les chefs d’équipe, chargés de superviser les opérations et les procédures de réclamation du « Reward Money », qui doivent être tenus responsables. « Tou bann polisye ki nou pe koze ki finn arete ziska ler, zot ti bizin rann kont ar enn dimoun », a-t-il indiqué.
2024 : Rs 55,1 millions en quatre mois
Au Parlement, Navin Ramgoolam a confirmé la somme totale de Rs 250 millions versée en « Reward Money », dont Rs 209 millions pour les trois dernières années. En 2021, la totalité atteignait Rs 1 million. Pourtant, en seulement quatre mois en 2024, plus de Rs 55,1 millions ont déjà été déboursées par les Casernes centrales.

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