2025 devrait être une année de transition économique selon Sudesh Lallchand. Pour lui, le nouveau régime concède la différence entre la réalité et les promesses annoncées. Le développement économique du pays dit-il passera par la volonté des dirigeants.
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Après la bataille de chiffres entre l’ancien et le nouveau régime, sur quelle base économique entamons-nous l’année 2025 ?
La base économique fait référence aux piliers de notre économie. Il faudra une vue d’ensemble pour se faire une idée claire. Pour ne citer que certains, je dirai que le secteur financier a peut être une bonne base, mais il reste beaucoup à faire. Le tourisme fonctionne et le secteur de l’agriculture est un vaste chantier. Nos marchés pour les exportations sont influencés par la main-d’œuvre.
Est-ce qu’une croissance révisée à 5,1 % pour 2024 est louable pour Maurice ?
Ce serait positif si l’économie parvenait à croître de 5 à 6 % en 2024. Nous parlons de croissance après l’inflation. J’ai cependant des doutes que nous pourrons atteindre un taux de croissance de 6 %. Nous n’avons rien vu concernant les bases économiques deux mois après les élections.
Les élections générales de 2024 ont abouti à une victoire de 60-0 par l’Alliance du Changement. Au-delà des différents facteurs qui ont poussé les Mauriciens à voter ainsi, est-ce que ce résultat risque d’être un handicap pour les enjeux, débats et décisions économiques du pays ?
Le résultat peut-être pas, mais les promesses probablement ! La quête de la victoire s’est jouée sur 3, voire 4 mesures essentielles : l’augmentation de pension, l’arrêt de la dépréciation de la roupie et d’autres promesses concernant le pouvoir d’achat. Ce sont là des mesures qui vont nécessiter de l’argent.
Le 14e mois est une des mesures les plus irréfléchies de notre histoire"
Le nouveau régime a-t-il démarré leur mandat de bon pied avec les mesures déjà implémentées ou joue-t-il stratégiquement sur la carte de la réalité économique pour retarder l’introduction de certaines promesses ?
Pour rappel, une semaine avant les élections, il y avait des politiciens - qui sont aujourd’hui dans le gouvernement-, qui affirmaient que le prix des carburants allait baisser de 30 % à 35 % après une semaine. Seule une fraction de cela a été implémentée. Peut-on considérer une réduction par Rs 5 comme une véritable baisse ? Lorsque ce gouvernement était dans l’Opposition, il montait sur ses grands chevaux pour dire qu’il fallait enlever les taxes sur les carburants. C’est facile de critiquer, mais on se rend compte que c’est autre chose une fois en face de la réalité. Cela s’applique à tous les partis de l’Opposition. Un autre facteur ayant joué en faveur de ce nouveau gouvernement lors des élections a été l’annonce que les prix vont drastiquement baisser. À première vue, les prix poursuivent leur ascension.
Il y a eu plusieurs démissions suivies de nominations à la tête de certaines institutions depuis les résultats des élections. Est-ce un véritable changement ou c’est au final des nominés politiques qui en remplacent d’autres ?
Un nominé politique est une personne dont la nomination se fait suivant un aval politique. L’approbation peut venir du Conseil des ministres et signée par le Premier ministre. La loi concernant la nomination d’une personne à la tête de certaines institutions préconise l’aval du Conseil des ministres et l’approbation du Premier ministre. La personne nommée devient de facto un nominé politique. Il faut cependant faire la distinction entre un professionnel et un nominé politique. Il y a eu des nominations à la tête de certaines institutions depuis la prise de pouvoir du nouveau gouvernement. Certaines sont justifiées avec des candidats valables et compétents.
En prenant une direction rationnelle, le gouvernement devra laisser le secteur privé comprenant les PME travailler"
Le Gouverneur de la Banque de Maurice a défini ses priorités : stabiliser la roupie, recapitaliser la BoM et amener une bonne politique monétaire. Les mesures annoncées jusqu’ici vont-elles dans ce sens ?
Suivant les conférences de presse du Dr Rama Sithanen, il faut dire que certaines mesures annoncées ne sont pas mauvaises. Le Gouverneur de la Banque de Maurice a eu la sagesse d’annoncer certaines mesures qui peuvent être impopulaires au sein du secteur privé, mais compréhensibles d’un autre point de vue. Je fais ici référence à la mesure concernant la vente des villas en roupie. Cependant, reste à savoir quel est le résultat qui va découler de ces mesures. La roupie se déprécie et il a annoncé des mesures pour mettre fin à cette courbe.
Combien de temps faudra-t-il pour redonner à la monnaie locale sa valeur ?
Techniquement parlant, la Banque de Maurice a le pouvoir de fixer le prix de la roupie face au dollar avec les conséquences qui peuvent suivre. Le ministre des Finances parle de stabiliser et d’apprécier la monnaie locale. Le dollar s’achetait à Rs 46,80 en octobre 2024. À la fin de 2024 c’était à Rs 47,15 avec les mesures qui ont été annoncées après les élections.
Notre monnaie s’est donc dépréciée. Il est évident qu’on va venir dire que le dollar s’est apprécié à l’international. Toutefois, je rappelle que, dans un passé récent, quand ces mêmes personnes critiquaient la valeur de la roupie, le dollar s’appréciait également. Un gros travail devra être effectué pour arrêter la dépréciation de la roupie. Pour apprécier la roupie face aux autres devises, il faudra jouer avec le taux d’intérêt.
La valeur de la roupie influence les prix à Maurice. Le taux d’inflation est en baisse mais les prix continuent d’augmenter. À quoi faut-il s’attendre pour cette année 2025 ?
80 % de nos importations sont effectuées en dollar. L’ancien gouvernement a payé le prix de cette influence. Le taux d’inflation rapporté est en baisse. Il n’y a qu’à se rendre au supermarché pour se rendre compte que les prix poursuivent leur ascension. La volonté politique et la compétence des ministres auront un rôle prépondérant. Le gouvernement aurait dû avoir un ministre responsable de la protection des consommateurs et un autre portant la casquette du commerce. Nous avons aujourd’hui le même ministre qui facilite la venue des commerçants et qui, dans le même temps, est chargé de protéger les consommateurs.
L’exercice de compensation salariale sera donc important. Or, les employeurs affirment qu’un des plus grands défis de 2024 a été les différentes augmentations salariales et le paiement du 14e mois qui n’avait pas été budgété. Le calcul de la compensation salariale se fera-t-il dans des conditions optimales ?
Il y aura une confusion extraordinaire. On dit que l’inflation a diminué. Un des facteurs clés à prendre en considération pour le calcul de la compensation salariale est le taux d’inflation.
Si les prix rapportés ont baissé, la compensation salariale ne sera pas aussi conséquente. Les institutions vont-elles projeter les vrais chiffres d’inflation que ressentent les consommateurs lorsqu’ils font leurs achats. Dans cette éventualité, les syndicats vont monter au créneau et demander un gros montant de compensation salariale. Ceci dit, jusqu’à quand va-t-on fonctionner ainsi, soit accorder une compensation à chaque hausse de prix ? Maurice a perdu en compétitivité. L’argent dépensé proviendra du budget du gouvernement lorsque les entreprises seront incapables de payer les hausses salariales. Cela provoque une spirale des salaires. Ce gouvernement devra s’atteler à voir comment stopper la hausse des prix et des salaires sans productivité. Qui payera de ce prix ? Les taxes ? Cela ira à l’encontre des promesses électorales de ce gouvernement.
Pour apprécier la roupie face aux autres devises, il faudra jouer avec le taux d’intérêt"
Certaines PME concèdent que 2024 a été pire que la pandémie de COVID-19. Comment se présente 2025 pour les PME ?
Cela va dépendre de la politique de ce gouvernement et de ses décisions. Cette année, le gouvernement devra venir avec une politique qui permettra au secteur privé et surtout aux PME d’assumer pleinement leurs responsabilités. Et cela sans leur mettre une corde autour du cou pour payer des augmentations. En prenant une direction rationnelle, le gouvernement devra laisser le secteur privé, comprenant les PME, travailler. Ce sera au cas contraire une calamité. En 2025, les PME sont appelées à mieux faire, à condition que le gouvernement les laisse souffler.
Il y a eu l’année de la sortie de crise, de reprise ou encore de relance dans le sillage de la pandémie. Comment qualifieriez-vous l’année 2025 ?
Les activités économiques étaient faibles après la pandémie de même que notre Produit intérieur brut (PIB). La base sur laquelle la croissance est calculée a diminué. De ce fait, il ne faut pas prendre l’après-COVID comme un point de référence. Cela risque de démontrer une croissance extrêmement importante. En 2025, on table sur une croissance supérieure de 6 %.
2025 sera une année de transition économique. Plusieurs institutions importantes n’ont pas encore de capitaine. Il faudra au moins trois mois supplémentaires pour une évaluation. Ce temps n’est cependant pas suffisant pour espérer réaliser d’énormes progrès. Pour une bonne croissance, il faudra dépasser les 6 %. Le gouvernement a bien fait en nommant un Attorney General. Il y aura d’autres lois qui devront être introduites.
Les institutions internationales, telles que Moody’s, porteront une attention particulière à Maurice après avoir pris connaissance du rapport ‘State of the Economy’. Que faut-il faire pour préserver notre ‘investment grade’ et éviter une chute vers le ‘junk status’ ?»
Moody’s prendra en compte l’état de notre économie selon l’évaluation effectuée. Cette évaluation est cependant une analyse de ce qui découle du passé. Le passé est le passé. Que propose le gouvernement pour un proche avenir ? Un plan de relance dans les court et moyen termes pourrait intéresser l’agence de notation. En démontrant par exemple une stratégie pour réduire notre facture d’importation, cela pourrait être favorable à Maurice. Le plan de développement doit être rapidement présenté.
La productivité est présentée comme un moyen de réduire nos importations et d’aspirer à une meilleure croissance économique. Cela passe par la main-d’œuvre. Plusieurs secteurs font face à ce défi. Comment l’adresser en 2025 ?
La productivité est très importante. Si les salaires augmentent, la production doit suivre. La hausse des salaires doit contribuer à la valeur ajoutée. Le gouvernement ne doit pas forcer les entreprises à payer des augmentations de salaire ou le 14e mois. Le 14e mois est une des mesures les plus irréfléchies de notre histoire. C’est un caprice électoral. Par ailleurs, on ne peut drastiquement décider d’arrêter d’octroyer les permis aux travailleurs étrangers. Sans eux, nous n’aurons, par exemple, pas de pain, ni de construction, entre autres. Leur apport est essentiel à l’économie. La richesse est le résultat du travail. Maurice subit un manque de main-d’œuvre à différents niveaux. Il est important d’adopter une politique ouverte pour accueillir la main-d’œuvre étrangère. Plusieurs institutions auraient bénéficié grandement de l’appui des ressources internationales.
Quels sont les secteurs qui vont tirer l’économie vers le haut en 2025 ?
Là encore, j’insisterai sur la volonté. Il faudra voir quels sont les secteurs qui ont le potentiel de tirer l’économie vers le haut. Le secteur financier et le tourisme maintiennent leur importance. L’économie bleue et le secteur agricole ont du pain sur la planche. L’intelligence artificielle et le secteur pharmaceutique demandent des investissements à coup de milliards de roupies. Leur développement requiert beaucoup de temps et un savoir-faire. Ce sont des secteurs dont on parle depuis plusieurs années. Je ne pense pas que nous verrons de grands développements dans le secteur pharmaceutique ou l’intelligence artificielle à Maurice durant les cinq prochaines années. Qui va venir investir à Maurice, y produire et exporter dans le secteur pharmaceutique? Il faut oublier cette idée. Concentrons-nous sur les secteurs actuels qui ont du potentiel avec des gains rapides.
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