
Après 25 ans de carrière ministérielle, Sheila Bappoo s’apprête à devenir Haut-Commissaire de Maurice en Inde. Face aux critiques sur son âge, elle affirme avoir l’énergie et les compétences nécessaires pour relever ce nouveau défi diplomatique.
Sur quels critères avez-vous été choisie pour occuper le poste de Haut-Commissaire de Maurice en Inde ? Serait-ce par accointance politique ou pour autres considérations ?
Je ne suis pas un « rodere boute » d’abord. Il y a deux semaines, je reçois un appel du Bureau du Premier ministre qui voulait me parler. Il m’a dit qu’il cherchait quelqu’un pour représenter le pays en Inde et qu’il avait pensé à moi pour ma rigueur, mon engagement et ma capacité à faire entendre la voix de Maurice à Delhi. Je lui ai répondu que, s’il trouvait ces qualités en moi, je serais honorée d’accepter l’offre et de relever le défi.
Sur les réseaux sociaux et les observateurs politiques, ils avancent que notre pays favorise la gérontocratie et qu’il fallait laisser la place aux plus jeunes, aux cinquantenaires. Que leur répondez-vous ?
Sur les réseaux sociaux, on peut tout dire. L’âge n’empêche en rien de servir son pays au mieux de ses capacités, tant que la personne conserve sa lucidité, ses compétences et une intelligence toujours vive. Prenez les deux exemples : Navin Ramgoolam et Paul Bérenger : ces deux hommes d’État travaillent d’arrache-pied et maitrisent leurs dossiers comme pas deux. Ailleurs, on retrouve Donald Trump ou encore Narendra Modi, sans oublier feues Margaret Thatcher et Indira Gandhi.
Mais, servir un pays aussi gigantesque que l’Inde va vous demander beaucoup d’efforts et de savoir-faire diplomatiques. Vos détracteurs attestent que le costume serait trop grand pour vous…
Je pose cette question : est-ce que seuls les jeunes ont le droit de servir leur pays, même avec leurs compétences ? J’ai toujours toutes mes facultés et je vais diriger la Haute Commission de Maurice en Inde comme je l’ai fait durant mes années en tant que ministre pendant cinq mandats. Je vais faire en sorte d’avoir la confiance de tous ceux qui vont m’entourer. Ce sera un travail d’équipe et c’est cela ma façon de faire et je serais à la hauteur à Delhi, n’en déplaise à certains de mes détracteurs.
Le syndicaliste Narendranath Gopee digère mal vos propos sur les fonctionnaires. Il vous reproche d’avoir minimisé leur travail en le comparant à celui des « casseurs ross » et exige des excuses publiques. Que lui répondez-vous ?
Mes propos ont été sortis de leur contexte et mal interprétés. Après 25 ans comme ministre, travaillant étroitement avec des fonctionnaires de tous grades, je ne pourrais jamais les dénigrer. Je voulais simplement dire que fonctionnaires et « casseurs ross » accomplissent tous deux un travail difficile. Les fonctionnaires ne sont pas paresseux, bien au contraire, et je les respecte profondément. Par exemple, de 1983 à 1995, je leur dois mes bilans positifs. Sans fonctionnaires, un ministre ne peut rien faire. Je ne perdrai jamais leur respect.
J’ai toujours toutes mes facultés et je vais diriger la Haute Commission de Maurice en Inde comme je l’ai fait durant mes années en tant que ministre pendant cinq mandats»
Vous aviez alerté sur le vieillissement il y a 20 ans. Mais qu’avez-vous fait concrètement à ce sujet en tant que ministre ?
Quand j’étais ministre de la Sécurité Sociale, je me suis engagée auprès des seniors et des personnes autrement capables, en les soutenant pleinement. J’ai mis l’accent sur leurs sécurité, santé, loisirs et « empowerment » via un programme de « legal literacy ». Sous Navin Ramgoolam, un hôpital gériatrique a été proposé, et des mesures pour la sécurité des seniors ont été mises en place, ainsi que des centres de récréation réussis.
Justement, cette éligibilité d’avoir la Basic Retirement Pension (BRP) a été repoussée de 60 à 65 ans et cela fait grincer des dents de toutes parts. Votre opinion sur la question ?
Quand l’âge de la retraite a été repoussé à 65 ans, cela restait optionnel. La BRP n’a jamais été supprimée à 60 ans et a été maintenue parce que l’économie pouvait alors soutenir cet âge de retraite facultatif, mais la situation a changé maintenant.
Suivant cette logique, ceux qui optent de travailler au-delà de 60 ans ne devraient pas toucher la BRP et autres allocations ?
Sur cette question, il faut d’abord être patriotes, car la situation économique a empiré, c’est la catastrophe. Les finances ont été dilapidées par le MSM et le pays est dans le précipice. Donc, pour un gouvernement responsable, il fallait savoir comment sauver le peuple de cette situation désastreuse.
Le gouvernement affirme que ne pas réviser la BRP mène à un désastre financier, à cause du vieillissement et de la baisse de natalité. Pourquoi cette réforme n’a-t-elle pas été incluse dans le manifeste avant les élections de novembre 2024 ?
Auparavant, la BRP était ajustée selon l’inflation de 2005 à 2014. En 2014, elle s’élevait à Rs 3 643, avant que le MSM ne l’augmente à Rs 15 000 pour gagner des voix. Cette politique a eu des conséquences désastreuses.
Pourtant, l’équipe du gouvernement actuel connaissait déjà ce montant de Rs 15 000 pour la BRP avant même les élections…
Oui, nous connaissions les chiffres, mais ce n’est qu’après les élections de novembre 2024, avec l’installation du nouveau gouvernement et un état des lieux économique et social, que la gravité de la situation est apparue : les caisses étaient vides.
Face à ce piège laissé par le MSM, qui savait qu’il perdrait le pouvoir, il a fallu agir pour sortir le pays de cette crise financière. C’est à partir du bilan économique réel que le gouvernement a décidé de ne pas fuir ses responsabilités.
Quand Navin Ramgoolam a découvert la réalité financière, l’économie était en phase terminale, sans autre solution que la réforme de la BRP, une pension non contributive. En 2050, 30 % seront seniors, trop peu de jeunes pour financer le système. Le pays a évité le statut de Junk State. Le gouvernement a simplement repoussé la BRP de 60 à 65 ans pour préserver sa viabilité.
Le gouvernement a modifié l’éligibilité à la BRP pour une catégorie de familles, l’Income Support. Comment évaluer objectivement les bénéficiaires méritants ?
Il est difficile de déterminer qui mérite la BRP. Par exemple, comment évaluer une femme au foyer qui attend sa pension à 60 ans ? Sur quels critères la juger ? C’est compliqué. Sinon, on revient à la case départ, avec une évaluation trop large. Que ce soit avec l’Income Support ou le Means Test, l’objectivité reste un défi.
Avez-vous une explication au sentiment d’impopularité de l’Alliance du Changement après seulement huit mois au pouvoir ? Les attentes, nourries par les promesses, étaient-elles trop élevées ?
Le gouvernement, dirigé par Navin Ramgoolam et Paul Bérenger, est sincère et soucieux du progrès du pays. Les conditions économiques à leur arrivée étaient difficiles. Malgré de bonnes intentions, la réalité économique, décrite dans le « State of the Economy », était brûlante et complexe. Le gouvernement ne peut tenir toutes ses promesses en un an, mais sur cinq ans. Le Premier ministre doit présenter un bilan transparent des 100 jours, contrairement au MSM. Une série de défis reste à gérer avec tact et justesse.
Clin d’oeil d’elle

Née le 16 juin 1947 à Beau-Bassin, Sheilabay Rama, dite Sheila, est la benjamine d’une fratrie de six enfants. Elle a fréquenté la Henry Buswell Aided School avant de poursuivre ses études secondaires au QEC. Elle a ensuite travaillé en tant qu’enseignante au Hindu Girls en 1967, puis au Eastern College à Flacq, et enfin au Eden College Girls à R-Hill. Elle se jette en politique dans les années de braise avec les arrestations de plusieurs membres des opposants au régime d’alors, comme Dev Virahsawmy, Paul Bérenger, Ramduth Jaddoo et les autres camarades de lutte.
« Il y avait un regroupement des épouses des prisonniers politiques pour leur libération. Parmi elles, la maman de Paul Bérenger ou encore la femme de Dev, et nous organisions des manifestations devant la poste de Rose-Hill, au Jardin de la Compagnie. Nous prenions le bus pour Mahébourg et ailleurs. Après, tout le groupe a été libéré en décembre 1973, et c’est là que je me suis engagée politiquement », se souvient Sheila Bappoo.
Bien vite, le virus gagne Sheila et, au sein du MMM, les structures sont claires : la formation politique. Le tout premier meeting en salle est tenu au Cinéma Hall, devenu La Galerie Evershine, puis au bâtiment Rio. Entre-temps, Sheila devient la toute première présidente du MMM.
Sa première participation électorale remonte à une partielle municipale en 1976 au no 18, où elle s’allie à Devanand Rittoo et Paul Bérenger, mais elle est battue de 50 voix. Sheila se rattrape en 1977, est élue conseillère aux Villes-Sœurs et devient adjointe au maire. En 1979, elle démissionne de toutes les instances du MMM, siège comme indépendante et organise un meeting solo à Stanley, une réussite où elle dénonce les dérives de son ancien parti.
Pour les législatives de 1982, elle ne se porte pas candidate. Elle relate : « Lors de la scission de 1983 entre le MMM et le PSM, le MSM a été formé sous la direction de feu Sir Anerood Jugnauth. À la demande de SAJ, Madun Dulloo est venu me voir deux jours avant le Nomination Day pour me proposer de rejoindre ce nouveau parti, et j’ai accepté ».
Candidate au no 14, Sheila Bappoo est élue en 1983, puis réélue en 1987 et 1991 au no 16. Par la suite, elle quitte le MSM avec Rama Sithanen, Alain Laridon, Ramduth Jaddoo et Michael Glover pour fonder le RPR. Elle explique : « Après la défaite du MSM en 1995, malgré de bons résultats économiques, le parti a dérivé. Il refusait les réformes et certains propos à connotation communautaire ont été très mal perçus. On nous a clairement dit que si on n’était pas d’accord, on pouvait partir ».
Le RPR, qu’elle dirige, reste actif sur le terrain, au point que Navin Ramgoolam leur demande un coup de main. Lors de la partielle au no 20 opposant Xavier-Luc Duval à Françoise Labelle, le soutien du RPR permet l’élection du leader des Bleus. En remerciement, le PTr propose une alliance avant les législatives de 2000. Le RPR est alors dissous et intégré au PTr. Aux élections de 2005, Sheila Bappoo se présente sous la bannière du PTr au no 16 où elle est élue en tête de liste. En 2010, elle est de nouveau élue au no 16 et retrouve son poste de ministre.
Dans sa jeunesse, Sheila a été Girl Guide sous la direction de Miss Thomas. Elle est restée fidèle à sa ville de cœur, Beau-Bassin, qu’elle n’a jamais quittée.

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