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Sen Ramsamy : «La rentabilité de quelques grands hôtels pas synonyme de bonne santé du tourisme»

La rentrée 2025 dans le secteur du tourisme mauricien a été marquée par des pertes durant le premier trimestre. Simple parenthèse ou véritable raison de s’inquiéter ? Pour Sen Ramsamy, spécialiste du secteur du tourisme et Managing Director de Tourism Business International, « Maurice doit être fin prête avec son ‘contingency plan’ » afin de faire face à des incertitudes au niveau mondial provoquées par des conflits militaires.

Quelle lecture faites-vous de la reprise dans notre secteur du tourisme ? Sommes-nous en train de renouer avec les chiffres d’arrivées pré-Covid ?
La reprise du tourisme post-Covid à Maurice est plutôt lente par rapport à nos concurrents dans la région. Les pertes ne sont pas que dans les arrivées, mais surtout en devises étrangères. Bien avant la pandémie de 2020, Maurice était déjà au seuil de 1,4 million de visiteurs. C’était en 2018 avec le chiffre record de 1 399 408 touristes. À ce jour, la barre fatidique de 1,4 million de visiteurs semble toujours difficile à franchir.

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Cette année, notre destination a démarré sur une note inquiétante avec une baisse inhabituelle de 6 % dans les arrivées sur l’ensemble du premier trimestre. C’est un phénomène très rare qui s’est produit en deux occasions seulement dans toute l’histoire du tourisme mauricien : en 1975 et en 2009. Cette situation n’est pas surprenante, car nous tirons la sonnette d’alarme depuis belle lurette, mais l’ancien régime faisait toujours la sourde oreille. Une petite lueur d’espoir est cependant venue avec la fête de Pâques en début d’avril cette année. Espérons que nous irons crescendo jusqu’à juin pour rattraper les pertes du premier trimestre.

Mais l’impact du chikungunya et de la dengue qui frappent fort à La Réunion est très inquiétant. D’autres facteurs, comme l’instabilité qui s’aggrave avec les menaces contre l’Iran, et surtout avec notre Diego Garcia en filigrane dans cette perspective de guerre, l’attaque de Pahalgam au Cachemire qui a plongé l’Inde, un marché important pour nous, dans une situation de haute tension, les incertitudes économiques avec la guerre des tarifs, la valeur du dollar, etc., pourraient avoir des effets néfastes sur le tourisme de la zone indiano-océanique. Maurice doit être fin prête avec son ‘contingency plan’.

L’éternel problème de connectivité aérienne, de manque d’avions et de prix exorbitants des billets d’avion ne semble pas avoir une solution dans l’immédiat. Le secteur est en attente depuis longtemps.
Cependant, il est aussi vrai que les tarifs pratiqués par les hôtels depuis quelque temps font de Maurice une destination chère, alors que les voyageurs pourraient facilement trouver mieux ailleurs pour moins cher. Les prix exorbitants des chambres d’hôtels avec un service plutôt médiocre, c’est la meilleure façon d’inciter nos visiteurs à aller voir ailleurs.

Durant ces trois derniers mois, les chiffres des arrivées de touristes ont régressé alors qu’une touriste américaine a été tuée dans son appartement. Comment traiter ces deux enjeux ?
Il y a malheureusement plusieurs autres cas d’abus contre nos visiteurs qui ne sont pas rapportés. La situation exige des actions fortes sur le terrain. La Police du Tourisme, le ministère du Tourisme, la MTPA, la TA, toutes les associations du tourisme, les opérateurs, les guides, les jeunes et les forces vives doivent être mobilisés, surtout dans les zones à risque, pour empêcher les abus contre les visiteurs tout en menant une campagne nationale de conscientisation sur la courtoisie et l’importance du tourisme pour notre économie.

D’où mon appel archi-répété pour arrêter cette bêtise que sont les forfaits ‘All-Inclusive’, qui profitent seulement aux hôteliers mais causent un tort immense à la population. Après avoir licencié des milliers de Mauriciens, maintenant on veut de la main-d’œuvre étrangère. La frustration et le sentiment de rejet sont sources d’insécurité dans un pays, et les exemples abondent dans le monde. La nation gagnerait beaucoup plus sur plusieurs fronts si les hôtels pratiquaient le ‘bed & breakfast’ au lieu de leur forfait de confinement pour les visiteurs.

Les causes de l’insécurité des touristes sont profondes et elles méritent une analyse sans état d’âme et des actions concrètes.

Quelques pistes qui pourraient peut-être aider à trouver des solutions seraient, à mon avis, le fléau de la drogue qui devient très grave. Un jeune qui est en manque va vouloir de l’argent par tous les moyens.

D’un côté, il y a la facilité déconcertante avec laquelle des opérateurs du tourisme ont contourné, non sans calcul stratégique, le problème de manque de main-d’œuvre en insistant sur l’importation des travailleurs étrangers. Cela a aggravé ainsi le problème du chômage des jeunes et on sait où cela les mène. Ces conditions favorisent la délinquance et nos visiteurs, comme proies faciles, en font les frais.

De l’autre côté, il y a une école hôtelière qui est entrée dans un profond sommeil alors que l’industrie a besoin de programmes de formation de qualité pour attirer un plus grand nombre de jeunes.

Est-ce que les recettes dans ce secteur attestent d’une reprise en développement ? Est-ce que les touristes dépensent suffisamment comme on le souhaite chez nous ?
En 2024, le tourisme a généré Rs 94 milliards (US$ 1 990 millions) en devises lourdement dépréciées. La dépense moyenne d’un touriste chez nous tournait alors autour de US$ 126 par jour, toutes dépenses comprises. Ce n’est pas beaucoup pour une destination qui se proclame haut de gamme. Fait intéressant, en 2014, les dépenses moyennes d’un touriste étaient d’environ US$ 135 par jour.

Oui, le secteur remonte la pente, mais la prudence est de mise. La profitabilité d’une poignée de grands hôtels n’est pas synonyme de bonne santé du tourisme dans son ensemble.

D’un côté, beaucoup de visiteurs se plaignent que les prix de nos hôtels sont chers, et de l’autre, on voit que les dépenses moyennes par visiteur par jour ont baissé. Cette contradiction pourrait être une indication que beaucoup de visiteurs préfèrent le secteur informel, à travers AirBnB, Booking.com, etc., au détriment des petits et moyens hôtels.

Est-ce que les soutiens de la MIC à partir de 2020 ont été déterminants pour maintenir sur pied les hôtels et restaurants qui dépendent du tourisme dans notre pays ?
La MIC avait été présentée comme le sauveur des entreprises pendant la pandémie. Cet organisme, que notre Banque centrale a enfanté dans le dos du petit peuple, a plongé des institutions dites respectables dans la honte. D’après les coupures de presse, je comprends maintenant que la MIC avait partagé des milliards de notre argent à un taux de 3,5 % avec certains ‘fat cats’ du secteur privé. Ce qui est choquant, c’est que les petits et moyens hôtels qui se battent pour survivre dans un contexte de baisse des arrivées et d’augmentation des coûts d’opérations se sont vu imposer un taux d’intérêt jusqu’à… 8 % !!!

Incroyable mais vrai ! Comment ont-ils osé croire qu’un petit hôtel déjà en grave difficulté financière et qui fait face à une concurrence déloyale venant des hébergements informels puisse rembourser de telles dettes à un taux décrété unilatéralement pour mieux étouffer ?
Il faut enlever d’urgence cette discrimination flagrante contre les petits et moyens hôtels en alignant un taux d’intérêt uniforme de 3,5 % pour toute entreprise opérant dans un même secteur d’activités comme l’hôtellerie et le tourisme.

Puisque les grands ont toujours un appétit gargantuesque quand il s’agit des biens d’autrui et de l’argent du peuple, on peut même suspecter, à tort ou à raison, que le calcul derrière ce mécanisme était de broyer d’autres petits et moyens hôtels pieds dans l’eau en leur donnant ‘enough rope to hang themselves’. Ainsi, certains en auraient profité pour faire main basse sur ces hôtels de plage avec l’apport des cuisiniers de service. Un promoteur victime de cette situation refait la une en ce moment après avoir perdu tous ses hôtels dans les mêmes circonstances.

Est-ce que l’heure est venue pour ces hôtels de commencer à rembourser les prêts obtenus de la MIC ou leur faut-il un moratoire ?
Ceux qui ont utilisé l’argent de la MIC pour acheter ou construire de nouveaux hôtels à Maurice ou ailleurs, ou encore agrandir leur capacité de chambres, et non pour se relever de la crise de la Covid en investissant, par exemple, dans leurs ressources humaines, doivent obligatoirement et urgemment rembourser la totalité des sommes empruntées, car c’est l’argent du peuple avant tout.

À part la MIC, il y avait aussi beaucoup d’argent mis à disposition généreusement par l’ancien régime pour garder les hôtels à flot.

Environ 5 000 employés de l’hôtellerie avaient perdu leurs emplois pendant la crise sanitaire avec l’aide d’un amendement à la loi. Ces aides financières avaient aussi coûté des milliards avant même la création de la MIC, et il faut les rembourser sans aucune cérémonie. C’est aussi l’argent du peuple.

Comment l’île Maurice devra-t-elle concilier les attentes des voyageurs toujours plus exigeants avec les défis environnementaux et l’essor des nouvelles technologies ?
Il faut commencer par avoir un leadership fort et une vision claire pour notre tourisme. Depuis le départ de Sir Gaëtan Duval, ministre du Tourisme exemplaire avec qui j’ai eu le privilège de travailler, notamment à commencer par la création même d’un ministère pour le tourisme, la destination Maurice navigue à vue sans aucun sens de direction. Les dix dernières années ont été une perte de temps, car il n’y avait aucune vision, ni de vraie politique de développement touristique, encore moins de stratégies intelligentes pour un marketing moderne digne de ce nom. La digitalisation dans le tourisme se fait lentement et sans grande conviction. Je n’entends plus parler du master plan pour le tourisme annoncé tambour battant depuis quelques années avec le soutien financier de la Banque mondiale. Le rebranding de la destination annoncé en 2022 pour son repositionnement dans l’ère post-Covid sur le marché mondial avait été lancé en grande pompe mais sournoisement mis au frigo par petitesse d’esprit. J’en sais quelque chose.

Aujourd’hui, le pays a deux jeunes ministres du Tourisme à différents degrés et de qualité, mais il nous manque toujours un vrai leader capable de mener ce secteur avec vision, audace et efficacité.

Des groupes hôteliers éprouvent encore des difficultés à embaucher et à retenir un certain nombre de leurs personnels. Que faut-il pour retenir ces compétences ?
Cette situation était prévisible et j’avais mis en garde dans ce même journal que profiter de la Covid pour dégraisser le personnel en forçant ‘amicalement’ les plus anciens vers la porte de sortie était une erreur grave. Les cuisiniers de l’ancien régime étaient à pied d’œuvre pour la mise à pied des travailleurs, surtout les mieux payés, en faisant passer une nouvelle loi pour licencier facilement sans les compensations réglementaires. Puisque l’appétit des gros vient toujours en mangeant, je pense que la formule était bien calculée pour remplacer les anciens par des jeunes, surtout étrangers, sur la base du salaire minimum.

C’est ainsi que nous avons perdu les vrais bosseurs de l’hôtellerie qui ont fait la fierté du tourisme mauricien des années durant. En conséquence, le nombre d’employés directs dans le secteur est passé de 32 000 en 2019 à 27 000 en 2023. Aujourd’hui, la clientèle, à la fois étrangère et locale, se lamente de la qualité de service dans nos hôtels et restaurants. Quand la voracité et la myopie se conjuguent, bonjour les dégâts.

Certains observateurs, parmi vous-même, plaident toujours pour une vraie diversification de notre clientèle touristique. Quelle est la stratégie à adopter pour y arriver ?
La diversification de notre clientèle touristique ne veut surtout pas dire l’abandon de nos marchés traditionnels. Avec la technologie de pointe, l’information pourrait bientôt passer à la vitesse 7G à travers le monde. De ce fait, le monde entier est devenu un immense marché global, et Maurice a intérêt à se positionner pour en tirer un maximum de bénéfices. Il faut diversifier nos sources de visiteurs pour ne pas être dépendants du seul marché européen, qui fait aussi face à des crises multiples et dont le pouvoir d’achat diminue, contrairement aux visiteurs asiatiques. Les pays d’Afrique, d’Asie et du Moyen-Orient regorgent de niches potentielles pour la destination Maurice. L’Afrique a beaucoup de milliardaires en dollars qui cherchent à investir ou à faire des escapades dans des îles comme la nôtre. Les touristes chinois sont les plus grands dépensiers au monde. Les Arabes richissimes recherchent l’exclusivité en famille. Les yeux de Maurice restent braqués principalement sur l’Europe. Si diversification il y a, c’est pour offrir les mêmes produits conçus pour une demande européenne. Cependant, chaque marché a ses particularités, ses préférences, son style de vie et ses attentes qu’il nous faut apprécier et surtout respecter, d’où qu’ils viennent. Notre offre touristique, éminemment euro-centrique, ne peut être un passe-partout pour tous les marchés émetteurs, et surtout ceux émergents. Il est primordial d’adapter notre offre en rapport avec la demande du client. D’où l’importance de diversifier, d’agrémenter et d’améliorer nos offres touristiques avec des produits pour tous les goûts : bien-être, soins médicaux, sport, arts et culture, éco-tourisme, et une stratégie MICE bien réfléchie et qui soit bien au-delà de la simple organisation de conférences.

Ceci étant, l’accès aérien reste l’aspect fondamental. La posture d’Air Mauritius n’étant pas rassurante depuis des années par la faute d’un ancien incompétent avec sa tête de Turc, l’avenir de notre ligne nationale me paraît très sombre. Le hub de Dubaï offre une connectivité très attrayante. Mais il faut aussi reconnaître que c’est quand Emirates Airline a commencé à manger dans l’assiette de MK que le sort de cette dernière a basculé sans qu’elle ne réagisse en conséquence. Dans un contexte de négociations bilatérales, il est important de s’assurer que les trade-offs soient proportionnels aux avantages offerts aux parties concernées, et que la compagnie nationale ne soit pas réduite en simple figurant. Comme pour toutes les destinations à vocation touristique, la politique d’accès aérien est une richesse nationale qui doit absolument favoriser «the greater good», c’est-à-dire le pays en général, son économie et sa population. Les Seychelles et les Maldives jouent cette carte à merveille, et les retombées économiques, sociales et diplomatiques y sont conséquentes. Celles-ci touchent à plusieurs secteurs : investissement, commerce international, transport des marchandises, coopération régionale, services financiers, développement hôtelier et touristique, événementiel, avancées technologiques, innovations et nouveaux pôles de développement, etc. En retour, ils pourraient libérer encore plus de potentiels avec des effets multiplicateurs considérables.

Est-ce que le touriste vit – pour reprendre l’expression «clichée» des promoteurs et agences – une expérience client exceptionnelle à Maurice ? Comment le vérifier ?
L’expérience client passe souvent par des hauts et des bas selon le type de vacances, la qualité de l’hébergement et l’itinéraire tracé pour un séjour. Notre île a beaucoup d’atouts qui favoriseraient une expérience humaine agréable et mémorable pour le visiteur comme pour les Mauriciens. Mais toujours selon le programme et le calendrier des visites qu’il aurait préparés ou acceptés avec ou sans accompagnement d’un guide professionnel. Cependant, nous attirons aussi beaucoup de critiques par rapport à la cherté de la vie, qui ressemble un peu au coût de la vie en Europe. L’arnaque, les attaques contre des touristes, les saletés et le manque d’hygiène dans les restaurants, dans des lieux touristiques et dans nos villes et villages sont aussi souvent des reproches mentionnés dans les revues et commentaires en ligne. Les embouteillages, notre système de transport polluant, les soins médicaux, le trafic de drogue sont aussi mentionnés par les touristes comme zones à améliorer. La qualité de service, qui était jadis notre force, commence à devenir une faiblesse dans nos hôtels et restaurants, et c’est grave.

Grâce à la technologie, on peut facilement vérifier l’appréciation ou non de la clientèle par rapport à son séjour dans le pays. Mais généralement, le contact avec le Mauricien et la gentillesse des gens en général sont les facteurs qui rendent l’expérience de nos visiteurs inoubliable. Une raison de plus de faire sauter le concept «all inclusive» ou de confinement de notre paysage touristique.

Les circuits biodiversité et faune ‘sauvage’ séduisent de plus en plus de touristes. Avons-nous ces atouts et sont-ils mis en valeur ?
Maurice possède une richesse naturelle exceptionnelle en termes de faune et flore. Les Mauriciens et les touristes adorent marcher dans la forêt, près des rivières et admirer la végétation. Beaucoup ont un intérêt particulier pour les plantes endémiques ainsi que pour les oiseaux bien de chez nous. Je pense ici à notre majestueux «paille-en-queue», le kestrel et le pink pigeon, etc. Les îlots autour de Maurice contiennent des espèces rares qui doivent être jalousement préservées pour les besoins de recherche scientifique, pédagogique et touristique. Le travail formidable entrepris par la Wildlife Foundation sur l’île aux Aigrettes mérite d’être salué et reproduit sur d’autres îlots. La sécurité des visiteurs et le comportement des Mauriciens sur les îlots doivent être strictement surveillés. La situation sur l’île aux Bénitiers m’inquiète terriblement, surtout après que des marchands ont été autorisés à s’y réinstaller. Cela me rappelle la situation dégradante aux Gorges de la Rivière Noire (et même au Trou aux Cerfs), avec des étals qui transforment ces lieux paradisiaques en «bazar». Si on continue à céder aux pressions des marchands, le pays serait ingouvernable et toute l’île deviendrait un grand «bazar central». L’insécurité dans ces lieux est source d’inquiétude que les autorités ont intérêt à adresser de façon proactive plutôt que réactive.

 

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